Dans le vignoble bordelais, ils témoignent de l’ampleur de la crise

Qu'ils soient ou non favorables à un arrachage ponctuel ou définitif de 10.000 ou 25.000 hectares de vignes, les vignerons qui manifestaient ce 6 décembre témoignent dans nos colonnes d'une situation inédite. Cette nouvelle crise qui marque peut-être un virage historique dans ce grand vignoble bordelais de près de 120.000 hectares ressemble aujourd'hui pour beaucoup à une catastrophe. D'autant qu'aucun responsable politique n'a encore trouvé l'équation pour financer ce programme d'arrachage, qui devrait être aussi un plan de désendettement pour les viticulteurs les plus en difficulté.
Les premiers tracteurs d'un long cortège lors de la manifestation de ce mardi 6 décembre.
Les premiers tracteurs d'un long cortège lors de la manifestation de ce mardi 6 décembre. (Crédits : Agence Appa)

Le niveau de mobilisation atteint par la manifestation des viticulteurs girondins de ce mardi 6 décembre a satisfait les vignerons, les ouvriers agricoles et fournisseurs des domaines présents même si toutes les appellations n'avaient semble-t-il pas mobilisé avec autant de volontarisme que l'Entre-Deux-Mers.

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Après avoir indiqué les endroits du parcours où seraient accrochés les deux pendus faits en ceps de vigne, pour dénoncer la situation de nombreux vignerons poussés au suicide et confirmé que la profession était au bord de la catastrophe, Didier Cousinet, viticulteur et maire du Pian-sur-Garonne (Sud Gironde), porte-parole du collectif Viti33, organisateur du mouvement, a temporisé.

« Nous ne tirons sur personne. Aujourd'hui, nous sommes tous unis, mais quand même nous sommes obligés de manifester. J'en appelle aux élus politiques de tous bords », a déclaré le leader viticole, à un public où figuraient des maires, députés et sénateurs.

Comme souvent en agriculture, de nombreux viticulteurs qui étaient présents continuent à travailler même à la retraite.

« J'étais ingénieur et je me suis retrouvé avec deux activités »

Ce qui est le cas de Jean-François Thillet, maire de la petite commune de Blésignac (300 habitants), dans l'Entre-Deux-Mers, qui a un parcours qui pourrait paraître très original mais qui ne l'est pas tant que ça dans un secteur agricole où bien souvent c'est le salaire de la conjointe ou du conjoint travaillant à l'extérieur de l'exploitation qui permet de faire bouillir la marmite.

« Je suis viticulteur retraité, avec un domaine de 34 hectares. Bien sûr je suis favorable à l'arrachage pour réguler la production. Je suis âgé de 72 ans et j'ai deux employés. C'est très compliqué parce qu'au départ j'étais ingénieur. J'ai accepté de reprendre l'exploitation familiale et je me suis retrouvé avec deux activités professionnelles à gérer en même temps. La crise est devenue très dure depuis quatre ou cinq ans.

Je produits pour la cave coopérative de Sauveterre-de-Guyenne, mon vin est vendu en bouteilles mais comme ça ne va pas, je suis obligé de renflouer financièrement l'exploitation. Heureusement que mon épouse était cadre bancaire, ça aide... Mais ce domaine n'intéresse personne. Je crois même que si on voulait le donner personne n'en voudrait », risque le maire de Blésignac.

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Jean-François Thillet est convaincu, comme les autres manifestants, que le temps presse, parce que la situation a atteint un niveau critique.

« Le fait que l'arrachage demandé le soit à titre définitif, sans possibilité de retour à une culture de la vigne, ne me choque pas, étant donné l'écart qui s'est creusé entre la production, de l'ordre de 5 millions d'hectos par an, et les ventes, qui ne dépassent plus 3,5 millions d'hectos. Il faut aller vite car la tension monte et des viticulteurs en difficulté se sont déjà pendus. Il y a eu des suicides et il y en aura d'autres si rien ne bouge. La situation est si grave que ce désespoir touche désormais des viticulteurs dans la région de Saint-Emilion. »

« Je veux pouvoir planter d'autres cépages »

Producteur de bordeaux bio à la tête de Château Picaron, à Moulon (près de Libourne), certifié Ecocert depuis 2010, Sébastien Verouil dispose d'un site marchand en ligne. Présent à la manifestation de ce mardi 6 décembre, il est favorable à l'arrachage mais pas à titre définitif.

« Oui, je suis opposé à l'arrachage à titre définitif parce que je veux pouvoir planter d'autres cépages que ceux que je cultive actuellement. Je commercialise la production de mes 24 hectares de vigne pour moitié en coopérative et en vente aux particuliers, par le circuit des négociants, des courtiers et des cafés-hôtels-restaurants. Le vignoble produit trop de bordeaux et nous n'arrivons pas à le vendre !

