Agriculture : « Il y a une vraie inquiétude pour les produits bio et sous signe de qualité »

INTERVIEW. Le salon de l'agriculture de Nouvelle-Aquitaine est de retour à Bordeaux du 21 au 29 mai 2022 après deux éditions annulées par le Covid. Mais le moral des cultivateurs et des éleveurs n'est pas au beau fixe au regard des nuages qui s'amoncellent : flambée des prix de l'énergie, des engrais et des céréales, résurgence de la grippe aviaire et crise du pouvoir d'achat. Un cocktail particulièrement inquiétant pour les produits sous signe de qualité et issus de l'agriculture biologique selon Dominique Graciet, président du salon et ancien président de la Chambre régionale d'agriculture.
Dominique Graciet, président du Salon de l'agriculture de Nouvelle-Aquitaine, à gauche, avec un éleveur de vaches laitières de la région.
Dominique Graciet, président du Salon de l'agriculture de Nouvelle-Aquitaine, à gauche, avec un éleveur de vaches laitières de la région. (Crédits : PC / La Tribune)

LA TRIBUNE - Quel est l'état d'esprit des éleveurs et des cultivateurs dans les allées du salon après deux années de Covid ?

Dominique GRACIET - Cette édition est un gros succès partagé par les exposants, les intervenants et le public avec la présence d'animaux et des stands des producteurs tout au long des neuf jours. Tous sont ravis de se retrouver pour la première fois depuis 2019. Et je me félicite de voir beaucoup de jeunes tant chez les agriculteurs que chez les visiteurs. Plus globalement, les confinements et maintenant la guerre en Ukraine ont amené les gens à réfléchir davantage sur l'importance d'avoir une alimentation locale et de qualité. Pourtant, il y a encore une trop grande différence entre les attentes des citoyens et les actes réels d'achats.

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Que voulez-vous dire ?

Qu'entre ce que veut le consommateur et ce qu'il achète réellement, on est en train de faire le grand écart. Pendant les confinements, les 40 % des débouchés de la restauration collective se sont reportés vers les circuits courts et la grande distribution. Ce qui a plutôt favorisé les produits de qualité et les produits bio, et c'est très bien. Mais, aujourd'hui, on est confrontés à deux phénomènes liés à la guerre en Ukraine : des hausses très importantes des prix de l'énergie et des matières premières, d'une part, et une crise du pouvoir d'achat, d'autre part. Cela pénalise d'abord les produits bio et sous signe de qualité qui sont plus chers à produire mais délaissés par les consommateurs parce qu'ils ont tendance aujourd'hui à privilégier les produits les moins chers pour des raisons évidentes de pouvoir d'achat.

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Quelle est l'ampleur des hausses des coûts survenues ces derniers mois ?

Le prix des semences a augmenté de 30 %, celui des engrais azotés a été multiplié par trois, passant de 300 euros à 1.000 euros la tonne, celui des céréales a bondi de 75 % pour atteindre 350 euros la tonne contre 200 euros il y a quelques mois. Cela pénalise tous les éleveurs mais particulièrement les producteurs bio ou sous signe de qualité, il y a une vraie inquiétude. Par exemple, un poulet label rouge mange près de deux fois plus qu'un poulet standard, donc l'impact de la hausse du prix des céréales est proportionnellement deux fois plus important. Mais, pour s'adapter au marché, ils essaient de vendre au même prix que les poulets standards. C'est la marge qui en prend un coup.

Comment les agriculteurs peuvent-ils absorber ces hausses de leurs coûts de production ?

Pour l'instant on les subit et, si c'est temporaire, on fait le dos rond mais la trésorerie n'est pas abondante, notamment avec l'influenza aviaire. Et si ça dure, chaque filière va devoir se réorganiser. Pour les grandes cultures, si les rendements sont bons, ce sera plus simple car la hausse des prix est un phénomène mondial. Mais pour les éleveurs, c'est plus compliqué parce qu'ils doivent absorber la hausse des coûts tout de suite alors que la répercussion sur les prix ne se fera que petit à petit. Et leurs prix progressent moins vite que leurs charges. Il faut donc en parler avec les distributeurs pour prendre en compte cette situation exceptionnelle.

Plus globalement, la solution c'est de remettre la France en production avec davantage de terres en culture, l'autorisation d'un certain nombre de produits phytosanitaires dont l'interdiction nous a mis dans une impasse. Il faut remettre l'église au centre du village et se mettre en position de produire en France tout ce qui peut l'être, sans distorsion de concurrence notamment sur les conditions de production des fruits et légumes. L'enjeu derrière tout cela c'est notre souveraineté alimentaire, c'est-à-dire pouvoir choisir une alimentation locale qui doit donc être suffisamment abondante et de qualité.

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L'influenza aviaire est encore revenue. Quel est l'ampleur des dégâts ?

Depuis le début du mois de décembre, ce sont 16 millions de volatiles qui ont été abattus en France et ça a touché aussi les géniteurs. Ce qui signifie qu'on va manquer de canetons pour relancer la filière d'ici la fin de l'année. Vu l'ampleur du phénomène, la solution de bon sens maintenant c'est la vaccination des animaux. Il faut s'y mettre ! (*) La vaccination ne résout pas tous les problèmes mais réduit drastiquement la charge virale. Sinon, c'est toute la filière qui est menacée : les éleveurs, les transformateurs et les distributeurs. Malgré les centaines de millions d'euros d'aides, la réalité c'est que nous sommes rayés de certains marchés faute de pouvoir les approvisionner.

Face à ces équations économiques de plus en plus tendues, le développement de l'agrivoltaïsme ou de la méthanisation est-il une solution ?

Oui, les agriculteurs sont déjà engagés dans les projets d'énergie renouvelable. Cela peut venir en complément mais pas en substitution de leur activité. D'autant que la hausse du prix des matières premières se répercute aussi sur le coût de la production d'électricité par des méthaniseurs.

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 (*) Les ministres de l'Agriculture de l'Union européenne ont acté mardi 24 mai 2022 la mise en œuvre d'une stratégie de vaccination contre l'influenza aviaire.

Une édition 2022 déficitaire


  • Après deux éditions en ligne amputées par le Covid, le Salon de l'agriculture de Nouvelle-Aquitaine est de retour au Parc des exposition de Bordeaux. Les organisateurs s'attendent à accueillir 200.000 visiteurs sur les neufs jours ainsi qu'un millier de bêtes et plus de 200 professionnels. Un retour en force assumé : "Nous avons consenti un gros effort financier pour rénover l'offre du salon et affirmer le rebond de la filière et la place de l'agriculture dans la région sans pour autant taper trop dans la poche de nos partenaires. Nous savons donc que nous ne serons pas à l'équilibre financier cette année avec une perte de l'ordre de 10 % du budget total, soit autour de 200.000 euros", explique ainsi Dominique Graciet.

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