
Seulement 11.100 logements ont été mis en chantier entre le 1er février 2022 et le 31 janvier 2023 en Gironde. Une chute de 29 % sur un an, contre seulement -6 % au plan national. Il faut remonter à l'été 2009, au lendemain de la crise financière, pour retrouver un étiage aussi bas. La construction neuve s'effondre dans un département qui accueille toujours environ 20.000 nouveaux habitants chaque année. Une tendance d'autant plus inquiétante qu'elle va mécaniquement s'amplifier dans les six à douze mois puisque les permis de construire suivent peu ou prou la même courbe (-10 % sur un an) tout comme les mises en ventes et les ventes, en repli d'environ 30 % au dernier trimestre 2022. Ce marché qui tourne au ralenti donne des sueurs froides aux professionnels :
« L'année 2023 va être très mauvaise avec une crise de la demande qui vient s'ajouter à la crise de l'offre que nous connaissons depuis la pandémie », résume sans détour Pierre Vital, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de Nouvelle-Aquitaine.
La hausse des taux, le durcissement des crédits immobilier et l'inflation viennent en effet s'ajouter aux problématiques de flambée des coûts de l'énergie et des matières premières déjà prégnantes. « Les prix commencent à s'ajuster dans l'ancien mais dans le neuf on attend tant qu'on n'a pas l'équilibre économique de l'opération qui est devenu très difficile à trouver. D'autant que les banques sont de plus en plus exigeantes avec nous », précise le promoteur. Concrètement, cela se traduit déjà par des programmes immobiliers décalés, gelés ou tout simplement annulés, à l'instar d'une opération de 25 logements récemment abandonnée à Bordeaux.
« Ils ont la boule au ventre »
Dans ce contexte, les professionnels alertent sur la suite des évènements. Selon la Fédération française du bâtiment de Gironde, les carnets de commandes des entreprises offraient de huit à douze mois de visibilité il y a un an, ils sont tombés à quatre mois :
« Ceux qui ne rentrent pas de chantiers aujourd'hui, ils ont la boule au ventre ! Si rien ne se passe du côté des décideurs publics et des maîtres d'ouvrage publics, le second semestre sera mauvais sur le plan de l'emploi. Beaucoup d'entreprises freinent déjà sur le recrutement », témoigne Thierry Leblanc, le président de la fédération.
Même inquiétude chez les architectes, qui interviennent au début de la chaîne de la construction. « Les rares projets qui se lancent prennent trois fois plus de temps à sortir. Ça entraîne des tensions très fortes sur la trésorerie des agences. Certaines ont déjà fermé », confie une architecte bordelaise. « Il n'y pas le feu en la demeure aujourd'hui malgré davantage de situations compliquées avec huit agences en difficulté recensées dans la région en janvier dernier contre deux un an plus tôt », tempère Matthieu de Marien, le vice-président de l'Ordre des architectes de Nouvelle-Aquitaine.
Un impact encore limité sur l'emploi
Les promoteurs semblent pour l'instant serrer les dents et, sur un marché proche du plein emploi, ils font le dos rond pour conserver leurs salariés et s'éviter ainsi de nouveaux maux de têtes liés au recrutement. « Il n'y a pas eu de plans de licenciements ni de gel à ma connaissance même si certains départs ne sont pas remplacés », rassure Pierre Vital, de la FPI, avant d'aussitôt nuancer : « Mais si les permis ne redémarrent pas, on aura des problèmes. Je suis très inquiet parce que le marché est chahuté depuis six mois et on ne tiendra pas douze de plus...». Son homologue de la FFB de Gironde ne dit pas autre chose :
« Le bâtiment est aujourd'hui à un plus haut historique, c'est 31.000 emplois direct en Gironde. Là-dedans, le logement neuf pèse 12.000 emplois, donc un décrochage de 10 % du marché, c'est 1.200 emplois directement menacés ! », agite Thierry Leblanc.
