« Le vin ne doit se fermer aucune porte pour s'adapter aux nouvelles consommations »

ENTRETIEN. Vins désalcoolisés, boissons hybrides, bouteilles et étiquettes revisitées... Alors que le salon Vinexpo / Wine Paris réunit 4.000 exposants et 40.000 visiteurs, les contenus et les contenants tentent de se réinventer du vignoble bordelais aux vins d'Alsace. La Tribune a sondé Pascal Hénot, le directeur du cabinet d’œnologie Enosens, en Gironde, sur les nouvelles manières de consommer du vin sur fond de baisse structurelle de la consommation.
Pascal Henot dirige le cabinet d'oenologie Enosens installé à Coutras, en Gironde.
Pascal Henot dirige le cabinet d'oenologie Enosens installé à Coutras, en Gironde. (Crédits : Enosens)

LA TRIBUNE - Comment analysez-vous la baisse actuelle de consommation de vin par les nouvelles générations ?

PASCAL HENOT - On assiste à un changement profond qui n'est, à mon sens, ni conjoncturel ni un simple passage à vide. C'est vraiment un changement dans la durée. Dans la culture française traditionnelle, le vin est perçu comme un aliment pas comme une boisson. Il est intimement lié au repas et, pour le vin rouge à un repas de viande. À tel point que le vin fait partie du repas gastronomique français inscrit au patrimoine de l'Unesco. Le repas se déstructure, le contenu de nos assiettes change et on tend vers du moins gras, moins sucré, moins de viande et moins d'alcool. La baisse de la consommation de vins est donc une tendance qui va durer mais qui devrait aussi laisser plus de place à des produits plus simples et plus légers.

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Les jeunes générations resteront donc inaccessibles pour les vins actuels ?

Non, je pense que le vin trouvera une place dans leur consommation mais une place différente, plus accessible, plus simple à comprendre. On parle de vin blanc, de rouge léger, de rosé ou encore de vin à la bière. On voit de nouveaux produits émerger tels que la vière, une boisson hybride entre vin et bière, du vin avec moins d'alcool voire pas d'alcool du tout, du vin pétillant naturel, du vin orange [un vin blanc vinifié comme du vin rouge avec macération, NDLR]. La consommation penche aujourd'hui pour des vins moins concentrés, moins colorés, moins structurés et donc plus simples, plus légers et plus fruités. Il faut coller à cette tendance en veillant à garder une typicité.

Cela concerne le contenu, qu'en est-il des réflexions de la filière sur le contenant ?

Je crois que la filière se rend compte qu'il faut proposer d'autres choses, d'autres formats. On voit des looks différents, la bouteille bordelaise évolue avec des formes et des verres différents, des films graphiques et colorés, des noms plus modernes ou humoristiques. Cela relève purement du marketing mais c'est important. Le format de la bouteille de 75 cl reste un incontournable malgré des tentatives alternatives. Mais il y a aussi des propositions de bouteilles en plastique ou de canettes métalliques.

Des emballages emballants en Alsace

Tenu par les critères restrictifs de son aire d'appellation régionale, notamment sur la forme de la bouteille, le vignoble alsacien a modernisé les emballages de son crémant, segment le plus dynamique de l'appellation (+16 % en cinq ans). Wolfberger, à Eguisheim (Haut-Rhin), met en avant un manchon thermorétractable (sleeve) à effet mat ou brillant pour valoriser ses cuvées particulières. Réputé pour ses crémants, qui représentent 52 % de sa production, la coopérative opte aussi pour des encres thermo-sensibles : quand la température de service optimale est atteinte, entre 6° et 8°, le logo change de couleur pour devenir bleu ou rose.

Le sleeve est également mis en avant par la coopérative Bestheim (6,5 millions de cols de crémant par an), qui a opté pour des effets de texture bleue pour son crémant Clair de Lune 2022. Cette cuvée met en avant ses caractéristiques organoleptiques plus vives et se positionne dans le haut de gamme. Après avoir imposé la bouteille bleue depuis trois décennies dans ses gammes de vins tranquilles, Bestheim s'adresse à une clientèle rajeunie avec son crémant Zéro Limit sans alcool. Ici encore, le packaging devra faire la différence : pour traduire son approche d'éco-conception, la coopérative propose une bouteille au design minimaliste et élimine la coiffe et le muselet. La bouteille est simplement fermée avec une capsule, à l'instar d'une bière. Produit à partir de raisin, Zéro Limit échappe aux critères de l'AOC Alsace : le conditionnement sera réalisé dans le bordelais. Les bouteilles destinées à la grande distribution seront dans les rayons au mois de mars.

