Dix ans après la loi Hamon, l'économie sociale et solidaire veut des budgets à long terme

« Nous sommes victimes de l'absence de politiques publiques durables, on n'arrive pas à progresser ! » Cantonnée à 10 % du PIB français, l’économie sociale et solidaire réclame une loi de programmation pour sécuriser des budgets à long terme. Mais avec ou sans, il faudra de toute façon se montrer conquérant sur les marchés et les territoires, préviennent ses partisans sur le Forum national de l'ESS à Niort.
Les représentants des fondations, coopératives, mutuelles et associations réunis sur le Forum national de l'ESS à Niort le 30 janvier.
Les représentants des fondations, coopératives, mutuelles et associations réunis sur le Forum national de l'ESS à Niort le 30 janvier. (Crédits : MG / La Tribune)

Ce n'est pas qu'un anniversaire. L'économie sociale et solidaire célèbre en 2024 les dix ans de la loi Hamon, avancée majeure qui a consacré un vaste cadre juridique pour 200.000 structures créatrices de valeur. Mais elle en profite surtout pour mettre en débat, depuis le Forum national de l'ESS à Niort (du 30 janvier au 1er février) qui fête lui aussi sa décade, l'idée d'une loi de programmation. Comprendre ici des budgets sécurisés sur plusieurs années pour engager l'État sur une politique de soutien et de développement.

« La loi nous a permis de démontrer assurément notre utilité, cadre Jérôme Saddier, président d'ESS France. Mais sans politiques publiques c'est difficile de se développer dans de nouveaux secteurs. Les acteurs qui ont été innovants sur les marchés ont toujours été aidés, nous sommes victimes de l'absence de politiques publiques durables. Dans une certaine mesure, on n'arrive pas à progresser. »

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Réuni dans la capitale des Deux-Sèvres, département où il porte 20 % de l'emploi salarié privé, ce champ de l'économie cultive autant ses différences que son unité. En témoigne le plateau de la conférence d'ouverture : deux canapés seulement pour rassembler les représentants des coopératives et des fondations avec ceux des associations et des mutuelles, sous l'œil de l'ancien ministre délégué à l'ESS, Benoît Hamon. Un monde qui se félicite de la loi de 2014 avec les statuts qu'elle a apportés (Pôle territorial de coopération économique, Entreprise solidaire d'utilité sociale...) et les financements qu'elle a permis de lever.

Priorité à l'amorçage

Le gouvernement actuel n'est, lui, pas présent pour entendre l'injonction contradictoire qui lui est adressée. Des budgets oui, mais avant d'engager une nouvelle loi, la priorité est à la simplification. « On ne vit jamais mieux que quand on nous fout la paix, assène Eric Chenut, président de la Fédération nationale de la mutualité française. On est innovant, on invente de nouvelles solutions, on est libres dans les entreprises de mutualité. Mais dans nos activités d'assurance, on est de plus en plus corsetés, les possibilités sont de plus en plus restreintes. Si on veut retrouver des marges de manœuvre, il faut lever l'ensemble de ces freins économiques pour retrouver de la capacité à faire. » En quinze ans, la part de l'ESS dans le PIB français est passée de 6 à 10 %.

Une gronde contre le système normatif, comme un lointain écho à la colère agricole qui s'exprime en ce début d'année. Pour un secteur qui s'étend des grandes mutuelles jusqu'aux associations et tiers-lieux, l'inflation et la conjoncture économique mettent autant au défi les modèles déjà éprouvés que ceux en construction. D'où la nécessité, selon les visages du mouvement, de mobiliser un soutien global. « On a besoin de travailler sur le pluriannuel pour libérer l'initiative et la créativité, approuve Manon Lelouvier, présidente du Centre français des fondations. Ça passe aussi par un réflexe ESS plus fréquent dans toutes les politiques publiques : sur le logement, l'éducation, la santé, la transition écologique... »

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Alors, une nouvelle loi oui, mais pour financer qui et quoi ? Les fonds à impact d'abord pour favoriser la finance solidaire et en premier lieu sur l'amorçage, les réseaux consulaires via les chambres régionales de l'ESS, favoriser les incubateurs dédiés également ou l'octroi de subventions. Les foncières constituent aussi une doléance, comme cela va être lancé à Bordeaux Métropole. Le tout avec ce sentiment aujourd'hui que « nos écosystèmes sont sous-financés ». L'enveloppe allouée au secteur se limite à une maigre enveloppe de 22,4 millions d'euros dans le budget 2024 de la France.

« Ne pas tout attendre d'une loi »

Un constat partagé par le ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire, Maxime Baduel, en visite le lendemain, qui dit vouloir que « l'ESS soit représentée dans tous les ministères et infuse. » De là à imaginer une loi dédiée, l'ancien président d'association est moins catégorique. « L'idée de la loi de programmation lancée par les acteurs est une bonne idée. Je ne suis pas sûr que ce soit la réponse mais je pense qu'on partage le même objectif : donner à voir sur des financements, une stratégie publique en accord avec les acteurs de l'écosystème pour se projeter sur les années à venir », réagit-il auprès de La Tribune.

En attendant les budgets, le ministre vante les textes de Bercy à venir qui vont profiter à l'ESS sur la simplification et le développement économique des entreprises. Alors, le secteur peut-il s'offrir le luxe d'espérer une loi avant de poursuivre sa marche en avant ? Pas tellement, tant la place de l'ESS relève d'une question accessoire dans les gouvernements successifs.

« Il ne faut pas tout attendre d'une loi de programmation. Notre force de frappe évidente c'est notre capacité à s'organiser autrement, renverse Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif. On doit déterminer quels sont les buts de guerre que l'on veut remporter. Réunissons-nous, demandons-nous ce que les asso, les fondations, les mutuelles, les coopératives ont à apporter chacune. Et ensuite on voit comment attaquer ça par territoire. Les Landes l'ont fait en décidant que tous ses Ephad seraient non-lucratifs, donc c'est possible ! »

Une quête de considération

Tel le vieux débat qui anime l'ESS depuis ses débuts : s'émanciper ou construire avec les pouvoirs publics, pour un champ parfois pointé pour son manque de création de valeur en-dehors des subventions. Dix ans après une loi majeure et avec toute la reconnaissance engrangée, la remarque paraît dépassée. Jérôme Saddier veut redonner de l'assurance aux troupes : « On a plutôt rarement eu besoin des gouvernements pour avancer. On en appelle à des politiques publiques pour être traité de la même façon que le reste de l'économie qu'on appelle conventionnelle. Ce n'est pas honteux que de le demander ! »

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Commentaire 1
à écrit le 01/02/2024 à 8:32
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Logique, le traité de Lisbonne qui était la copie du traité constitutionnel européen que le peuple français a massivement refusé en 2005 mais que sa classe politique en union sacrée leur a imposé en 2007 prévoyait de dépecer les services publics fran...

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