La reprise de la Coopérative laitière de la Sèvre, cas d'école d'un non-sens français

Après des pertes historiques en 2023, la coopérative laitière qui fabrique beurre d'Echiré AOP et fromages Sèvre et Belle a été contrainte de trouver des repreneurs. L'institution des Deux-Sèvres qui emploie 160 salariés veut rester sur le haut-de-gamme, quitte à compenser la baisse de consommation en France en privilégiant les marchés étrangers.
Maxime Giraudeau
Indépendante depuis 130 ans, la Coopérative laitière de la Sèvre va être rachetée.
Indépendante depuis 130 ans, la Coopérative laitière de la Sèvre va être rachetée. (Crédits : Coopérative laitière de la Sèvre)

Quand 130 ans de savoir-faire vacillent sous l'effet de l'inflation. La Coopérative laitière de la Sèvre (CLS) est en passe d'être rachetée par ses voisines charentaises Terra Lacta (lait) et Océalia (céréales) pour continuer à produire ses marques artisanales emblématiques, le beurre d'Echiré AOP et les fromages de chèvre Sèvre et Belle, et ainsi maintenir 160 emplois directs. Dans les Deux-Sèvres, la reprise du fleuron indépendant est vécue comme une secousse des temps économiques contrariés.

« Pendant très longtemps, on a habitué le consommateur à avoir accès à une alimentation très économique. Aujourd'hui, il a oublié son vrai coût. » Il y a comme une impression de compter pour du beurre dans les mots de Guillaume Ribadière, directeur général depuis 2021 de cette « petite coopérative mais positionnée sur le haut-de-gamme ».

Une reprise aux exigences locales

Le dirigeant n'a pas été ménagé depuis sa prise de poste. Si la structure a réalisé son meilleur chiffre d'affaires en 2022, avec 50 millions d'euros pour 475.000 euros de résultat net, l'année suivante a tout réduit à néant avec la chute de la demande. « On a vécu la hausse des couts de l'énergie, de l'alimentation animale, des emballages, du transport... Toutes les charges ont augmenté de façon très importante. En face, le retournement de marché a été sévère. La coopérative a été fragilisée », raconte-t-il à La Tribune.

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Avec un prix du lait qui passe d'environ 300 à 500 euros les 1.000 litres en moins de trois ans, l'équilibre économique des marques de beurre et fromages ne tient plus. La CLS enregistre plusieurs millions d'euros de pertes en 2023. Et se voit dans l'incapacité d'honorer ses investissements, chiffrés à 8 millions d'euros, pour moderniser son outil de production. Les sites d'Echiré et de Celles-sur-Belle souffrent d'un sous-investissement chronique qui se traduit par de la pénibilité pour ses salariés.

Dès l'été, la direction réunit la centaine d'éleveurs deux-sévriens adhérents pour trouver une issue. Ce ne sera pas une augmentation des fonds propres puisque les producteurs de lait sont dans une situation tout aussi tendue. La vente des actifs s'impose rapidement, mais pas à n'importe quel prix : les sociétaires exigent la sauvegarde des emplois et des marques, qu'elles soient sous appellation ou non. Et surtout, une reprise dans le giron coopératif.

15 millions d'argent frais

Derrière les Charentaises Terra Lacta (lait) et Océalia (céréales), trois groupes céréaliers de la région font également des avances. Une alliance à cinq cohérente dans l'optique de l'organisation territoriale de la CLS, qui collecte son lait sur l'aire du lait AOP Charentes-Poitou. L'annonce de la reprise a été officialisée début décembre, les partenaires négocient désormais ses modalités.

100 % des actifs de la coopérative deux-sévrienne ont été transférés sous une nouvelle entité juridique dont Terra Lacta est actionnaire majoritaire au côté d'Océalia, des trois coopératives et de la CLS. Cette dernière reste seulement propriétaire de ses marques qu'elle exploitera désormais en franchise. Terra Lacta, basée à Surgères (Charente-Maritime) et qui emploie 450 salariés, a déjà annoncé un apport de 15 millions d'euros de fonds propres pour relancer la machine.

Un rebond d'urgence qui rassure puisque les marques des Deux-Sèvres vont préserver les exigences de leurs procédés de fabrication. Mais la reprise va en revanche impliquer une stratégie commerciale très ciblée. Alors qu'en France, l'heure est à la descente en gamme face aux attentes de compétitivité du consommateur, la CLS ne veut pas s'inscrire dans le mouvement.

Du beurre pour la Chine

« On est dans l'incapacité d'aller sur des marchés d'entrée de gamme, on n'est absolument pas taillés pour ce combat, balaye Guillaume Ribadière. Nous sommes sur de la haute-couture, l'avenir de la CLS ne passe pas par une baisse en gamme. Ce qu'on recherche, c'est une meilleure performance de notre outil industriel pour produire de façon plus économique. »

Et dans le viseur du dirigeant, les marchés étrangers. Alors que le consommateur français boude la qualité, le beurre d'Echiré est déjà vendu pour moitié en Asie, où il rencontre un succès qui ne se dément pas depuis 30 ans. Un débouché à ce point capital que la coopérative vient de déployer des visuels spécialement destinés au nouvel an chinois. Le Moyen-Orient et l'Amérique du Nord sont aussi très friands de ces produits labellisés et bien français. Ou quand la France fait son beurre aux antipodes de ses pâturages.

« Le coût des matières premières et la multiplicité des normes amène la France à être de plus en plus déphasée au niveau de la compétitivité », observe le directeur général, à l'image de la colère exprimée par le mouvement agricole en ce début d'année. Une production tricolore qui se barde de normes, pour préserver des modèles sociaux et environnementaux nécessaires, mais subit la désertion du marché français. Pas suivi par le consommateur ni par les banques, le fabriquant se tourne donc vers l'international. Et attend désormais impatiemment de connaître les termes du contrat avec ses nouveaux partenaires afin d'engager des investissements très pressants.

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Maxime Giraudeau

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