Dans la rue, les vignerons bordelais réclament des fonds pour arracher 10 % du vignoble

Les vignerons girondins ont manifesté en nombre ce mardi matin dans les rues de Bordeaux pour obtenir le droit d'arracher au moins 10.000 hectares, sinon 15.000, assorti d'une prime à l'hectare. Le montage de cette forme de "plan social" est loin d'être acquis et le financement correspondant, de l'ordre de 150 millions d'euros, semble très difficile à trouver.
Les manifestants devant l'entrée du Bar à vin du Comité interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).
Les manifestants devant l'entrée du Bar à vin du Comité interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). (Crédits : Agence Appa)

"Viticulture abandonnée/Misère dans le Bordelais", "Un plan social pour la viticulture", "Agriculture, un suicide par jour" : de nombreuses affichettes collées sur de petits panneaux d'aggloméré ou des chasubles en carton posées sur les épaules témoignaient du désarroi des vignerons du Bordelais qui ont organisé une manifestation très suivie dans le port de la Lune ce mardi matin 6 décembre, avec 27 tracteurs à l'appui. Cette profession qui joue un rôle socio-économique central depuis au moins le XIIIe siècle dans la région bordelaise est prise dans un contexte économique qui a rarement été aussi sombre.

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Ex-président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et viticulteurs Bernard Farges souligne les paramètres qui font de la crise viticole dans le vignoble bordelais un phénomène plus explosif qu'ailleurs :

« Tous les producteurs de rouge sont touchés, comme ceux qui commercialisent via la GMS (grandes et petites surfaces) et qui ont beaucoup vendu en Chine. Or 90 % de la production des vins de Bordeaux c'est du vin rouge, énormément commercialisé via la GMS, avec un vignoble bordelais qui était très présent en Chine. Donc à Bordeaux on se prend tous ces points chauds de plein fouet. Sans compter la chute de la consommation de vin en France, qui a reculé de 30 % en dix ans », déroule Bernard Farges comme on décrypte une catastrophe ferroviaire ou aérienne.

Un chiffre d'affaires passé de 400.000 à 250.000 euros

Tous les manifestants de ce mardi matin, venus massivement de l'Entre-Deux-Mers, région viticole girondine située entre la Garonne au sud et la Dordogne au nord, sont d'accord pour que soit menée une politique d'arrachage de la vigne moyennant une prime à l'hectare, car la situation de nombreux viticulteurs est devenue très critique, pour ne pas dire désespérée. Les chiffres qui circulent sur l'ampleur de l'arrachage oscillent entre 10.000 et 15.000 hectares primés à 10.000 euros l'hectare, soit près de 10 % de la surface totale du vignoble. Bousculé par des crises à répétition sur le long terme, que tous les professionnels de la vigne connaissent, le vignoble bordelais semble s'être enfoncé dans une nouvelle crise historique depuis le premier plan de relance adopté par le CIVB il y a une dizaine d'années.

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Mais un événement extraordinaire est semble-t-il venu fracasser le fragile équilibre qui permettait à tout le monde de tenir le coup tant bien que mal, comme le raconte ce vigneron girondin :

« Depuis la crise sanitaire du Covid-19 c'est la folie ! Avant c'était dur mais là c'est vraiment devenu fou. Notre chiffre d'affaires est passé de 400.000 euros à 250.000 euros après le Covid et là on me demande de faire 80.000 euros d'économies supplémentaires ! J'ai deux filles qui travaillent avec moi mais nous allons les licencier. Et nous ne serons plus que deux pour travailler le vignoble, qui fait 73 hectares !

C'est d'autant plus fou que le tonneau de vin en vrac est désormais coté autour de 700 euros, ce qui représente 50 % de nos coûts de revient, qui oscillent entre 1.200 et 1.300 euros ! Et aujourd'hui tout augmente : les intrants, le matériel pour la culture, les salaires... Je travaille avec la coopérative de Sauveterre-de-Guyenne mais les avances que je touche ne me permettent plus que de financer un mois sur deux », déroule Frédéric Salagnac, propriétaire de Château Du Giron.

