Les vignerons indépendants se méfient des prix planchers promis par le gouvernement

La délicate équation du prix est au cœur de la crise agricole et viticole. Au Salon des vignerons indépendants, qui s'est tenu à Bordeaux du 8 au 10 mars, ce sont « les vins plaisirs » qui sont mis en avant plutôt qu'un hypothétique prix plancher qui risquerait de tirer tout le monde vers le bas.
Le salon des vignerons indépendants s'est tenu du 8 au 10 mars à Bordeaux.
Le salon des vignerons indépendants s'est tenu du 8 au 10 mars à Bordeaux. (Crédits : PC / La Tribune)

300 viticulteurs pour 1.500 cuvées et plusieurs milliers de visiteurs et acheteurs. L'affluence et l'effervescence dans les travées du Salon des vignerons indépendants est au rendez-vous et contraste singulièrement avec le marasme économique dans lequel est empêtré le vignoble bordelais depuis de longs mois. De quoi même donner le sourire à Régis Falxa, le président des vignerons indépendants girondins : « Nos salons fonctionnent bien avec des acheteurs dont le ticket moyen est de 500 euros pour 33 bouteilles venant de cinq vignobles différents. Au total, l'activité de nos salons est en hausse ! »

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La recette d'après le vigneron girondin c'est la relation commerciale directe et la mise en avant de la particularité de chaque vin : « Il faut assumer nos difficultés mais aussi les côtés sympa du métier. Il faut raconter notre histoire, c'est cela qui plaît. » Et des difficultés il y en a, y compris pour Régis Falxa, qui arrache une parcelle de trois hectares de vignes, soit environ 10 % du château Lalande-Labatut dans l'Entre-deux-Mers. Il y plantera de la luzerne après avoir un temps songé à y cultiver des oranges. Et alors que, selon la Chambre d'agriculture de Gironde, le coût de revient d'un tonneau de vin est de 1.300 euros en conventionnel et de 1.800 euros en bio, la question du prix est au cœur des débats. En pleine crise agricole, Emmanuel Macron a annoncé le 24 février l'établissement « de prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui aujourd'hui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus ».

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Le risque d'établir un prix de référence

Mais pour les vignerons indépendants, cette proposition est loin d'être une solution miracle. « Le danger principal c'est qu'on aboutisse à un prix plancher insuffisant qui deviendrait un prix de référence tirant les producteurs vers le bas, s'inquiète Régis Falxa. D'autant que le coût de revient c'est une chose mais pour sortir les exploitations de leurs difficultés il faut aussi parler de la marge, de la trésorerie et, surtout, de la capacité d'investissement ! » Le viticulteur girondin plaide plutôt pour une application stricte de la loi Egalim tout au long de la chaîne producteur, négociant, distributeur.

Un combat mené et remporté il y a quelques semaines par un vigneron du Médoc qui a obtenu la condamnation de deux négociants pour avoir acheté son vin à un tarif jugé « abusivement pas ». Mais, là non plus, pas de quoi sauter au plafond selon Régis Falxa :

« Je suis content pour lui à titre personnel mais ça ne me semble pas viable voire même contre-productif : cela fait quatre ans que les négociants n'ont pas acheté de vins de Bordeaux à plus de 1.000 euros le tonneau, le danger de cette décision c'est qu'ils n'achètent plus de vins de Bordeaux du tout... »

« Les vins en-dessous de cinq euros ne se vendent plus »

La sortie du tunnel passerait plutôt par d'autres initiatives : la modernisation des étiquettes voire l'abandon pur et simple de l'appellation Bordeaux, « qui a perdu de sa force intrinsèque », notamment à l'export, illustre Jean-Marie Fabre, le président de la Fédération nationale des vignerons indépendants. « Ce qu'il faut bien comprendre c'est que le consommateur n'achète pas un vin pour son prix mais pour l'histoire du produit, parce qu'il cherche un vin plaisir », poursuit-il. Les bouteilles de vin en-dessous de cinq euros ne se vendent plus, leurs ventes baissent de 20 % par an et c'est tant mieux parce qu'ils ne rémunèrent personne ! »

Ce vigneron du Languedoc à la tête du Domaine de la Rochelierre, à Fitou (Aude), appelle donc à assumer et défendre des bouteilles de vins à neuf ou dix euros et à s'adapter à la consommation des nouvelles générations. Ce qui suppose de rompre avec une certaine approche du vin perçue comme trop élitiste, notamment à Bordeaux : « Aujourd'hui, les clients jeunes m'ont réappris à parler de mes vins, ils sont plus directs, plus simples et plus centrés sur leur perception personnelle que sur le terroir ou l'appellation ! »

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« Notre roi, c'est le consommateur ! »

À l'autre extrémité du marché du vin, l'empire de Bernard Magrez et ses 40 châteaux, constate également l'érosion du marché du vin même si l'amplitude de son offre permet d'en atténuer les effets. « Notre roi c'est le consommateur, il ne faut jamais l'oublier quand on veut vendre un produit ! », lance l'entrepreneur bordelais. « Quand un marché se réduit, l'enjeu est de prendre des parts de marché aux autres en regardant les points forts et les points faibles de chacun. » Regrettant « des politiques hygiénistes » défavorables à la consommation de vin, il préconise de « promouvoir des vins dont la typicité correspond aux nouveaux goûts des consommateurs : des vins moins agressifs, qui semblent plus ronds, peut-être moins alcoolisés. On voit le succès des vins à 9 degrés naturellement par exemple. »

À 87 ans, Bernard Magrez travaille depuis plusieurs mois à l'ouverture du capital de son groupe pour préparer sa succession. Mais dans l'immédiat, il vient de célébrer les trois ans de son incubateur Startup Win. Implantée à Bordeaux et Strasbourg, la structure a accompagné une centaine de projets innovants autour de la vigne et du vin dont plusieurs ont testé leurs solutions au sein des quatre grands crus classés de Bernard Magrez : Château Pape Clément (Graves), Château La Tour Carnet (Médoc), Château Fombrauge (Saint-Emilion) et Clos Haut-Peyraguey (Sauternes).

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Commentaire 1
à écrit le 11/03/2024 à 15:37
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Comme il est dit et écrit c'est le client qui décide du prix et non "le plancher " encore un concept servant à noyer le poisson .Le vin dans notre pays n'est plus en tête dépassé par la bière sous toutes ses formes , gouts , parfums etc..Et j'ai vu d...

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