![Les défaillances d'entreprises dans le secteur du BTP ont bondi de 56 % au dernier trimestre 2023 en Gironde.](https://static.latribune.fr/full_width/2371839/construction.jpg)
Avec une chute de 60 % des ventes de logement neuf à Bordeaux Métropole en 2023, les tensions sur les trésorerie des entreprises du bâtiment se font chaque jour plus fortes. Les défaillances d'entreprises du BTP ont ainsi bondi de 56 % au tribunal de commerce de Bordeaux au dernier trimestre 2023 par rapport à fin 2022 ! Une tendance qui inquiète et qui s'accélère à tel point que la juridiction girondine a reçu ce lundi 13 mai une délégation d'une soixantaine de TPE et PME adhérentes à la Fédération française du bâtiment de Gironde pour les sensibiliser à la palette d'outils de prévention. « Le BTP est avec l'hôtellerie-restauration et le commerce l'un des gros pourvoyeurs d'entreprises en procédures collectives », confirme Marc Salaun, le président du tribunal, qui le répète : « la clef pour s'en sortir c'est l'anticipation ! ».
Mais sur le terrain, la situation est bien souvent chaotique sur les chantiers pour les prestataires comme pour les donneurs d'ordre. Après Anthelios, qui a été liquidé fin 2023, Aqprim a ainsi été placé en redressement judiciaire en mars dernier. Créé en 2011, le promoteur immobilier bordelais, qui cherchait encore début 2023 à financer une filiale dédiée à l'expérimentation de Vertiport, s'est retrouvé en cessation de paiement début février. Son dirigeant Laurent Mathiolon ne souhaite pas s'exprimer sur la procédure en cours mais il n'est pas le seul promoteur à connaître des difficultés.
« Le sujet brûlant de 2024 et 2025 »
« Il n'y a pas un programme où il n'y a pas a minima deux entreprises qui déposent le bilan. Je ne sais même plus vous dire combien de temps dure un chantier... », confesse ainsi Jérôme Goze, directeur général délégué depuis dix ans de La Fab Bordeaux Métropole. Cette Société publique locale a été créée en 2012 pour impulser la construction de 50.000 logements à très long terme. Pour 2024, l'opérateur annonçait 700 logements à livrer. L'objectif est désormais tombé à... 460 unités seulement. « C'est vous dire le niveau d'incertitude et je ne suis pas sûr que ce soit rattrapable en terme de calendrier », s'inquiète Jérôme Goze.
Même constat pour Philippe Rondot, le président de Domofrance, qui décrit « une crise incontestablement violente, sévère et durable qui se transformera tôt ou tard en cocotte minute sociale ». Le bailleur social subit, lui-aussi, un décrochage de moitié entre le nombre de logements autorisés et le nombre de logements réellement construit pour tomber à moins de 900 unités en 2023.
Le bailleur social a ainsi mis trois ans pour faire construire une petite résidence de quinze logements près de Libourne à cause de cinq défaillances successives d'entreprises opérant sur le chantier. « La disparition d'entreprises en cascade c'est le sujet brûlant de 2024 et 2025 pour toute la filière avec le gros risque que la défaillance d'une boîte ou d'un donneur d'ordre en entraîne trois ou quatre autres avec elle », craint un autre promoteur immobilier girondin. Bailleurs sociaux ou promoteurs immobiliers sont tous logés à la même enseigne face à ces difficultés et ces retards de chantiers. Mais les seconds ont nettement moins de latitude que les premiers pour faire le dos rond en termes de trésorerie ou pour conserver du foncier de côté. Les géants - Nexity, Bouygues et Vinci, ont annoncé tour à tour des plans de licenciements ou de départs volontaires.
Et les promoteurs régionaux n'ont pas eu d'autre choix que de couper drastiquement dans leurs effectifs. « On constate entre -30 % et -50 % d'effectifs globalement chez les promoteurs et leurs sous-traitants. C'est logique puisque le nombre de mises en chantier de logements est au plus bas depuis dix ans », annonce Pierre Vital, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers de Nouvelle-Aquitaine. « Un tiers des programmes immobiliers lancés tombent à l'eau. Par sécurité, les banques exigent 50 % de pré-ventes contre un tiers avant la crise sanitaire alors même que les acquéreurs sont moins nombreux car moins solvables. »
Une réalité qui est déjà palpable dans les chiffres de l'Urssaf Aquitaine, dont le président Henri Lourde Rocheblave décrit « un secteur du bâtiment en difficulté par rapport à la moyenne générale mais sans être catastrophique non plus ». À fin avril 2024, le nombre de comptes dans le secteur a diminué de près de 3 % alors qu'il était quasi-stable (-0,32 %) pour le tissu économique général. Même tendance sur l'emploi avec des effectifs qui ont diminué de 2 % dans le bâtiment au 4e trimestre 2023 sur un an tandis qu'ils étaient stables (+0,2 %) tous secteurs confondus.
Des équilibres précaires
Pour continuer à produire du logement neuf, même les acteurs publics sont donc contraints de s'adapter. La Fab doit réduire ses ambitions, notamment sur la mixité. « Si je veux sortir une opération, je suis obligé de détricoter, de séparer l'immeuble en logement social pour qu'il soit livré, et le programme privé qui, lui, sortira peut-être un jour mais on ne sait pas quand... » Au total, l'opérateur a programmé 10.000 logements sur les prochaines années. Mais, plus que jamais, il ne sait donner un calendrier de livraison. Chez Domofrance, ces tensions se traduisent par des arbitrages entre construction neuve et rénovation thermique de l'existant. Et Philippe Rondot de militer pour davantage de liberté dans sa capacité à ventre une partie du parc existant pour dégager des fonds propres.
Dans ce paysage, la Banque des territoires cherche à soutenir les organismes HLM : « On a quasiment réaménagé la dette de l'ensemble de nos bailleurs. Ce n'est pas une mauvaise chose, c'est une adaptation pour continuer à être en capacité de produire », indique Annabelle Viollet, directrice de la Banque des Territoires Nouvelle-Aquitaine. La filiale de la Caisse des dépôts a également réinjecté des fonds propres dans des bailleurs sociaux, comme Aquitanis et Gironde Habitat en novembre dernier.
C'est dans ce contexte que la Banque des Territoires s'est aussi trouvée assaillie de demandes de la part des collectivités. Le prêteur public a augmenté son volume de prêt aux collectivités de 47 % en 2023 en Nouvelle-Aquitaine. Les difficultés d'accès à l'emprunt sont généralisées et les délais s'allongent. « Sur la construction, on l'a vu à tous les échelons : les calendriers se décalent, les coûts s'envolent pour tout le monde. C'est la commande publique qui tient le marché », observe Annabelle Viollet.
Du côté des promoteurs, Pierre Vital tente néanmoins de relativiser les déboires rencontrés sur les chantiers : « Comme il y a beaucoup d'entreprises disponibles on obtient des réponses rapidement en cas de défaillance d'un prestataire et on peut même choisir les entreprises ce qui était impossible il y a quelques temps... Mais c'est une réalité, les délais restent aussi longs qu'imprévisibles. » Et la situation risque de durer compte tenu de l'immobilisme du gouvernement. Aucun des professionnels interrogés n'entrevoit à ce stade de lumière au bout du tunnel.
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