L'heure est à la résignation pour la filière canard. Plombée par des épisodes d'influenza aviaire ces dernières années, sa production décroche. Et la consommation dévisse : - 27 % en 2022 selon l'Agreste. C'est dans ce contexte que MVVH (qui regroupe les coopératives Maïsadour, Vivadour et Val de Sèvre) va fermer deux abattoirs qui produisent pour Delpeyrat, dans le Gers et en Vendée, a annoncé la direction début mars et confirmé ce 23 avril à l'occasion d'un CSE avec les représentants des salariés.
Un couperet que la direction justifie par un contexte défavorable à plusieurs titres. « L'influenza aviaire, la baisse des volumes disponibles, la baisse de consommation générale de canard, liste Eric Humblot, directeur général du pôle gastronomie de MVVH. Tout ça a modifié la manière dont les consommateurs abordent leur alimentation. » La production de canard a été divisée par deux en France en dix ans pour un animal qui représente moins de 1 % de la consommation nationale de viande.
Recapitalisation assurée, fusion manquée
Une descente équivalente chez Delpeyrat, passée de 396 à 209 millions d'euros de chiffre d'affaires entre 2015 et 2023, qui voit ses usines tourner au ralenti. « Un site industriel n'a d'intérêt économique que s'il est saturé. Quand on a un taux d'occupation de nos abattoirs qui n'est que de 50 % ce n'est pas viable à long terme, justifie le dirigeant. On doit ajuster nos capacités industrielles à un marché qui a totalement changé. » Ce qui, selon lui, motive la fermeture de deux abattoirs avec un plan de suppression d'emplois et de reclassement pour 125 salariés sur les 1.000 que compte la marque.
Pourtant, Delpeyrat - dont les activités concernent aux deux tiers la viande de canard et pour le reste la transformation de saumon - a réalisé 2,7 millions d'euros de bénéfices en 2023. Son premier résultat positif depuis 2018. Un retour gagnant qui fait suite au licenciement de 50 personnes en 2020 et à un plan de redressement misant sur l'automatisation de l'outil industriel et la reconquête des marchés.
L'an dernier, l'entreprise a de plus opéré une recapitalisation auprès de ses trois coopératives actionnaires pour un montant de 140 millions d'euros. De quoi éponger les 115 millions d'euros de pertes accumulées depuis 2015 et investir dans de nouveaux outils. Mais Delpeyrat reste sur l'échec de sa fusion avec les activités canards gras d'Euralis, la coopérative du Sud-Ouest concurrente de Maïsadour. Les deux groupes ont renoncé l'été dernier à leur projet de coentreprise face aux réticences de l'autorité de la concurrence.
Reclassements dans l'agroalimentaire
Sur les deux sites concernés, l'annonce de la fermeture n'a pas été une surprise. A La Pommeraie-sur-Sèvre en Vendée (75 personnes) et à Vic-Fezensac dans le Gers (50 personnes), l'activité est molle. « On sait que la filière canard est une filière qui va mal, on n'est pas les seuls acteurs du marché à avoir des outils sur-capacitaires, glisse à La Tribune un élu CFDT salarié chez Delpeyrat. Les acteurs français étaient tous pourvus d'outils pour abattre et transformer un total de 40 millions de canards. On ne reviendra plus à ce niveau-là. »
Une saison épargnée par la grippe aviaire Pour la première fois, les éleveurs français de canard ont pu vacciner leurs animaux. Débutée à l'automne 2023, cette campagne de vaccination a été menée sur 26 millions d'individus pour un objectif à atteindre de 64 millions d'ici septembre. La France n'a pas relevé de foyer majeur de contamination pour l'instant. Mais l'Organisation mondiale de la Santé s'est inquiétée la semaine dernière de la contamination de la souche du virus à de nouvelles espèces aux États-Unis, dont des êtres humains.
A la tête de l'entreprise, on ne parle pas pour l'heure de licenciements, pour une question d'image mais aussi parce qu'on veut en profiter pour répondre à un besoin de main d'œuvre pressant dans l'agroalimentaire. Delpeyrat dit s'engager à proposer « une solution personnalisée de reclassement à chaque salarié ». « Le nombre de postes disponibles dans l'industrie alimentaire est important, on a du mal à les couvrir. Dans l'abatage de poulet, on a un site à Condom en déficit de personnel avec le même type de qualification, des confrères cherchent aussi pour leurs abattoirs, on a également un couvoir à proximité où il y a des besoins », abonde Eric Humblot.
Deux mois pour négocier
Un reclassement qui pourra se faire aussi vers les usines de transformation de Delpeyrat à Saint-Pierre-du-Mont dans les Landes ou à Fleurance dans le Gers. Deux sites à 40 et 80 kilomètres de l'abattoir gersois. La direction compte là-dessus pour éviter les licenciements. « Mathématiquement ça fonctionne. Mais aujourd'hui on parle de personnes et il y a bien plus de choses qui entrent en jeu quand elles prennent leur décision, évoque ce syndicaliste. Est-ce qu'on a pris en considération les envies de chacun ? Peut-être pas mais c'est un peu tôt pour répondre »
Les négociations autour du plan de sauvegarde de l'emploi vont se poursuivre jusqu'au 19 juin. D'ici là, quatre réunions sont programmées entre représentants du personnel et direction pour parvenir à s'entendre. Et réorienter les activités d'une entreprise en décalage avec ses marchés.
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