
Avec 8.800 fermes bio (+86 % en cinq ans) et plus de 360.000 hectares (+250 % en dix ans) au 31 décembre 2021, l'agriculture biologique ne s'est jamais aussi bien portée en Nouvelle-Aquitaine. La région confirme son 2e rang français avec 9,3 % de la surface agricole utile en bio, contre 8,5 % en moyenne nationale. Mais ça c'était avant. Avant le cycle de consommation à la baisse initié l'an dernier et qui s'est confirmé au premier semestre 2022 marqué par l'inflation galopante et les négociations sur la politique agricole commune (PAC). Autant d'éléments qui ont pesé sur l'offre mais aussi, et c'est nouveau, sur la demande dans un contexte de pouvoir d'achat contraint.
"Une grosse évolution de la conjoncture"
"On constate en 2022 une grosse évolution de la conjoncture pour le bio. On sort de dix ans de forte hausse de la production pour avoir aujourd'hui des chiffres à l'étal, voire en diminution à cause de la baisse du pouvoir d'achat", cadre Philippe Leymat, président d'Interbio Nouvelle-Aquitaine et vigneron en Corrèze, confirmant des premières tendances nationales constatées dès 2021 et dévoilées au mois de juin .
Dans le détail, cette baisse de la demande est particulièrement palpable, c'est-à-dire autour de -10 %, chez les deux principaux débouchés de l'agriculture biologique : la grande distribution généraliste et les magasins bio spécialisés. Les autres circuits de distribution - vente directe, artisans-commerçants et restauration - progressent mais pas suffisamment pour inverser la baisse globale de la consommation même si les prix des produits bio, bien que plus chers que le conventionnel, ont moins augmenté pour l'instant.
La baisse de la consommation concerne notamment le lait, les œufs et les fruits-et-légumes -entraînant ici et là des surstocks ou des ventes en conventionnel - tandis que les fruits rouges, les poires ou la moutarde résistent mieux. Mais cette inflexion commence à peser, en retour, sur la dynamique de la production. Avec un chiffre d'affaires régional annuel de près de deux milliards d'euros, la filière a continué à grandir au cours des neuf premiers mois de 2022 mais loin du rythme des années précédentes :
"Depuis le 1er janvier on dénombre 570 nouvelles exploitations bio dans la région contre 908 l'an dernier à la même époque et on table sur un total de 730 en 2022 contre 1.100 en 2021. On reste donc sur une dynamique positive mais le rythme marque le pas avec des ralentissements importants en Gironde, Dordogne, Lot-et-Garonne et Deux-Sèvres, là où le bio est déjà bien implanté", précise Sylvie Dulong, la présidente de Bio Nouvelle-Aquitaine.
Des déconversions en hausse mais pas d'inversion
En parallèle, le nombre de fermetures d'exploitations bio pour arrêt d'activité, retraite ou déconversion est orienté à la hausse depuis le début 2022 même si le total plafonne autour de 1 %. Au niveau national, l'Agence bio faisait ainsi état en septembre 2022 d'une baisse de 37 % des conversions et d'une hausse de 42 % des arrêts de certification sur un an. Selon la Chambre d'agriculture de Nouvelle-Aquitaine, il n'y a à ce stade que peu de déconversions franches mais plutôt des déconversions partielles, c'est à dire qui ne concernent pas toutes les parcelles ni toutes les productions de l'exploitation.
Au total, en Nouvelle-Aquitaine, le nombre de fermes bio devrait donc progresser de seulement 5 % cette année contre une croissance de 10 % l'an dernier. Le levier le plus dynamique reste les nouveaux entrants dans la profession puisqu'un tiers des installations se fait en biologique.
Chiffrer les services rendus par le bio
Dans ce contexte inédit "où quasiment toutes les filières bio sont en tension à cause d'une offre supérieure à la demande", "il va falloir se poser beaucoup de questions [...] avec un objectif clair qui est d'éviter les déconversions", prévient Philippe Leymat. Pour le président d'Interbio Nouvelle-Aquitaine, qui cite le rapport cinglant de la Cour des comptes paru cet été, il faut un soutien public plus important pour tenir l'objectif de 17 % des surfaces en agriculture biologique en 2027 puis 25 % en 2030 :
"On ne met pas assez de moyens pour atteindre cet objectif mais aussi pour expliquer et prendre en compte toute les externalités positives non-marchandes du bio ! C'est-à-dire les services rendus en termes d'interdiction totale des pesticides, de santé pour les agriculteurs et les consommateurs, de préservation de la biodiversité et des sols, etc. Tout cela, le marché seul ne peut pas y répondre !"
Des ressorts potentiels
Premier signe encourageant, la nouvelle PAC, qui entrera en vigueur en 2023, augmente de 36 % le budget consacré à la conversion bio, revalorise les subventions et commence à prendre en compte financièrement les impacts positifs des pratiques agricoles bio sur l'environnement. Mais le bio pourra également s'appuyer sur d'autres ressorts pour rebondir dont la loi Egalim 2 qui impose à la restauration collective - publique dès 2022 et privée dès 2024 - de servir 50 % de produits de qualité dont au moins 20 % de produits bio. Les exportations vers les pays voisins retrouvent aussi des couleurs, face à la hausse des coûts du fret longue distance, et ont permis d'écouler des stocks invendus en 2022.
Enfin, la question du futur "écoscore" prévu par la loi pour orienter le consommateur pourrait avoir des conséquences majeures pour le bio. "Si c'est le Nutriscore qui est retenu ce sera dommageable pour le bio puisque ce critère ne prend que très peu en compte les aspects environnementaux, contrairement au Planète Score qui nous serait beaucoup plus favorable", observe Philippe Leymat. D'ici là, la filière lance "le Mois de la bio" en novembre pour mettre en avant les produits bio auprès du grand public.
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