La piste du cocktail, produit très prisé par les nouvelles générations comme l'a montré le succès du Spritz à grands renforts de marketing, doit-elle être envisagée ?

Je pense qu'il ne faut pas car même si les habitudes de consommation évoluent, aujourd'hui c'est le vin qui est consommé et il ne se mélange pas tellement. C'est plus simple avec les vins pétillants et les spiritueux. Mais cela peut être un outil de communication autour de cocktails à base de vin rouge mais pas avec du Saint-Emilion. En revanche, je suis plus en phase avec de la consommation de vin rouge sur des lits de glaçons pour être plus frais. Cela me semble assez pertinent même s'il faut probablement construire le vin autrement puisqu'un vin conçu pour être consommé à 17° ne sera pas au mieux à 12°.

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La filière française est-elle prête à évoluer sur ces deux aspects du contenu et du contenant ?

Le monde français du vin est en crise donc il n'a pas d'autre choix que de regarder toutes les pistes possibles. Le vin en canette est-il une réponse ? C'est difficile à dire et, en réalité, c'est le consommateur qui choisira. Le vin a longtemps fonctionné sur l'offre mais c'est aujourd'hui une économie de la demande. On n'a donc pas réellement de visibilité sur ce qui fonctionnera mais ce qui est certain c'est que le vin ne doit se fermer aucune porte pour s'adapter aux nouvelles consommations ! Il faut tenter des choses, faire des paris et c'est le marché qui tranchera !

Les appellations d'origine protégée et contrôlée peuvent-elles évoluer aussi vite que les habitudes de consommation ?

Oui, il y a une vraie prise de conscience mais en pratique les règlementations françaises et européennes et les cahiers des charges restent encore très rigides et évoluent très lentement. Par exemple, les vins avec indication géographique (IG) ont obligatoirement au moins 9 degrés d'alcool et ne peuvent pas être aromatisés donc ça limite mécaniquement le champ des possibles de l'innovation. Mais, en revanche, pour les vins sans IG les possibilités sont bien plus larges. Donc, oui le rythme d'innovation est trop lent mais, en même temps, c'est l'objectif même de ces signes de qualité que de protéger le produit et sa qualité. C'est leur raison d'être et c'est un point important. Et on peut toujours imaginer de nouveaux produits hors de ces cadres.

Une fois qu'on décide de s'adapter aux nouvelles tendances, dans quelle mesure est-ce faisable sur le plan opérationnel en termes de délais et de trésorerie ?

Pivoter ce n'est jamais évident. Prenons l'exemple du Crémant de Bordeaux, qui se vend très bien, c'est tout à fait envisageable de s'y mettre mais à condition de pouvoir aller chercher du volume quantitatif de l'ordre de 80 hectolitres à l'hectare contre 50 à 60 pour du rouge. Et il faut aussi prévoir de vendanger à la main, ce qui a un coût, et disposer d'un savoir-faire spécifique qui ne s'acquiert pas du jour au lendemain. C'est donc plutôt un phénomène qu'on observe chez les acteurs qui maîtrisent déjà le sujet. Le processus est lent mais il est bien réel à Bordeaux.

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Et le vin désalcoolisé peut-il trouver sa place malgré un bilan énergétique très défavorable ?

Le bilan énergétique du vin désalcoolisé est un vrai sujet puisqu'il faut successivement un processus de fermentation et de désalcoolisation relativement lourd. Cependant, s'il y a une demande, il faut y répondre ! Je le répète : ne nous fermons pas de portes ! Mais, une fois qu'on a dit ça, il rappeler que faire du vin désalcoolisé de qualité ce n'est pas si simple. Le vin désalcoolisé est très acide et il faut donc ajouter des éléments tels que le sucre et des arômes pour retrouver un équilibre.

Il y en a qui existent et qui sont très intéressants même si ce sont des produits toujours relativement chers. Mais il faut bien avoir à l'esprit qu'il s'agit d'un produit bien distinct du vin qui répond à d'autres attentes que la consommation traditionnelle de vin. En fait, il y a un éventail de produits à mettre en avant : le vin, le vin zéro alcool, le vin intermédiaire et le vin distillé qui nous emmène vers le Brandy, le Cognac et l'Armagnac.

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Commentaire 1
à écrit le 14/02/2024 à 9:21
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"Mais il y a aussi des propositions de bouteilles en plastique ou de canettes métalliques." pour des breuvages qui seront bus dans un délais assez court, à quoi bon une bouteille traditionnelle en verre et bouchon plastique (100% recyclable écrit des...

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