Manifestion vignerons Bordeaux 06122

La manifestation après son départ de la place des Quinconces (Agence Appa)

Etranglé par la chute des ventes et l'inflation, il doit rembourser le PGE

Si la question de l'arrachage primé semble faire consensus chez les manifestants, le fait de savoir si cette opération doit être réalisée à titre réversible ou définitif est moins fédératrice. Parce qu'elle pose la question de savoir quelle activité succèdera à la culture de la vigne. Allan Sichel, président du CIVB, a déjà fait savoir qu'il s'opposerait à toute artificialisation des parcelles arrachées. Position qui ne semble pas faire débat.

« Oui, je suis favorable à l'arrachage définitif, reprend Frédéric Salagnac. On nous avait donné des droits à planter pour fournir le marché chinois mais là ça se mord la queue. Je pense que notre cave coopérative devait faire pas loin de 70 % de ses ventes en Chine, et pour couronner le tout on est en train de rembourser les PGE (prêt garanti par l'Etat -Ndr).

Pour nous la question de ce qu'on pourrait faire après est entière. Nous sommes sur des terres blanches, où il n'y a pas d'eau et où il est impossible de cultiver quoi que ce soit à part la vigne. Il faut vraiment sensibiliser les élus politiques et l'Etat. Sinon ça va finir par dégénérer comme à Montredon (manifestation viticole sanglante de 1976 au cours de laquelle un CRS et un vigneron ont été abattus -Ndr) », prévient le viticulteur.

Alain Rousset, à la Région, veut en parler au ministre de l'Agriculture

De nombreux élus ont participé à la manifestation, à commencer par Nathalie Delattre, sénatrice (Parti Radical) de la Gironde, productrice de bordeaux à Cadillac et co-présidente de l'Association nationale des élus de la vigne et du vin. Sa position de représentante politique associée au vignoble, de lobbyiste diront certains, et de productrice lui donnent un regard affuté sur la situation.

« L'arrachage est une des solutions. Nous avons une crise structurelle... Les viticulteurs de plus de 60 ans ont du mal à mettre leurs domaines en fermage pour se rémunérer, parce que plus personne ne veut le faire. Ce qui fait qu'ils n'ont plus rien. Ce qui fait que, faute d'entretien, certaines vignes vont être malades. Comme elles risquent de contaminer les autres elles feront l'objet d'un arrachage sanitaire. Au bout du compte, tout le monde pourrait être touché, aussi bien les producteurs de vin en vrac en bordeaux en difficulté que les grands crus qui n'ont aucun problème économique »,  analyse la sénatrice.

Manifestation Vignerons Bordeaux 7

Un vigneron symboliquement pendu devant le CIVB accusé de prélever des taxes sur les exploitations et de ne pas agir (Agence Appa).

L'élue de Gironde estime que cette manifestation était faite pour sensibiliser le grand public. Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, n'ayant pas de solution à court terme puisqu'un arrêt a mis fin depuis 2008 au mécanisme européen qui encadrait l'arrachage de la vigne. Pour faire court, l'Etat n'aurait à l'heure actuelle aucune solution ni à court ni à moyen terme pour financer les 150 millions d'euros nécessaires à l'arrachage de 15.000 hectares à 10.000 euros l'unité dans le Bordelais.

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Ce qui fait que le nom de la Région, qui dispose de la compétence économique, a beaucoup circulé chez les manifestants qui, au lieu de s'arrêter comme prévu devant la préfecture de région, sont allés jusqu'à l'hôtel de Région où le président (PS), Alain Rousset, leur a expliqué, lors d'un échange houleux, qu'il espérait pouvoir parler rapidement de la situation du vignoble bordelais au ministre de l'Agriculture.

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Commentaires 4
à écrit le 06/12/2022 à 20:43
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Pour le financement c'est très simple il suffit de rétablir l'ISF...

à écrit le 06/12/2022 à 20:41
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Je ne comprends pas les revendications des riches vignerons bordelais, serait-ce du mandarin?

à écrit le 06/12/2022 à 18:27
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Il faut lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur sous forme de fiction policière évoque comment de prestigieux domaines viticoles sont achetés par de riches chinois et sont la cause de drames. Disponible en librairie et via les...

à écrit le 06/12/2022 à 17:08
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On les entendait moins quand les Chinois et le Russes venaient faire les emplettes. Trop de problèmes de qualité et de suivi.

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