"A ce stade, le télétravail n'a pas d'impact sur les stratégies immobilières des entreprises"

INTERVIEW. Entre télétravail, protocoles sanitaires et crise économique, comment se portent les marchés des bureaux, entrepôts et locaux d'activité dans la région bordelaise ? La Tribune a posé la question à Valery Carron, directeur transactions de BNP Paribas real estate Bordeaux et vice-président de l'Observatoire de l'immobilier d'entreprise de Bordeaux Métropole.
Valéry Carron, directeur transactions de BNP Paribas Real Estate Bordeaux.
Valéry Carron, directeur transactions de BNP Paribas Real Estate Bordeaux. (Crédits : BNP Real Estate)

LA TRIBUNE - Comment se portent les marchés de l'immobilier d'entreprise à Bordeaux et en Gironde en cette fin 2020 ?

VALERY CARRON - Selon les chiffres compilés par l'OIEB et BNP real estate, nous constatons un excellent dynamisme sur les locaux d'activité et les entrepôts. Un dynamisme qui nous a même étonné puisqu'il s'est traité 220.000 m2 sur les trois premiers trimestres de 2020, soit 43 % de plus qu'en 2019. Ce sont beaucoup de PME et de PMI, mais aussi des transactions importantes comme Joué Club qui s'installe à Cestas sur 28.000 m2. La conclusion c'est que pour l'instant le Covid-19 n'a pas touché ce marché. Une partie du parc d'entrepôts est très ancienne et en phase de régénération, ce qui explique aussi ce dynamisme.

S'agissant des bureaux, l'impact est plus marqué. On constate à Bordeaux Métropole, une baisse des volumes de transactions de l'ordre de 35 % sur les neuf premiers mois de 2020. Mais si l'on compare aux autres métropoles françaises, la région s'en tire plutôt bien puisqu'à l'exception de Marseille, qui est stable, les autres grandes villes sont plutôt autour de -50 %. Si bien que Bordeaux est le troisième marché hors Ile-de-France derrière Lyon et Lille. On a constaté un vrai rebond au 3e trimestre qui s'est avéré très dynamique. Au total, sur les bureaux, on atterrira autour de 110.000 m2 sur l'année 2020, soit une baisse de -80 % par rapport aux 200.000 m2 de 2019 qui était une année hors norme. Le rythme de croisière se situe plutôt autour de 150.000 m2 depuis 2017.

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Comment expliquez-vous cette bonne résistance des marchés bordelais ?

Il y a d'abord l'effet des cycles longs de l'immobilier qui fait que les entreprises n'arrêtent pas leurs projets immédiatement, surtout s'ils sont bien avancés et répondent à des enjeux structurels. Mais c'est un facteur valable ailleurs. En revanche, en discutant avec les entreprises et les responsables d'autres métropoles, on s'aperçoit que le dynamisme économique de la région bordelaise est perçu comme solide si bien que, lorsqu'il y a des projets à stopper rapidement, ce ne sont pas ceux de Bordeaux qui sont sélectionnés. Bordeaux bénéficie d'une forme confiance quant à l'évolution des prochains mois.

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Les demandes des entreprises ont-elles évolué en termes de surface et d'agencement ?

Faute d'un recul suffisant, les chefs d'entreprises sont pour l'instant un peu perdus. Leurs directions immobilières cherchent le meilleur modèle mais sans avoir de certitudes. Avant le Covid-19, la tendance était à une organisation combinant espaces de travail, salles de réunion, bulles de confidentialité pour passer un coup de fil et lieux de convivialité pour se détendre et faire une pause. On était ni dans l'open space, ni dans les bureaux individuels. Ce modèle reste valable aujourd'hui mais intègre l'obligation de prévoir des distances sanitaires et donc de surfaces plus grandes mais aussi du flex office puisqu'il sera de plus en plus rare d'avoir tous les salariés présents dans les locaux au même moment. On est donc plutôt dans une phase de réflexion mais, à ce jour, ces nouveaux facteurs n'ont pas d'impact sur les surfaces recherchées par les entreprises.

Comment s'intègre le télétravail dans leurs réflexions immobilières ?

Finalement de manière assez naturelle ! Le premier confinement a été marqué par un tout télétravail aussi soudain que contraint. A ce moment là, beaucoup de chefs d'entreprise se sont dits : ça fonctionne bien, c'est fabuleux, la majorité des mes salariés seront désormais en télétravail ! Mais au bout d'un mois, ils se sont aperçus que pas mal de salariés avaient du mal à revenir au bureau quand d'autres, au contraire, souhaitaient renouer avec la vie de bureau. D'après notre étude en France, 39 % des salariés estiment travailler moins bien chez eux qu'au bureau et 45 % regrettent les échanges professionnels et personnels avec leurs collègues et expriment une forme d'isolement et/ou de lassitude. A l'inverse, 56 % apprécient le télétravail parce qu'ils n'ont pas de temps de transport.

Le tout télétravail questionne donc la capacité de travail en commun et la vie sociale de l'entreprise et on voit un retour de bâton de certains groupes qui limitent les jours de télétravail, à tort ou à raison. Mais un modèle s'installe autour de deux ou trois jours au bureau et le reste à la maison. Si bien qu'à ce stade, il n'y a pas d'impact du télétravail sur les surfaces recherchés. Et s'il devait y en avoir un à l'avenir, à mon sens il serait plus dû à la situation économique dégradée qu'aux nouvelles habitudes de télétravail.

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Dans cette nouvelle donne, le coworking, qui était en plein essor à Bordeaux, est-il pénalisé par les règles sanitaires ou a-t-il au contraire une carte à jouer ?

Plus que le coworking, ce qui fonctionne bien aujourd'hui c'est le bureau flexible, le bureau partagé où chaque entreprise dispose de son propre espace, tout en ayant accès à des espaces communs. Certaines entreprises louent même des plateaux entiers de manière autonome. Ce modèle est pertinent puisqu'il s'agit avant tout d'une variable d'ajustement. Et quand il n'y pas de visibilité, ce qui est le cas de la plupart des entreprises actuellement, c'est une option beaucoup plus souple que le traditionnel bail 3-6-9. Donc je crois assez dans ce modèle et on a même des entreprises qui louent des espaces supplémentaires parce qu'elles continuent à se développer, notamment dans le numérique, par exemple, avec Back Market, aux Bassins à flot. Il y a aussi des entreprises qui s'agrandissent et prennent des baux classiques parce que, à l'instar d'Asobo Studio, elles bénéficient d'une bonne visibilité.

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Craignez-vous une suroffre de bureaux à Bordeaux dans les années qui viennent ?

Non, il n'y a pas d'inquiétudes à avoir. On est autour de 160.000 m2 en stock ce qui représente environ un an de transaction, c'est donc même plutôt une situation de sous-offre puisqu'un niveau de stock serein tourne autour de 18 mois. En revanche, on sait que ce stock va augmenter dans les prochains mois parce que, malheureusement, avec la crise des entreprises vont mettre la clef sous la porte et libérer des surfaces tandis que d'autres renonceront à s'agrandir. La vraie question sera alors de voir si cette offre libérée pourra être recommercialisée rapidement parce qu'elle correspond aux nouvelles attentes du marché en termes de typologie et de surface.

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