[Publié le 15/04/24 à 6h, mis à jour le 16/04/24 à 10h]
« Nous étions tout proches de le faire », estime un membre du conseil d'administration. Un train militant, au service des territoires et avec une part d'utopie dont ses promoteurs ne se sont jamais caché. C'est ce qui aura fait la marque de la courte histoire de Railcoop. Et aussi peut-être sa faillite. La coopérative ferroviaire basée à Figeac dans le Lot avait rendez-vous au tribunal de commerce de Cahors ce lundi 15 avril. Après avoir accumulé 4,7 millions d'euros de pertes sur ses activités fret en 2022, la société s'est vue réclamer 800.000 euros de frais de garage par le restaurateur ferroviaire ACCM pour ses deux rames en attente de rénovation. Des frais finalement impossibles à assumer alors que le redressement judiciaire de Railcoop avait débuté en octobre. Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 29 avril.
« Nous étions en litige avec ACCM. Elle nous savait en difficulté et elle a pourtant multiplié par dix ses frais de parking pour nos deux rames, alors qu'elles étaient stockées à l'extérieur de leurs locaux, sur des voies désaffectées », explique à La Tribune une source interne chez Railcoop. « ACCM savait qu'on ne pourrait pas payer la facture et a ainsi multiplié les créances, ce qui leur a permis de récupérer les rames à moindres frais avec l'aval du tribunal de commerce de Clermont en fin d'année dernière. Cela a été le coup de grâce pour nous car nous avions décidé de vendre les rames pour nous dégager du cash et lancer de nouvelles études concernant la ligne Bordeaux-Lyon. »
La coopérative a, en vain, lancé de nouveaux appels à souscriptions parmi ses 14.000 sociétaires et au-delà, dans l'espoir de relancer la ligne Bordeaux-Lyon par le centre de la France. Un dessein poursuivi depuis sa création en 2019 avec comme boussole la desserte du territoire, la petite vitesse de voyage et le financement participatif. De quoi en faire une structure inédite dans le nouveau monde de la concurrence ferroviaire.
Elle avait d'ailleurs passé un premier cap en lançant son activité de fret, en fin d'année 2021. Avec en moyenne un flux par semaine, l'opérateur livrait alors du bois pour le compte d'un client entre Figeac et Saint-Gaudens. Un deuxième flux de transport de marchandises avait même été initié, mais cette activité de fret était aussi la condition pour un éventuel soutien financier de la Région Occitanie, non concernée par le projet sur les voyageurs.
« Nous avons voulu faire du fret pour gagner du temps en engrangeant de l'argent. Au final, nous avons brulé du cash, tout en n'ayant pas le soutien des banques. Au-delà de ça, le souci est que les sociétaires ne voulaient pas arrêter le fret car ils étaient contents mais nous avons perdu un certain temps qui nous a été fatal par la suite », poursuit cette même source.
Les banques absentes
Contrairement aux sociétés qui veulent mettre fin au monopole de la SNCF, comme Le Train ou Kevin Speed, Railcoop n'a jamais été suivie par les banques. Une frilosité qui a déçu les collectivités locales, devenues sociétaires par dizaines comme la Région Occitanie et Grand Est, les départements de la Creuse et de la Haute-Vienne, les agglomérations de Lyon, Vichy, Montluçon, Libourne ou Guéret. « Ce n'est pas le modèle économique que les banques connaissent, ils préfèrent le modèle capitalistique et ça c'est très décevant, déplore Eric Correia, président du Grand Guéret. On a tapé à la porte de la Caisse des dépôts, de la Banque des territoires, j'ai remis un dossier sur Railcoop à Macron quand il est venu ici », rappelle celui qui était également administrateur de la coopérative.
Les collectivités détenaient près de 15 % du capital, estimé à environ 4,8 millions d'euros. Or, pour mener son projet sur la ligne transversale du centre de la France, la coopérative estimait son besoin de financement à environ 50 millions d'euros. Ce qui n'a pas empêché ses représentants de promettre encore début 2023 le lancement du service entre Bordeaux et Lyon pour l'été 2024... sans que les banques n'acceptent de s'engager.
« Les investisseurs n'aiment pas l'exotisme, évoque Catherine Pihan-Le Bars, directrice générale adjointe chez Le Train. Nous sommes une entreprise, ce sont des structures que les financeurs connaissent et qu'ils savent financer », fait valoir celle qui espère faire rouler des trains sur l'axe Bordeaux-Nantes d'ici 2026, avec trois ans de retard par rapport aux premiers objectifs.
« Railcoop était un bon projet, mais il n'aurait jamais dû se monter en coopérative. Cela a été notre point faible. Sans cela, peut-être que nous aurions avancé moins vite mais nous serons allés au bout du projet (...) Nous avions réellement un investisseur espagnol et nous parlions avec lui depuis 18 mois. Seulement, il voulait profiter de notre licence ferroviaire, très compliquée à obtenir en France, pour pénétrer le marché hexagonal en commençant par notre ligne. Notre licence arrivant à expiration ce mois d'avril, Railcoop ne vaut plus rien », estime un autre administrateur.
