Bordeaux : le désarroi des vignerons face aux conditions drastiques du plan d'arrachage

Calendrier, montants disponibles et engagement sur 20 ou 30 ans : les détails du plan d'arrachage de 10.000 hectares du vignoble bordelais ont enfin été présentés. Obtenu de haute lutte par l'interprofession, ce dispositif très encadré et à l'enveloppe probablement insuffisante face à l'ampleur de la crise, suscite le désarroi de nombreux vignerons en Gironde.
Les détails du plan d'arrachage des vignes dans la région bordelaise ont été présentés aux viticulteurs girondins.
Les détails du plan d'arrachage des vignes dans la région bordelaise ont été présentés aux viticulteurs girondins. (Crédits : Agence APPA)

57 millions d'euros pour subventionner l'arrachage sanitaire de près de 10.000 hectares, soit pas loin de 10 % du vignoble bordelais. Alors que le portail d'inscription doit ouvrir dans les tous prochains jours après le feu vert de Bruxelles, les représentants de l'État et de l'interprofession des vins de Bordeaux ont enchaîné les réunions en Gironde ce lundi 13 novembre pour présenter les détails et le fonctionnement de ce plan très attendu pour répondre à la crise structurelle du vignoble. À Beychac-et-Caillau, entre Bordeaux et Libourne, plus de 200 vignerons et prestataires viticoles sont venus en découvrir les détails et n'ont pas manqué d'exprimer leurs doutes sur son fonctionnement très contraint à tous points de vue.

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Âprement négocié depuis un an par les représentants de l'interprofession (le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux et le Syndicat des vins AOC de Bordeaux & Bordeaux Supérieur), le plan d'arrachage est composé de deux enveloppes pour aboutir à une aide de 6.000 euros par hectare de vignes arrachées. La première abondée par l'État au titre de la renaturation - jachère ou reboisement - est dotée de 38 millions d'euros et vise donc la subvention de 6.300 hectares. La seconde, alimentée par un emprunt de l'interprofession, prévoit 19 millions d'euros pour financer l'arrachage de 3.000 hectares au profit de la diversification agricole, en clair remplacer les vignes par des oliviers, kiwis, chanvre, houblon ou toute autre culture, et même de l'élevage.

Des montants insuffisants

Le problème étant que les pré-inscriptions arrêtées au mois de juillet de 2023 font déjà apparaître une demande supérieure à l'offre pour la 2e enveloppe : « Nous avons déjà plus de 4.000 hectares pré-inscrits, or, si cela se confirme il faudra appliquer un coefficient stabilisateur, qui pourrait être de 60 %, pour que tout le monde puisse être servi à 6.000 euros par hectare. Cela signifie que si vous avez demandé une aide pour dix hectares, vous n'en aurez que pour six », explique Stéphane Gabard. Le président des Bordeaux et Bordeaux Supérieur invite donc les vignerons candidats à basculer une partie des demandes vers la première enveloppe qui dispose encore de fonds disponibles avec moins de 4.000 hectares pré-inscrits pour un potentiel de 6.300.

Mais si les demandes ne se bousculent pas pour cette première enveloppe c'est parce qu'elle emporte des conditions drastiques attachées à chaque parcelle cadastrale. En effet, un viticulteur qui sollicite cette aide à la renaturation s'engage du même coup soit à mettre sa parcelle en jachère pendant 20 ans, soit à la reboiser dans le cadre du label bas carbone qui interdit tout revenu agricole sur la parcelle arrachée pendant 30 ans ! « Cela revient à priver une génération entière de la possibilité de générer des revenus viticoles ! C'est invraisemblable ! », s'alarme un vigneron. « C'est un dispositif qui relève du volontariat, chacun devra prendre une décision en son âme et conscience mais oui le processus de renaturation exclut tout revenu agricole », répond Stéphane Gabard.

