Les tiers-lieux ruraux fleurissent, les modèles économiques se cherchent

REPORTAGE. Recréer un lieu de vie et d'activités sur un territoire délaissé. C'est l'ambition de ces trois tiers lieux qui émergent à travers la Nouvelle-Aquitaine. Avec toujours les mêmes impératifs : être à l'écoute des besoins et dénicher des financements spécifiques à chaque phase de développement. Des modèles économiques hybrides et expérimentaux qui se cherchent encore dans la région française la plus dotée en tiers-lieux.
Gaëlle Pépin Le Henanff et Charlène Contival ont fondé un tiers-lieu dans une ancienne coopérative laitière de la Vienne.
Gaëlle Pépin Le Henanff et Charlène Contival ont fondé un tiers-lieu dans une ancienne coopérative laitière de la Vienne. (Crédits : MG / La Tribune)

Depuis la fermeture de la coopérative laitière, le village d'Archigny, dans la Vienne, n'est plus tout à fait sur la carte. Il y a une centaine d'années, en 1913, sa fabrique artisanale glanait une breloque argentée pour son beurre au concours général agricole à Paris. Une fierté tirée des plaines poitevines. Mais l'activité laitière a disparu dans les années 1980 et les 1.100 âmes de la localité n'ont même plus un bar pour s'en apitoyer. L'enthousiasme se trouve ailleurs, ou justement dans les murs de cette friche paysanne.

C'est ici, en contrebas du bourg dans 700 m2 de bâtiments, qu'un collectif de sept personnes a fondé en mars 2023 le tiers lieu Locus. « Être là pour les gens des alentours et leur permettre de récréer du lien » en portant en étendard les valeurs de l'économie sociale et solidaire. Au cœur du noyau, Charlène Contival et Gaëlle Pépin Le Henanff. L'une est présidente de l'association, l'autre sa future première salariée. En cheminant dans la coopérative aux charpentes métalliques, elles projettent une recyclerie, un fablab, des événements avec les habitants et les scolaires ou même un espace de coworking. Les fuites des toitures ou les murs décrépis pourraient les en empêcher. Mais non.

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L'ancienne laiterie doit être entièrement réaménagée pour les activités de Locus. (crédits MG / La Tribune)

« Tout le monde n'était pas prêt pour monter un projet aussi dense. On a décroché les aides, maintenant on a une année pour se tester », motive Gaëlle Pépin Le Henanff, ancienne gestionnaire de ventes dans l'industrie et encore un peu circonspecte face à l'ampleur des travaux. Locus a touché 42.000 euros pour la phase d'amorçage du projet, abondés par la Région et le Grand Châtellerault notamment. L'aide liée à la feuille de route du conseil régional sur les tiers-lieux, environ 50.000 euros, ne sera sollicitée qu'après le réaménagement de l'ancienne laiterie. Le financement des travaux va reposer aussi sur les collectivités alors que le site a justement été ciblé à travers un recensement départemental des friches pour y implanter de l'ESS. Sécuriser l'espace, cette problématique majeure pour les tiers lieux, en Métropole mais surtout en milieu rural avec l'arrivée du zéro artificialisation nette.

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De l'aide municipale aux fonds européens

À Coussac-Bonneval, village de 1.300 personnes au sud de la Haute-Vienne, le tiers-lieu « Lulu la coussacoise » est en train d'éclore. Dans ce trois pièces de 100 m² fermé depuis 15 ans, avec vue sur la campagne, les porteuses de projet épaulées par des bénévoles et un comité de pilotage, s'activent. Leur mission : ouvrir un lieu de vie qui mettra l'accent sur des propositions économiques innovantes entre coworking, artisanat d'art, café réparation orienté sur l'électroménager, cantine rurale et bio, vannerie, upcycling ou encore fabrication de séchoirs solaires.

« Dans l'ESS, il y a de l'économie, du social et de la solidarité. L'intérêt est de montrer que ce type d'économie est possible en dehors du schéma traditionnel et en milieu rural, où il peut créer des emplois et apporter de l'innovation », revendique Séverine Hostein, l'une des porteuses.

« Les collectivités ont été tout de suite intéressées », relie-t-elle. « Nous l'avons d'abord présenté à la Fédération de la Châtaigneraie limousine en 2019, elle a un volet important sur l'économie sociale et solidaire. Elle nous a indiqué les pistes de subventions à demander auprès de la Région, du Département, de l'Europe via le fonds Feder. » La municipalité s'est impliquée en proposant de réhabiliter, d'ici 18 mois, un second local de 180 m2 à l'étage de l'Office de tourisme. Une partie des demandes de subventions seront déposées en fin d'année auprès de la Région pour les travaux. Faute d'investisseurs privés, des fondations pourraient être sollicitées.

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Un tiers-lieu pour 17.000 habitants

À Targon, en Gironde, des porteurs de projet ciblent également une friche. Dans les locaux exigus d'une ancienne agence bancaire, machines à tricoter manuelles des années 70, bobines de fil et de laine, établis, machines à coudre, outils de joaillerie se côtoient dans un joyeux mélange de couleurs et l'odeur des peaux qui attendent d'être transformées en ceintures, bagages ou portefeuilles. Au vu du manque de place, on comprend l'impatience des sept artisans, artistes et artisans d'art du collectif « La Manivelle Ô Vents », créé en 2019 dans l'Entre-deux-Mers, d'intégrer leurs nouveaux ateliers, dans l'ancien appartement du receveur de la Poste de Targon. L'aménagement programmé pour janvier 2022, interviendra finalement dans quelques semaines.