La prime à l'arrachage devra être équitable et raisonnée car il ne faudrait pas détruire nos paysages. Si on arrache, qu'est-ce que l'on mettra à la place : des bois ? Dans tous les cas la situation est critique. Depuis le Covid, c'est la dégringolade. Il y a eu juste un petit coup de reprise à la sortie du confinement et puis ça s'est très vite effondré », rembobine en substance pour La Tribune Sébastien Vérouil.

Manifestation Vignerons Bordeaux

La place des Quinconces à l'heure des braséros en attendant l'arrivée de nouveaux bus de vignerons (Agence Appa).

« Il faut au moins arracher 25.000 hectares »

Co-gérant du château Gombaude-Guillot, en Pomerol, qui produit en bio, et porte-parole de la Confédération paysanne de la Gironde, qui a également appelée à la manifestation, Dominique Techer combat depuis des lustres le modèle de gestion du vignoble prôné par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), dont il critique une vision productiviste déconnectée de la réalité.

« La mobilisation existe, elle est là ! Il y aura peut-être un miracle tout à l'heure. Un magicien va peut-être arriver avec un chapeau et en sortir un lapin blanc... Quoi qu'il en soit la Région a la compétence économique, c'est l'acteur central. Mais il ne faut pas rêver : ce n'est pas au dernier moment que l'on invente une diversification. L'arrachage de 30.000 hectares de vigne dans le Bordelais, c'est le thème de notre campagne pour les élections de 2019... 15.000 hectares ce n'est rien, il faut au moins arracher 25.000 hectares !

Et même si l'on ne peut pas tout faire d'un même mouvement, il faudra bien commencer à arracher... Parce que là, la campagne 2023 est déjà dans les tuyaux et on va continuer dans l'expansionnisme. La Chine c'était un miroir aux alouettes, une transition, pas un marché qui pouvait durer mais des tas de conseillers ne l'ont pas compris ».

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« Les problèmes structurels n'ont pas été réglés »

Député (Renaissance) de la Gironde, Pascal Lavergne est un élu de la 12e circonscription, qui rayonne sur l'Entre-Deux-Mers (rive droite de la Garonne) et déborde dans sa partie sud sur la rive gauche du fleuve, vers Langon et fait partie des territoires girondins très marqués par la viticulture. C'était l'un des nombreux élus présents lors de la manifestation, représentant différentes sensibilités : d'extrême-droite, de droite, du centre et de gauche.

« En 2020, des mesures de distillation du vin ont été prises pour régler des problèmes conjoncturels. Mais les problèmes structurels n'ont pas été réglés puisqu'on ne peut pas vendre plus de 3,5 à 4 millions d'hectos par an, alors qu'on produit 5 millions d'hectos. La prime à l'arrachage n'est là que pour désendetter les viticulteurs qui sont au bord du gouffre », recadre en substance le député.

Pascal Lavergne demande à ce que des solutions adaptées aux différentes situations que peut connaître le vignoble soient appliquées dans le cadre de la restructuration des exploitations sorties pour tout ou partie de la culture de la vigne. Avec notamment des choix conformes aux enjeux de la transition énergétique, qu'il s'agisse par exemple de développer la méthanisation ou l'agrivoltaïsme.

« Le problème c'est qu'il n'existe pas d'outil juridique pour financer cette mécanique d'arrachage de la vigne. Il faut recréer une boîte à outils dédiée aux financements...», souligne le député.

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Le député girondin appelle le président de Région à se positionner à ce sujet, tout en plaidant pour la création rapide d'un fonds d'intervention associant Région, Etat, peut-être même le Département et l'ensemble des acteurs susceptibles d'être financièrement mobilisés. Cette demande d'intervention de la Région a fait le tour des manifestants auxquels Alain Rousset, président (PS) de la Nouvelle-Aquitaine, a répondu en fin de manifestation ce mardi 6 décembre pour préciser de son côté qu'il n'a pas le droit d'intervenir financièrement sur ce dossier mais qu'il relaiera et soutiendra les demandes des vignerons auprès de l'Etat.

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Commentaires 3
à écrit le 08/12/2022 à 7:20
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Pourquoi tous ces reportages à la télévision qui valorisent la viticulture, qui nous donnent l'impression qu'il s'agit d'une culture plus noble que les autres ? Pourquoi tant de surface agricole consacrée au vin en France et dans le monde alors que l...

à écrit le 07/12/2022 à 22:46
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Quand je vois l augmentation depuis 10 ans et le prix des bouteilles de sub je ne dois pas être le seul consommateur qui se soit détourné du vin pour le cidre fermier ou la bière. Artisanale 4-10 fois moins cher ..

le 09/12/2022 à 3:09
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4/10 fois moins de travail 🤣🤣🤣🤣

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