« La production en bio ne peut pas être supportée que par le marché » (3/4)

INTERVIEW. À l’heure où la consommation de produits bio se tasse, les producteurs tirent la sonnette d’alarme et relancent des pistes d’accompagnement de la filière. Les représentants de Bio Nouvelle-Aquitaine, association pour le développement de l'agriculture biologique de la région, et d’Interbio Nouvelle-Aquitaine, association interprofessionnelle qui fédère les acteurs de la filière, répondent aux questions de La Tribune. Jérôme Keller (Bio Nouvelle-Aquitaine) est producteur en Haute-Vienne. Philippe Leymat (Interbio), viticulteur en Corrèze.
Le vigneron corrézien Philippe Leymat, président d’Interbio Nouvelle-Aquitaine.
Le vigneron corrézien Philippe Leymat, président d’Interbio Nouvelle-Aquitaine. (Crédits : Interbio)

LA TRIBUNE - Comment la baisse de la consommation de produits bio impacte-elle les agriculteurs bio ?

JÉRÔME KELLER - Dans le contexte actuel, la vente directe se maintient, pour le reste c'est compliqué. Concernant le bruit qui court selon lequel il y aurait beaucoup de déconversions, nous ne l'observons pas à ce stade. En revanche, des agriculteurs ont vendu leurs produits bio en conventionnel en particulier des céréales. Certains ne peuvent pas stocker et entre ne pas vendre ses céréales en bio et les vendre en conventionnel, le choix est vite fait, sachant que les prix étaient équivalents. Ceci étant dit, si certaines filières sont en tension comme le porc, pour d'autres c'est l'inverse. Il n'y a par exemple plus assez d'œufs bios !

PHILIPPE LEYMAT - Nous sortons de dix ans d'une croissance à deux chiffres de la production et de la consommation sachant que l'évolution de la production correspondait à l'augmentation de la demande de consommation. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Pour éviter des déconversions, la priorité, c'est de sauver ceux qui sont passés à la bio il y a plusieurs années et pour lesquels de l'argent public a été investi. Au niveau de la Nouvelle-Aquitaine, la région a réussi pour cette année à dégager des budgets pour l'aide au maintien. Donc sur 2023 entre cette aide et la nouvelle politique agricole commune, des déconversions ont été sauvées. Mais si le marché ne repart pas, le risque de déconversion pèse sur 2024.

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La filière bio à la croisée des chemins

Cet article est le troisième épisode d'une série sur la situation de l'agriculture biologique en Nouvelle-Aquitaine en quatre volets publiés du 10 au 13 octobre :

LA TRIBUNE - Vous pointez du doigt deux problématiques. Que proposez-vous ?

JÉRÔME KELLER - Nous payons deux choses. Le gouvernement a cru que le marché pouvait accompagner le développement de la bio, or nous voyons bien que ce n'est pas possible. Produire en bio ne peut pas être supporté que par le marché ! L'agriculture biologique a deux pieds, un pied de production et un pied lié à la protection de l'environnement. L'agriculture biologique, c'est la la transition agricole et il faut qu'elle soit rémunérée au juste prix parce que cela profite à tout le monde. Les primes pour services environnementaux apparaissent timidement mais il faut aller plus loin. Cela permettrait de ne pas faire porter un coût supplémentaire aux produits de l'agriculture biologique sachant que le rendement est moindre. Pour ma part, si j'avais plus de subventions dans mon équilibre économique, je pourrais me permettre de vendre moins cher mes produits en bio. Il n'y a aucune raison que seule une élite puisse se permettre d'acheter des produits sains !

Le second point, c'est que nous sommes sur un palier de régulation entre l'offre et la demande. Ce qui se passe en France ne se passe pas dans les autres pays d'Europe donc nous pouvons considérer que cela va repartir dans le bon sens. En attendant, quand il y a des adaptations de marché, il faut que la puissance publique fasse son travail de soutien de la filière. Parce que si on tire sur la filière, les opérateurs économiques 100 % bio vont s'arrêter, nous n'aurons plus de filière et si nous n'avons plus de filière nous ne pourrons pas faire de développement.

PHILIPPE LEYMAT - ll y a un risque derrière, c'est la déprise totale des zones agricoles non productives et l'impact économique pour un département comme la Corrèze qui vit à plus de 60 % sur le tourisme. Si demain les terres agricoles ne sont pas exploitées, les touristes ne viendront plus en vacances chez nous.

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LA TRIBUNE - Les aides annoncées par le gouvernement vont-elles dans le bon sens ?

JÉRÔME KELLER - Si nous regardons combien est injecté sur le marché du porc, et ce qui est mis sur la bio, il y a un décalage énorme ! Concentrant le plan d'aide de 60 millions d'euros aux exploitations biologiques, les critères sont extrêmement sélectifs et selon les retours que nous avons, très peu de fermes rentrent dans le dispositif.

PHILIPPE LEYMAT - Les aides participent et évidemment que le meilleur outil c'est le marché. La loi EGalim qui visait 20 % de bio dans la restauration hors domicile est un levier d'action qui va développer la consommation en bio. Encore faut-il qu'il y ait des contrôles et des sanctions. Localement, les collectivités jouent le jeu. La métropole bordelaise qui produit 5.000 repas par jour est passée à 45 % de bio et biolocal à budget constant. De son côté, la Nouvelle-Aquitaine s'est engagée à ce que toutes les cuisines des lycées de la région soient à 25 % de bio en 2027. Voilà des signaux politiques forts ! Mais au-delà d'EGalim, si nous estimons que la bio a d'autres aménités sur la santé ou l'eau par exemple, à ce moment là il faut trouver des moyens de compensation autre que le marché, c'est-à-dire des budgets annexes. Il y a des leviers d'actions à mobiliser et ça c'est clairement un enjeu politique. Or il n'y pas de signe politique. Ce qu'il faut, c'est une vraie évolution de l'état d'esprit sociétal et politique pour une prise en compte de l'agriculture au-delà de la seule alimentation.

La production bio en chiffres :

En France, en 2021, 13,7 % des exploitations sont bio. Cela représente 10,3 % de la surface agricole. En Nouvelle-Aquitaine, il y avait en 8.799 exploitations bio en 2021, soit 13,6 % et 9,2 % de la surface agricole. La région se situe au deuxième rang derrière l'Occitanie.

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Commentaire 1
à écrit le 15/10/2023 à 10:29
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D'autant que la production agro-industrielle elle est copieusement subventionnée par l'argent public. Quand on ne veut pas on ne peut pas.

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