Ligne abandonnée
Arriver sur un marché où la SNCF a toujours été en monopole est difficile pour tous les prétendants, mais Railcoop s'est rajouté une difficulté supplémentaire en convoitant une ligne à l'abandon. Ce choix laisse circonspects de nombreux observateurs des transports depuis les débuts de la coopérative. « Il aurait fallu rouvrir des postes d'aiguillage, notamment la nuit. Mais vous n'alliez pas faire venir des personnes pour travailler deux heures la nuit, expose Christian Broucaret, président de la Fédération nationale des usagers des transports Nouvelle-Aquitaine. Il y a un sillon de 40 kilomètres en Auvergne-Rhône-Alpes qui est à l'abandon et dont la région n'a pas envie de financer la rénovation. »
Mais derrière les difficultés régionales, c'est aussi la position de l'État qui est pointée. « Le réseau appartient à SNCF Réseau, alors je veux bien qu'on pointe les Régions mais la vérité c'est que SNCF Réseau n'en a rien à cirer de cette ligne. S'ils avaient mis des moyens, la ligne ne serait pas fermée », étrille Renaud Lagrave, vice-président aux mobilités de la Région Nouvelle-Aquitaine. L'élu avait lui discuté avec Railcoop pour réserver des sillons quotidiens à la coopérative, au détriment des TER. Un arrangement à l'image des nombreuses faveurs accordées par les collectivités locales séduites par la promesse.
Les régions en ordre dispersée
Pour autant, toutes n'ont pas investi financièrement dans le projet. C'est le cas des deux conseils régionaux concernés par le tracé. La Nouvelle-Aquitaine n'est pas entrée au capital, expliquant qu'une participation nourrirait un conflit d'intérêt si un jour Railcoop venait à répondre à un appel d'offre de la Région sur une ligne régionale, ce qui aurait été possible à horizon 2027. Un refus que les administrateurs de la société considèrent pourtant comme un camouflet majeur.
« Notre gros regret est sur le comportement des conseils régionaux, et particulièrement les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Ils nous ont fait des promesses qu'ils n'ont jamais tenu. Seul le Grand Est a été correct avec nous. Les autres nous ont lâché après avoir rédigé des lettres d'engagement bidons. Si les régions avaient été au rendez-vous, nos trains tourneraient aujourd'hui », estime cette source interne.
Dans les rangs de la région Occitanie, on reconnait l'existence de cette lettre de soutien, transmise à La Tribune. Seulement, la collectivité présidée par la socialiste Carole Delga voulait un soutien à parts égales des quatre régions concernées par le projet. « En janvier 2022, pour soutenir la SCIC Railcoop, la Région Occitanie avait proposé de se porter co-garante publique de l'emprunt bancaire de l'entreprise aux côtés des trois autres Régions concernées (Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est). La quote-part cible de garantie pour chacune des Régions s'élevait à 4,5 millions d'euros, permettant de couvrir 50 % de la dette de 36 millions d'euros à lever par l'entreprise (soit le taux maximum de garantie publique autorisée). Les autres Régions n'ayant pas donné suite et aucun contrat de prêt n'ayant été transmis à la Région Occitanie, la garantie d'emprunt n'a pas été mise en œuvre », se défend-t-elle.
Sans rancune ?
Si certains connaisseurs du monde ferroviaire pointent les « promesses irréalistes » et la perte d'argent public, le regret n'est pas généralisé chez les membres de la coopérative. « On a bossé parce qu'on y croyait, jure Eric Correia. Il y a des choses positives : 14.000 sociétaires, ça montre que les gens aiment le train et veulent du train. Il faut enregistrer ça car on voit que les gens sont prêts à s'investir. L'économie sociale et solidaire a du mal mais c'est un modèle qui a du sens », maintient-t-il. En attendant, le train coopératif a déraillé et, trois ans après l'ouverture à la concurrence, la SNCF est toujours le seul opérateur français sur le réseau ferré.
Contacté pour partager sa version des faits, Nicolas Debaisieux, le président directeur général de Railcoop, préfère pour le moment s'abstenir de commentaire. « L'audience du tribunal aura lieu le 15 avril. Je suis à votre disposition pour échanger après cette date. Avant, nous réservons nos échanges à nos sociétaires. De mon point de vue, tout article publié avant que le tribunal n'ai pris une décision me semble prématuré », a-t-il déclaré. Une position qui peut étonner tant en interne on reproche la sur-communication de la direction de Railcoop par le passé. Dans un communiqué avant le week-end, la coopérative a tout de même tenu à réagir : « quelle que soit l'issue, la coopérative étudiera comment valoriser tout le bénéfice de l'action collective entreprise depuis quatre ans, à la fois pour le secteur du transport ferroviaire, et plus largement pour des sujets d'intérêt général », tout en évoquant « probablement la fin à l'aventure coopérative ».
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