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L'ancien appartement du receveur, au-dessus de la Poste accueillera le tiers-lieu de Targon. (crédits : La Manivelle Ô Vents)

« Nous avions entendu parlé de tiers-lieux, sans y penser pour notre projet. Notre premier interlocuteur a été le Pôle territorial du Cœur Entre-deux-mers. Il nous a mis en lien avec le conseil régional qui, quelques mois et aller-retours sur notre dossier plus tard, nous a accordé son agrément comme tiers-lieu et une aide financière », explique Astrid Desaché, maroquinière. Le tiers-lieu abritera dix ateliers individuels, une salle polyvalente de 80 m2 et un show-room.

Une phase de développement, et avant ça d'amorçage, à chaque fois permise par la volonté politique et les subventions publiques. Dans sa feuille de route votée en 2021, la Région Nouvelle-Aquitaine disait vouloir implanter un tiers lieu à 30 minutes en voiture de tous les habitants. Une haute exigence de maillage territorial qui va de pair avec un large plan de financement. Deux ans après, l'essai est transformé puisque la région compte un tiers-lieu pour 17.000 habitants, contre un pour 33.000 dans le pays. Mais ce soutien appuyé peut aussi occulter la nécessité de construire un modèle économique viable d'ici plusieurs années. Le vrai défi est alors de perdurer au-delà du soutien publique d'amorçage.

« Pour la suite, il nous faut trouver notre modèle économique »

« Les modèles économiques se cherchent. Comme dans toute innovation, vous avez un risque, ici c'est le risque entrepreneurial », illustre Timothée Duverger, chercheur à Sciences Po Bordeaux et responsable de la chaire Terr'ESS. « Pour autant, est-ce qu'il y a besoin de s'émanciper totalement de l'aide publique ? Je ne crois pas, car les tiers-lieux participent à une politique d'aménagement plus équilibré du territoire, donc la puissance publique doit les soutenir sur le long terme », justifie-t-il.

Dans la Vienne, les associées tablent sur un chiffre d'affaires d'environ 70.000 euros d'ici 2027, dont les deux tiers seraient issus de la recyclerie, selon Gaëlle Pépin Le Henanff. « Au bout de trois ans, la recyclerie devrait tourner, les ateliers aussi. On aura une programmation régulière. » « Et puis d'autres activités auxquelles on n'a pas forcément pensé pourront s'ajouter ! On compte aussi sur les gens pour faire vivre le lieu au-delà des événements », ajoute sa partenaire Charlène Contival.

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Les artisans girondins associés attendent de leur côté l'arrivée de nouvelles forces vives. Leur salle polyvalente pourra accueillir des associations, résidences d'artistes, séminaires, ponctuellement quelques coworkers ou pourquoi pas des formations délivrées par des tiers. La location des ateliers et de la salle pourrait représenter jusqu'à 40 % des recettes, selon le budget prévisionnel établi. « Nous toucherons fin 2024 la troisième tranche de l'aide du conseil régional, qui s'élève au total à environ 42 000 euros. Pour la suite, il nous faut trouver notre modèle économique », reconnaît Astrid Deséché, qui devra composer sans subsides publiques dès 2025.

Diversifier les revenus

Le mi-temps de coordinatrice salariée financée pendant presque deux ans par l'aide régionale a pris fin en août. « Désormais, la mission de coordinateur est assurée bénévolement par un binôme d'artisans installés dans le tiers-lieu qui se renouvellera tous les deux mois. Mais la trésorerie restant fragile, nous avons également lancé un crowdfunding pour collecter 3.000 euros », détaille Amandine Pépin.

Pour construire leur modèle économique, les associées de Coussac-Bonneval, en Haute-Vienne, ont prévu des ateliers payants destinés à des artisans avec des sessions de formation entre pairs. La cantine rurale ouverte trois jours par semaine, et bientôt cinq à six jours, assurera une partie de financement du tiers-lieu. Mais sans un subventionnement important et durable, ce choix économique ne pourra perdurer. « Ce ne serait pas possible sans subventions », admet Laura Barthélémy porteuse du projet. « Il n'y a pas d'autres solutions que de maintenir durablement les subventions. »

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Les couturières associées comptent notamment sur les activités manuelles pour dynamiser leur tiers-lieu. (crédits : CM / La Tribune)

Les acteurs de cette économie réclament un soutien encore plus appuyé des collectivités, alors que l'État a quant à lui dévoilé un nouveau plan stratégique, accompagné de financements, début novembre. Mais certains revendiquent aussi une prise de distance progressive pour ne pas dépendre des volontés politiques. « Le seul risque serait que les dispositifs d'aide proposés soient très contraints ou que le but soit d'uniformiser les tiers-lieux. Aujourd'hui ce risque n'est pas actualisé », observe Timothée Duverger. L'autonomie ou pas, un débat qui jalonne l'histoire de l'ESS.

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Commentaire 1
à écrit le 28/11/2023 à 8:54
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Il serait temps de mettre en place ce programme voté par nos élus qui consiste à relier toutes les communes de France avec des voies interdites aux véhicules à moteur non ? Ces tiers lieux l'exigent puissamment, c'est une excellente idée je trouve ce...

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