Mais, pour l'instant, ces cris d'alarme ne se reflètent pas dans les chiffres du Tribunal de commerce de Bordeaux, comme son vice-président, Marc Salaun, le confirme sans céder à l'optimisme : « Il y a une hausse générale des liquidations, tous secteurs confondus, mais pas de rebond majeur dans le bâtiment. En revanche, si les promoteurs ne peuvent pas relancer leurs chantiers, ça risque de peser lourd dans quelques mois... »
Le marché des maisons individuelles, qui fonctionne avec des cycles plus courts, est le premier à prendre l'eau, touché à la fois par la conjoncture défavorable et par la lutte contre l'artificialisation des sols. En France, les ventes de maisons ont diminué de -31 % en 2022, selon la FFB. La faillite en 2022 de Geoxia, le constructeur des maisons Phénix déjà mal en point, avait suscité des craintes. « On est rentrés dans une crise généralisée », prévient Sylvain Massonneau, vice-président de la FFB en charge des maisons individuelles. « Chaque semaine, des adhérents cessent leur activité pour des raisons économiques et le phénomène s'accélère. » Des signaux qui doivent alerter toute la filière, juge Christian Birbaud, le directeur régional d'Eiffage construction et immobilier dans le Sud-Ouest : « La maison individuelle est un bon indicateur de ce qui attend l'ensemble du marché douze mois plus tard. Il faut donc prendre la situation très au sérieux ! » Hexaom, le numéro un français, a enregistré l'an dernier une perte nette de 38 millions d'euros et une chute de 29 % de ses commandes. Dans le Sud-Ouest, le leader régional IGC est lui aussi en difficulté après une chute d'environ 40 % de ses commandes au second semestre. Selon nos informations, il a lancé en février une procédure d'information-consultation en vue d'un éventuel plan de sauvegarde de l'emploi visant à supprimer au moins dix postes. Sollicité par la Tribune, sa maison-mère Procivis dément et assure qu'elle « annoncera très prochainement des résultats largement bénéficiaires ».« Crise généralisée pour la maison individuelle »
Le risque de désorganiser la filière
Si ces potentiels licenciements inquiètent les professionnels, ils craignent aussi une désorganisation de la filière. « Il y a une inquiétude bien réelle pour les plus petites entreprises qui sont déjà fragilisées par les années Covid et la hausse de leurs coûts », souligne Christian Birbaud, le directeur régional d'Eiffage construction et immobilier.
Après des années très fastes pour la construction dans l'agglomération bordelaise, attirant promoteurs et architectes de toute la France et au-delà, le gâteau s'est soudainement rétréci ces dernières années avec la fin des grandes opérations, a fortiori ces derniers mois. « On atteint une forme de point de rupture qui peut aller très vite dans la descente ! La construction de logements c'est une chaîne de compétences qu'il faut préserver au risque de déstabiliser l'ensemble », pointe Thierry Leblanc. Tous mettant en avant le ratio symbolique de deux emplois créés pour un logement construit.
Faut-il relancer la machine ?
Dans ce contexte qu'ils jugent aussi déprimant qu'inquiétant, les promoteurs et constructeurs sont unanimes pour réclamer des décisions politiques fortes et rapides. Et ils ont déjà élaboré des propositions : fléchage de la TVA vers le budget communal au-dessus d'un certain volume de construction, nouveau prêt à taux zéro, pause normative, création d'un statut du bailleur adapté, ou encore création d'un dispositif d'investissement locatif plus attractif que le « Pinel Plus » version 2023 qui est un flop.
Mais est-il bien raisonnable de relancer la machine alors que le bâtiment, en France, pèse 43 % des consommations énergétiques et 23 % des émissions de gaz à effet de serre ? Contraints ou convaincus, les professionnels sont d'ailleurs plus nombreux à se tourner vers la réhabilitation des bureaux, logements et autres parkings. Un marché qui se compte en centaines de milliers de mètres carrés. « C'est évidemment une piste d'avenir mais ce sont des métiers différents, il faut du temps pour s'adapter », nuance Thierry Leblanc tandis que la FPI Nouvelle-Aquitaine lancera en 2023 un prix dédié à ce type d'opération. « Je suis plutôt optimiste sur la transition vers la réhabilitation, la densification, la revalorisation des friches. Les perspectives de la maison individuelle se réduisent, il faut s'adapter ! Les architectes poussent pour cela, il faut que les maîtres d'œuvre suivent », insiste Matthieu de Marien. Tous les professionnels de la construction le répètent : les maires n'utilisent en moyenne que 60 % du potentiel de construction des plans locaux de l'urbanisme qu'ils ont eux-mêmes voté ! La balle est aussi dans leur camp.
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