« Il y a des robots autonomes dans les vignes, ce n'est plus de la science-fiction ! »

ENTRETIEN. « Il semble envisageable d'aller jusqu'à confier aux robots des travaux de la vigne tels que le rognage voire l'épamprage à l'horizon 2025 ou 2026 », assure Nathalie Toulon, ingénieure à Bordeaux Sciences Agro et responsable de son Digilab. Quelques jours après la tenue de VI-TIC, une journée dédiée à l'innovation numérique et robotique au service de la filière viti-vinicole, elle esquisse les tendances de ce marché émergent.
Le robot autonome Bakus de l'entreprise VitiBot enjambe les rangs de vigne pour travailler la terre.
Le robot autonome Bakus de l'entreprise VitiBot enjambe les rangs de vigne pour travailler la terre. (Crédits : VitiBot)

LA TRIBUNE - Quelle place occupent les logiciels, drones, robots et autres solutions connectées dans la situation actuelle du vignoble ?

Nathalie TOULON - Le vignoble se trouve dans une phase de transitions qui soulève beaucoup de questions et d'incertitudes. C'est vraiment une période charnière avec des choix à prendre pour s'adapter au changement climatique et à la transformation agroécologique. Ces enjeux questionnent tous les viticulteurs et supposent de prendre des décisions dès aujourd'hui. Les technologies numériques ou robotiques peuvent apporter une partie de ces réponses parmi beaucoup d'autres leviers  liés au matériel végétal, comme les cépages, à la gestion de l'eau ou encore au travail du sol.

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Quelles sont aujourd'hui les solutions disponibles sur le marché et réellement utilisées par les vignerons ?

Il y a plusieurs catégories de solutions. La première catégorie relève des outils de gestion de l'exploitation viticole et de traçabilité des interventions réalisées dans les vignes et dans les chais. Ces logiciels permettent d'agréger des données importantes, mais complexes à traiter et analyser. Ils s'enrichissent aujourd'hui de fonctionnalités utiles pour gérer la transition agroécologique.

Ensuite, il y a les outils d'aide à la décision qui peuvent s'appuyer sur des données collectées par des capteurs connectés et qui visent l'agriculture de précision, c'est-à-dire, par exemple, de mettre la bonne dose de produit phytosanitaire au bon endroit et au bon moment. Cela peut être des capteurs et caméras sur des engins agricoles ou sur des drones pour produire et traiter de la donnée en continu, éventuellement grâce à des algorithmes voire de l'intelligence artificielle embarquée. Cela permet de cartographier la vigueur de la vigne ou de détecter l'apparition de maladies.

On est là sur des outils encore assez nouveaux mais leur intérêt est de généraliser la détection des problèmes à grande échelle dans toutes les parcelles. Et cela permet d'élaborer des cartographies de préconisations pour gérer finement l'intervention des vignerons.

Nathalie Toulon

Nathalie Toulon est ingénieure à Bordeaux Sciences Agro et responsable de son Digilab (crédits : Eva Boisson Tourne Sol Studio).

Qu'en est-il des engins robotisés ?

Ce n'est plus de la science-fiction, il y a des robots autonomes qui trouvent des clients et opèrent dans les vignes ! Cela correspond à des tâches de travail du sol, par exemple pour limiter l'usage de produits désherbants grâce à des robots tondeurs ou de binage (1). Il faut bien avoir en tête que ces robots ne peuvent pas répondre à toutes les configurations des parcelles de vignes, il faut envisager le sujet au cas par cas.

En ce qui concerne les drones, leur positionnement en viticulture reste plus incertain. La grande attente des vignerons est de pouvoir pulvériser leurs produits à distance grâce à ces engins volants mais ce n'est pas encore autorisé. Aujourd'hui, les drones sont utilisés pour le biocontrôle et l'acquisition d'images des parcelles de vignes.

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Jusqu'où peut-on imaginer aller dans les travaux viticoles qui pourraient être confiées à des robots ?

Il semble envisageable d'aller jusqu'à confier aux robots des travaux de la vigne tels que le rognage voire l'épamprage (2) à l'horizon 2025 ou 2026. À un peu plus long terme, les tâches autour de la pulvérisation des produits phytosanitaires sont attendues par les vignerons pour des raisons de santé. Pour la taille de la vigne, nous n'y sommes pas encore... Mais il y a aujourd'hui beaucoup de travaux de R&D et d'expérimentation sur ces sujets.

Ces outils sont-ils déjà communs ou encore réservés à une poignée d'exploitations ?

On est encore dans une phase d'utilisation par des pionniers même si l'objectif est bien évidemment d'en diffuser plus massivement les usages. Il y a l'obstacle du coût liés à ces outils et des formations pour les utiliser. Mais il faudra aussi, en parallèle, développer toute la chaîne de services associés à ces logiciels et outils notamment autour de l'arpentage des parcelles, du traitement de la donnée, de l'alimentation énergétique ou encore des modèles de distribution. Cela pose aussi la question du modèle économique retenu pour diffuser ces outils et qui peut passer par la vente ou par la location. Pour l'instant, la location a du mal à permettre un retour sur investissement pour les fabricants donc ces derniers se tournent plutôt vers la vente à l'unité, que ce soit en direct ou via des distributeurs spécialisés.

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Compte-tenu du coût de ces solutions, leurs usages peuvent-ils pousser vers une augmentation des tailles des exploitations ?

Non, pas nécessairement, car il y a aussi des réflexions avec le réseau des CUMA (coopératives d'utilisation des matériels agricoles) qui ont un rôle à jouer pour mutualiser les coûts de ces nouveaux outils qui répondent seulement à certaines tâches et sous certaines conditions. Mais cela interroge en effet la rentabilité en fonction de la nature de la parcelle, de sa surface et de son organisation. Est-ce que l'utilisation des drones ou des robots aura un impact sur la configuration des vignobles en poussant vers une forme de standardisation ? Peut-être mais il est trop tôt pour le dire. Est-ce que le vignoble doit s'adapter au robot ou l'inverse ? Pour l'instant les fabricants semblent plutôt sur la deuxième tendance mais il faudra davantage de références technico-économiques pour avoir plus de certitudes.

Et n'oublions pas qu'il ne faut pas se focaliser sur les gros robots autonomes. Il y a en réalité beaucoup de déclinaisons hybrides possibles entre le capteur et le robot autonome pour répondre aux différents besoins des viticulteurs.

(1) Le binage consiste à ameublir la couche superficielle du sol autour des plants de vigne.

(2) L'épamprage consiste à débarrasser un cep de vigne des rameaux afin de favoriser la maturation des branches fruitières porteuses de raisin.

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Commentaires 3
à écrit le 23/07/2024 à 11:13
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Naio Technologies a plus de 300 robots dans les champs dont les vignes...

à écrit le 22/07/2024 à 15:40
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Un robot...avec un p'tit peu d'IA siouplait! Pas pour moi, et le peu de vin que j'achète chez les vignerons que je connais sont dans une démarche bio et en vendanges manuelles. Mon choix est désormais restreint...😒

à écrit le 22/07/2024 à 7:50
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Là où nous avons le plus besoin de la robotique c'est pour remplacer les produits chimiques et le gaspillage massif d'eau par le système agro-industriel, tout comem en médecine d'ailleurs, le lobby chimique étant tellement rétrograde que la robotique...

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