LA TRIBUNE - La campagne d'arrachage de 8.000 hectares de vignes doit commencer au premier trimestre 2024 dans le vignoble bordelais. Suffira-t-elle à endiguer la crise de surproduction ?
THOMAS HEBRARD - Il est aujourd'hui question d'arracher 100.000 hectares dans toute la France pour corréler l'offre et la demande. Cela correspond à quatre fois la taille de la Bourgogne ou 80% de tout ce que l'on produit à Bordeaux ! Et il y aura des grands crus et des grands crus classés dedans. Cela fait quelques années que je dis que nous allons droit dans le mur et que nous allons arracher des vignes même si, évidemment, je n'avais pas les volumétries. Mais, les chiffres tombent et cela concerne toute les régions. Bordeaux est juste l'épicentre d'un phénomène et nous ne sommes qu'au début de la crise ! Bordeaux a été le premier à vivre le boom, il est donc le premier en crise. En 2010, Bordeaux représentait jusqu'à 95 % des échanges du vin dans le monde. Ce monde-là est terminé ! Aujourd'hui, le vin est produit de façon globale sur le planète et distribué de façon globale.
La crise est-elle uniquement liée à une baisse de la consommation ?
Les jeunes générations ne boivent effectivement plus de vin. Ils consomment dix litres de vin par an, soit six fois moins que ce que consomment leurs parents. À partir de là, soit nous vivons avec, soit nous essayons de comprendre pourquoi. Or, en analysant le marché, nous voyons que le problème est systémique. La distribution du vin a oublié ses consommateurs. Les jeunes ne consomment pas mais ils s'y intéressent. Ils ne se sont jamais autant formés sur le vin. Nous savons aussi que les jeunes veulent consommer durable. Or, nos vins n'ont jamais été aussi bons et durables. Nous avons des produits qui répondent aux besoins des consommateurs qui ont envie d'avoir du vin mais ne consomment pas. Le problème est donc au milieu. Il faut savoir que le négociant qui est le premier maillon de la chaîne à Bordeaux ne vend pas les vins qu'il boit à table parce qu'il ne vend que des vins spéculatifs. Comment voulez-vous que derrière le consommateur s'y retrouve et achète du vin ?
Comment en est-on arrivé là ?
Prenons un distributeur de vin en bout de chaîne, un caviste, par exemple. Lui vend du vin parce que c'est sa passion mais avant de vendre les plus beaux produits du monde, ce qu'il veut c'est vivre de la vente de ses produits. Donc l'élément numéro un pour qu'il mette un produit en rayon c'est la marge qu'il va pouvoir générer. Mais, comme le système est corrompu avec le bradage sur internet, il n'y a plus de marge ! Le caviste a arrêté de vendre des vins de Bordeaux non pas parce qu'ils n'étaient pas bons mais parce qu'il n'avait plus de marge. Il est donc allé chercher des palliatifs, des vins bourguignons, des vins de Loire, des vins de la vallée du Rhône, des vins du Languedoc, des vins chiliens. Mais ce n'est que la même histoire que l'on fait tourner sans cesse. Quand on rentre un produit neuf, il y a la sécurisation sur la marge, cela dure trois ou quatre mois et après c'est fini.
Quelle sont donc vos propositions ?
Remettre de la marge et tenir la marge, c'est le point majeur. Il faut remettre de la marge dans le système et considérer pour cela trois niveaux d'acteurs : le château, le grossiste ou négociant-importateur et le distributeur. Et des prix minimum de vente doivent être imposés. Il faut sécuriser le prix et ensuite surveiller, contrôler, éduquer, expliquer aux différents acteurs pourquoi le respect du prix est important et, en parallèle, réprimander. Évidemment, les châteaux n'ont pas les moyens de le faire, donc je propose que les courtiers accompagnent les châteaux. C'est une façon de redonner de la confiance dans la chaîne de distribution.
Au-delà de la marge, quelles sont vos préconisations ?
La deuxième porte sur la distribution. Il faut investir massivement dans les projets qui ciblent les clients finaux et vont remettre de la consommation dans le système. Il faut favoriser les ventes e-commerce en soutenant financièrement l'amorçage jusqu'à atteindre des volumes suffisants pour rendre les frais de préparation de commande et de transport compétitifs. Il s'agit aussi de remettre du bon sens fiscal. L'Europe nous impose de passer par un prestataire pour livrer l'ensemble des pays européens, cela nous impose 1,55 euro en plus par bouteille. C'est évidemment un frein !
Enfin, je porte un projet qui repose sur de la data centralisée, sécurisée. Chez U'wine, depuis deux ans, nous connectons toutes nos bouteilles avec des puces NFC pour voir la traçabilité jusqu'à l'ouverture des bouteilles. Cela nous permet de connaitre les stocks et les flux de nos clients, donc de proposer du réassort de vins par exemple. Si demain 100 % des bouteilles sorties des domaines étaient connectées, nous serions capables d'amener tout un tas de services. Ce projet, c'est la cerise sur le gâteau, mais en combinant toutes ces solutions, nous n'arracherons pas nos vignes. En revanche, il faut faire très vite !
Une année record pour U'wine malgré la conjoncture La société de négoce U'wine, qui combine investissement et distribution, annonce pour son exercice d'octobre 2022 à septembre 2023 une nouvelle année record en termes de distribution aux particuliers des vins de ses clients investisseurs, malgré la distribution des vins en baisse de 30% à 50%. La société bordelaise déclare avoir doublé les reventes. Cette activité a généré un chiffre d'affaires de 1,6 million d'euros sur 12,5 millions au global. « L'activité investissement qui a dépassé les dix millions est quant à elle rentable depuis trois ans, mais nous avons moins de nouveaux clients et les montants d'achat ont été divisés par trois. Ce que l'on gagne d'un côté, nous le perdons de l'autre sur la distribution. Je subis donc aussi les problèmes de marge », précise Thomas Hébrard. U'wine annonce en revanche avoir amélioré la performance nette de ses clients (5,8% annuel) et creuse l'écart avec le marché, qui reste à 3,8% annuel.
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