Comment l'économie sociale et solidaire s'est affirmée à Bordeaux

Après les frémissements, la consécration de l'ESS ? À Bordeaux, plusieurs acteurs de l'économie sociale et solidaire témoignent de l'affirmation du rôle et du pouvoir de leurs initiatives dans une diversité de secteurs. De l’entreprenariat à l'immobilier, en passant par la recherche, les discours politiques semblent enfin produire leurs effets.
Maxime Giraudeau
Le 8 février 2023, la ville de Bordeaux inaugurait la Manuco, érigé en lieu totem de la place accordée dans les discours et dans l'espace aux initiatives de l'économie sociale et solidaire.
Le 8 février 2023, la ville de Bordeaux inaugurait la Manuco, érigé en lieu totem de la place accordée dans les discours et dans l'espace aux initiatives de l'économie sociale et solidaire. (Crédits : PC / La Tribune)

Comme beaucoup dans le secteur, Mélanie Thuillier Fournol a accompli toute sa carrière dans l'ESS. Soit 25 ans à porter des solutions et des discours pour faire émerger une société plus résiliente. Aujourd'hui co-directrice de la Chambre régionale de l'ESS Nouvelle-Aquitaine, elle exprime son enthousiasme, au milieu du Forum ESS de la ville de Bordeaux qui s'est tenu le 29 novembre. « Aujourd'hui, il y a une curiosité, voire un intérêt soudain. Bordeaux devient même un territoire observé à l'échelle nationale. » L'affirmation finale d'un écosystème au long développement ?

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C'est peu ou prou la concrétisation à l'œuvre au vu des discours, réalisations et ressentis du milieu local. Alors que le mois de l'ESS s'achève et que Bordeaux Métropole remet aujourd'hui ses prix coup de cœur à quatre initiatives locales, il s'agit là d'une diffusion qui va au-delà des seuls acteurs de l'économie sociale et solidaire. « Je pense aux chambres consulaires, comme la Chambre des métiers avec laquelle nous avons une convention, on voit que la Chambre de commerce et d'industrie s'y intéresse de plus en plus aussi. Notre secteur est promu dans les appels d'offre, les marchés publics, c'est le cas pour l'OIM Aéroparc [Opération d'intérêt métropolitain autour de l'aéroport, ndlr] », déroule la co-directrice pour La Tribune.

Depuis le début du mandat municipal et métropolitain en 2020, l'écosystème de l'ESS a été mis en avant de façon inédite dans les discours et son développement érigé en axe majeur de l'action politique. Bordeaux Métropole s'est ainsi dotée d'une feuille de route dédiée en 2022, en associant les acteurs de la tech. La Foncière solidaire, qui était un engagement de cette stratégie, prend forme et mobilisera 10 millions d'euros pour huit projets immobiliers dédiés au secteur à partir du printemps 2024. « Sur les questions foncière et immobilière, il y a une vraie volonté politique exprimée auprès des bailleurs sociaux ou des promoteurs. C'est une tendance de fond », appuie Élise Depecker, directrice de l'incubateur d'innovation sociale Atis.

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Le Forum mondial, une vitrine seulement politique ?

Si le gros de l'action se joue à l'échelle métropolitaine, le maire de Bordeaux Pierre Hurmic élu en 2020 a aussi très rapidement endossé le costume de porte-parole de l'ESS. Son équipe, en coordination avec la Métropole, le Département et le Région a obtenu en 2021 la présidence du Forum mondial de l'ESS pour deux ans. Un succès permis par un terreau déjà très fertile. « Le territoire n'a pas attendu Pierre Hurmic pour se développer mais son arrivée a rebattu les cartes, il croit véritablement à l'économie sociale et solidaire », pointe Mélanie Thuillier Fournol.

En atteste l'ouverture de la Manuco en février dans le centre-ville, tandis que quelques mois plus tard, à la rentrée, le maire a alerté la Première ministre Élisabeth Borne sur les difficultés du projet ïkos à investir un lieu pour son village du réemploi. Pour autant, les acteurs locaux s'interrogent encore quant au réel impact sur l'économie locale du Forum mondial, qui se tiendra en octobre 2025. Un événement qui pourrait davantage servir de vitrine politique que d'appui pour l'écosystème régional.

À l'origine, Darwin

Un relai qui pour beaucoup marque un tournant. « Bordeaux est quand même une ville qui a une vision assez conventionnelle de l'économie historiquement. Avant, elle voyait plus en l'ESS un rôle de réparation que de transformation », retient Élise Depecker. Sous la précédente mandature, le secteur était déjà porté par une délégation à la mairie et des initiatives étaient soutenues, comme l'écosystème Darwin, rive droite, qui a mis en lumière des dizaines de collectifs depuis son ouverture en 2011. Mais l'avancée réside aujourd'hui dans le caractère transversal de ce secteur, qui fait parler dans différentes sphères de l'économie.

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« On a beaucoup à apprendre de l'ESS sur certains sujets où l'on est en retard, comme la RSE [Responsabilité sociétale des entreprises, ndlr] ou sur l'inclusion. Mais il n'y a pas lieu d'opposer une économie à l'autre, je considère l'ESS comme un champ pleinement intégré à l'économie », évoque à ce titre Mathias Saura, le président du Medef Gironde. A l'image de l'agence de développement économique Invest in Bordeaux qui travaille à un programme spécifique pour implanter des activités sociales et solidaires sur le territoire.

La chaire scientifique relancée pour trois ans

« Les discours politiques créent un devoir d'action auprès des collectivités et des acteurs », affirme Timothée Duverger, ingénieur de recherches à Sciences Po Bordeaux, auteur de plusieurs ouvrages sur les dynamiques de l'ESS. « L'important ce n'est même pas l'argent mais la capacité des élus à avoir une parole performative. Pierre Hurmic a créé des ponts en donnant une orientation aux acteurs de l'économie, les patrons et les promoteurs immobiliers par exemple. Au début, ils étaient réticents mais maintenant ils ont compris que c'est le sens de l'Histoire. L'ESS est en train d'infuser partout, avec des effets concrets », remarque celui qui a conseillé le maire entre 2020 et 2023.

Autre signe que Bordeaux s'affirme comme ville phare de l'ESS, la chaire de recherche Terr'ESS, dirigée par Timothée Duverger, vient d'être reconduite pour trois ans. Et ce avec quatre nouveaux partenaires*. La chaire fédère un réseau d'une trentaine de chercheurs sous l'égide de Sciences Po Bordeaux et s'attachera notamment à mobiliser les communautés locales sur le sujet. Une question prégnante pour la Chambre régionale de l'ESS qui, en s'appuyant sur les réussites bordelaises, espère quant à elle convaincre d'autres agglomérations, comme c'est le cas pour les volontaires Libourne ou Saintes, mais aussi des territoires ruraux d'entrer dans la danse.

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*Bordeaux Métropole, le Département de la Gironde, la Région Nouvelle-Aquitaine, la Fondation de France et la Fédération Léo Lagrange, ont rejoint les premiers soutiens, à savoir la Fondation Crédit Coopératif, AG2R La Mondiale, Groupe Vyv, Sciences Po Bordeaux et Up.

Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 01/12/2023 à 7:56
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La pathologique cupidité de nos possédants a grippé la machine économique, la matière sociale est la seule à pouvoir en graisser les rouages pour qu'elle reparte.

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