Travailleurs des plateformes : le dialogue est rompu à l'approche des élections

Les élections professionnelles des chauffeurs et livreurs indépendants doivent se tenir fin mai sous l'égide de l'Autorité de régulation des plateformes d'emploi. Mais sur le terrain, les travailleurs d'Uber Eats ou Deliveroo ne comptent pas se mobiliser, déçus par des accords sans effet sur leur situation de grande précarité.
Maxime Giraudeau
Les précédentes élections professionnelles des chauffeurs et livreurs indépendants en 2022 n'avaient attiré que des 3,9 % et 1,8 % des personnes concernées.
Les précédentes élections professionnelles des chauffeurs et livreurs indépendants en 2022 n'avaient attiré que des 3,9 % et 1,8 % des personnes concernées. (Crédits : PHIL NOBLE)

Une relation qui déraille. Le 4 avril, les représentants de l'Autorité de régulation des plateformes d'emploi (Arpe) étaient de passage à Bordeaux pour informer sur les élections professionnelles à venir du 22 au 30 mai. La Maison des livreurs, lieu d'accueil pour les travailleurs éprouvés par les conditions de travail éreintantes, a refusé de les recevoir. Une certaine illustration du malaise entre le terrain et cette autorité créée pour accompagner le dialogue social.

« On n'a pas souhaité les rencontrer car la totalité des livreurs que j'ai croisé à Bordeaux et à Paris disent être déçus et ne pas voir les avantages de l'Arpe. Pour eux, le dialogue social à la française est un échec car depuis trois ans il n'y a eu aucune avancée », relaie Jonathan L'Utile Chevallier, coordinateur de la Maison des livreurs de Bordeaux.

Premiers accords obtenus

Un lieu qui, depuis son inauguration en février 2023, a accompagné 200 livreurs qui travaillent pour Uber Eats, Deliveroo ou Stuart face à leurs difficultés administratives ou dans leurs démarches de santé. Mais à un mois et demi des élections professionnelles qui se tiendront en ligne, l'appel aux urnes ne se fait pas sentir. « Chez les livreurs que l'on voit, aucun ne compte voter parce qu'ils ne croient pas en ces élections », opine le coordinateur.

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En mai 2022, les chauffeurs de VTC d'un côté et les livreurs des plateformes de l'autre avaient élu leurs représentants à l'occasion des premières élections professionnelles de ces deux secteurs. Avec des taux de participation dérisoires : 3,9 % et 1,8 %, représentant 1.500 votants, alors que l'Arpe dénombre 47.000 chauffeurs VTC et 84.000 livreurs. Associations et syndicats élus ont par la suite mené des négociations avec les plateformes. Elles sont parvenues à obtenir des accords pour une valorisation horaire minimale et pour encadrer la rupture des relations salariales. Des avancées contestées par les travailleurs.

« On leur annonce une rupture de contrat car ils n'auraient pas respecté la charte éthique de la plateforme, avec des anomalies dans les commandes, un non-respect de la clientèle, sauf que les dates, les clients concernés ne sont jamais communiqués aux livreurs, s'offusque le coordinateur. J'imagine que les plateformes se permettent de se débarrasser des livreurs les moins performants. »

Objectif 5 % de participation

L'Arpe quant à elle met en avant dans ses communications les premiers accords obtenus et compte sur ces réalisations pour mobiliser davantage. « Notre objectif c'est d'obtenir une progression de la participation, on sera satisfaits si on arrive à obtenir 5 % dans les deux secteurs », estime Joël Blondel, directeur général de l'Arpe, tout en parlant d'un « dialogue social qui fonctionne et bien vivant ». L'instance organisatrice des élections manque pourtant de relais de terrain. Pour tenter de mobiliser, elle va appeler au vote via les données récupérées sur les listes électorales, ce dont elle ne disposait pas en 2022. Or, une partie des travailleurs ne dispose pas de papiers d'identité français et passe ainsi sous les radars.

Les revenus moyens des courses

En 2022 selon les données transmises à l'Arpe, les rémunérations moyennes des livreurs de repas étaient de 4,42 euros chez Uber Eats, 6,97 euros chez Stuart et 5,60 euros chez Deliveroo. La durée moyenne des courses est comprise entre 10 et 13 minutes. Côté VTC, les rémunérations des courses oscillent entre 15 et 38 euros, alors que huit opérateurs se partagent le marché.

VTC et livreurs devront chacun choisir leurs représentants parmi neuf syndicats ou associations candidates. Pour être élue, une organisation doit rassembler au moins 8 % des voix. Elle dispose ensuite dans les négociations avec les plateformes d'une représentativité proportionnelle au score obtenu. En 2022, l'Association des VTC de France (AVF) et la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE) étaient arrivées en tête. Mais les organisations élues peinent à capter un public peu syndiqué et organisé.

Des travailleurs dans l'ombre

L'Arpe dit elle-même pâtir de l'absence de données démographiques sur les populations de travailleurs. Qui sont-ils ? Des hommes à 99 % âgés de 28 ans en moyenne, mais au-delà quelle est leur situation administrative ? Sont-ils logés correctement ? Quel est le revenu moyen ? Combien de temps reste-t-on livreur en moyenne ? Autant de questions sans réponses. Des études sont à venir. « On va pouvoir collecter un certain nombre d'informations auprès des plateformes grâce à une évolution législative. On souhaite améliorer la connaissance par des travaux d'études statistiques », projette Joël Blondel.

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Une étude menée par Médecins du monde est en cours à Bordeaux. Les situations type sont, elles, déjà connues. « L'immense majorité n'a pas d'hébergement décent, une situation de santé fortement abîmée due à une souffrance physique pour des livreurs qui travaillent 10 à 12 heures par jour, 6 à 7 jours sur 7 », montre Jonathan L'Utile Chevallier. 30 % des auto-entreprises du secteur seraient par ailleurs domiciliées dans des structures d'accueil des publics précaires. Une insécurité sociale qui persiste alors que les dernières négociations sur la rémunération, conduites en janvier et février, sont restées lettre morte. En mars, l'Union européenne a en revanche ouvert la voie à une présomption de salariat par une directive, mais que la France n'a pas soutenue.

Maxime Giraudeau

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Commentaires 6
à écrit le 10/04/2024 à 16:33
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Ben oui, après avoir fait ami ami avec le président d'uber, macron a ensuite empêché en europe la mise en place d'une législation, et la création de droits sociaux! Du coup, leur précarité, c'est bien macron qui le souhaite ! Et comme d'hab, silen...

à écrit le 10/04/2024 à 12:11
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Ces plateformes devraient étre interdites: elles emploient de la main d œuvre arrivée illégalement , les exploitent et ne payent ni cotisations sociales ni impôts .. que fout Lemaire et Attal qui recherchent des milliards?….

le 10/04/2024 à 16:34
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ils ne vont pas taxer les amis de macron ! il faut se rappeler pourquoi ils sont dans une grande précarité ! ils le doivent au président du pays.....

à écrit le 10/04/2024 à 12:08
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Les gens s émeuvent mais les jeunes consommateurs qui ne font pas la cuisine par paresse et facilité soutiennent un système mafieux et digne de Charles Dikens … autant de cotisations sociales et de retraites en moins et l état ira dire qu il est en...

le 13/04/2024 à 9:30
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Merci monsieur "c'est la faute aux autres !" LOL ! ^^

à écrit le 10/04/2024 à 10:10
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Le dumping social, ce fléau imposé par notre classe dirigeante. Le néolibéralisme n'est qu'un nihilisme, les néolibéraux ne sont que des nihilistes, suffit de les écouter parler. Du moins quand ils y arrivent...

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