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Un calendrier serré

Et les viticulteurs vont devoir se décider rapidement : pour être subventionnables, les travaux d'arrachage devront être réalisés avant le 31 mai 2024 ! Ce qui, entre les délais administratifs et la météo, laisse une fenêtre très étroite. « C'est absolument impossible, il n'y aura jamais assez de prestataires viticoles pour arracher 9.000 hectares de vignes en si peu de temps », s'étrangle un participant. « Pour des raisons sanitaires et d'arrivée de la trésorerie dans les exploitations, l'enjeu est d'aller vite et on sait tous que plus on repousse la date butoir, plus on repousse les travaux », observe Stéphane Gabard, précisant que des dérogations sont néanmoins possibles au cas par cas jusqu'au 1er septembre 2024.

Malgré ce tempo à marche forcée, la trésorerie est aussi un sujet qui coince :

« Est-ce que les banques nous avanceront les sommes pour payer l'arrachage ou, au moins, les acomptes demandés par les prestataires ? Quel sera le délai de versement de la prime d'arrachage ? Quand on n'a plus d'argent, qu'est-ce qu'on fait ? » : les questions fusent dans la salle.

Mais il n'y a pas de dispositif particulier prévu par les banques pour cet outil tandis qu'une représentante de la préfecture précise que « les entreprises en difficultés, au sens du droit de l'Union européenne, ne sont pas éligibles au dispositif ! », suscitant des huées des participants. « C'est le cas des entreprises en liquidation mais, a priori, pas de celles en redressement mais ce point va être éclairci », ajoute-t-elle aussitôt. Seule certitude à ce stade, les cessations définitives d'activité seront prioritaires pour bénéficier des primes.

« Il y a un an, il n'y avait rien »

Enfin, pour être éligibles, les vignes arrachées doivent avoir été exploitées au cours des cinq dernières années tandis que les vignes de moins de cinq ans et celles situées en zones constructibles sont exclues du dispositif. Devant le désarroi et les doutes exprimés par la salle sur ces multiples contraintes, Bernard Farges, vice-président du CIVB, rappelle la dure réalité :

« Il y a un an, il n'y avait rien, aucun dispositif... On a trouvé cet outil conforme aux règles européennes et on a obtenu ces fonds avec ces contraintes. Ce n'est pas parfait mais, je vous le dis, ça ne changera pas ! »

Et Stéphane Gabard de compléter, résolument optimiste : « Le ministre nous a assuré qu'il ne nous laissera pas tomber, si les besoins sont supérieurs à l'enveloppe actuelle, on retournera le voir pour demander une rallonge. Mais pour l'instant, jouons le jeu et inscrivons-nous massivement ! » À l'inverse, dans l'hypothèse peu probable où tous les montants ne seraient pas consommés cette année, le reliquat pourra être utilisé sur une seconde campagne en 2024/2025. Une enveloppe de dix millions d'euros dédiée aux projets de diversifications agricoles a également été débloquée par le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine mais via un guichet distinct.

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Commentaires 5
à écrit le 15/11/2023 à 13:47
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Et pendant ce même temps "on va s'arracher" les flacons de Beaujolais nouveau...

à écrit le 15/11/2023 à 8:03
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Cet arrachage est incompréhensible d'un point de vue écologique, on arrête de faire et défaire la nature on la laisse enfin faire mais entre les technocrates européistes et les hommes de main de l'agro-industrie impossible de prendre parti !

à écrit le 14/11/2023 à 23:20
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Du Bordeaux, on en boirait plus s'il était moins cher et moins il y en aura, plus il sera cher. Heureusement, on trouve d'excellents IGP.

à écrit le 14/11/2023 à 19:02
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Bonjour, bon ils faut arrêter, les vignobles francais se porte bien ( regardez le prix des exploitations) , d'ailleurs l'ons produits trops ( pour une consommation en baisse ) et ons n'exporte pas assez z l'étranger .... Apres avoir donner des sub...

à écrit le 14/11/2023 à 18:10
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ils veulent que l etat finance a 100 % l arrachage ? donc on privatise quand ça va bien et on mutualise ( le contribuable ) quand ça va mal .mieux que le loto !!

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