
Vecteur fortement vert du transport de marchandises, le fret ferroviaire a un profil d'idéal décarboné pour l'économie de demain malgré un passé chargé, marqué depuis les années 1970 par une série chocs historiques, en particulier avec les crises pétrolières, et d'abandons à répétition par la SNCF. C'est ainsi que le fret ferroviaire, qui captait 45 % du trafic marchandises en 1974, est tombé à 9 % en 2021. Un chapitre sombre qui semble en train de se refermer au profit d'un rebond survenu 2022 qui aurait tout d'une nouvelle dynamique a souligné Isabelle Delon, directrice générale adjointe clients et territoires de SNCF Réseau, lors du forum Région Fret, organisé ce mardi 5 juillet au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux.
« Il faut préparer les conditions de succès du fret ferroviaire, qui nourrit une attente très forte chez les entreprises et dans la société ! » a incité Isabelle Delon, saluant la hausse du fret ferroviaire, passé à 11 % en 2022. Un rebond inédit depuis 2015.
SNCF Réseau, filiale de la SNCF, a la haute main sur l'ensemble des infrastructures ferroviaires et des trafics, passagers comme fret. La société commercialise l'accès au réseau, gère les circulations, assure la maintenance... De son côté, Fret SNCF (Rails Logistics Europe), également filiale de la SNCF et société soeur de SNCF Réseau, conçoit et commercialise des offres de fret ferroviaire. Elle vient d'être sévèrement épinglé par Bruxelles pour avoir été aidée par l'Etat, et va se défaire de 20 % de ses actifs pour éviter une forte amende.
Alain Rousset attentif aux attentes des entreprises
« Le fret ferroviaire est un sujet à la fois technique, économique, écologique et financier » a évalué de son côté le président de la Nouvelle-Aquitaine. Avant d'entrer davantage dans les détails.
« L'ambition de la Région c'est de développer le plus possible le fret ferroviaire... C'est sans doute la seule région de France à avoir autant de camions sur les routes, soit à peu près 10.000 par jour. Avec toute la pollution que cela entraine, comme par exemple l'émission de microparticules due au roulement des pneus », a éclairé Alain Rousset, rappelant que le développement du fret ferroviaire dépendait de la disponibilité des sillons et de celle des wagons. « Les chefs d'entreprises disent que le côté aléatoire des réponses de la SNCF à leurs demandes, les oblige à mettre leurs marchandises dans des camions », a-t-il ainsi observé.
« La Région ne pourra pas continuer ses efforts »
Le président de Région a ensuite pointé que « la véritable difficulté » vient de la réhabilitation des voies ferrées, qui se fait « à des prix extravagants».
« Je l'ai dit à la Première ministre : la Région ne pourra pas continuer ses efforts dans ce domaine, compte-tenu de l'impact sur les coûts du Covid, de la crise inflationniste, etc. », a calculé Alain Rousset, alors que le budget régional fait face à une équation inédite.
Puis Alain Rousset a appelé l'Etat à améliorer les moyens en ingénierie de SNCF Réseau.
« Le fret ferroviaire est peut-être un peu plus important que les pistes cyclables, dont les collectivités sont capables de s'occuper elles-mêmes et pour lesquelles l'Etat vient de consacrer 2 milliards d'euros... On dirait que le gouvernement ne sait plus identifier les priorités », a épinglé le patron de la Nouvelle-Aquitaine.
Situation qui traduit selon ce dernier un pilotage au doigt mouillé des infrastructures stratégiques par l'Etat, avec au bout du compte des loupés à répétition en ingénierie qui font gonfler les factures au-delà du raisonnable.
« Il semble que développer un train à hydrogène coûte trois fois moins cher en Allemagne qu'en France », a lancé l'élu.
Avant de souligner l'importance des opportunités qui existent en Nouvelle-Aquitaine, ne serait-ce qu'avec le transport de bois, sans oublier les matières dangereuses ou les matières pondéreuses.
« Ce n'est pas un constat d'échec ni d'une absence de volonté mais le fait que notre effort (en faveur de la réhabilitation des voies ferrées -Ndlr) n'est pas soutenable. Nos ressources sont affectées par la gestion de ces infrastructures. Mais bien sûr nous allons poursuivre les opérations qui ont été lancées », a voulu rassurer Alain Rousset.
Mixer passagers et fret : un vrai défi
Le patron de la Région n'a pourtant pas hésité à mettre la pression en continu, soulignant que vouloir rénover par exemple la ligne de chemin de fer Angoulême-Limoges pour la rendre compatible fret/passagers, c'est extrêmement coûteux, tant et si bien que, pour un conseil régional, cela se transforme « en quadrature du cercle ». Concernant le GPSO (Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest) Alain Rousset, qui soutient farouchement ce projet, n'a pas cité la création de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse mais celle de la LGV Bordeaux-Dax, soulignant les efforts menés de l'autre côté des Pyrénées :
« Quand les Espagnols auront fini de mettre l'écartement de leurs voies ferrées au standard européen ils vont arriver. Ils ont déjà créé deux plateformes multimodales, dont une à Vittoria-Gasteiz (capitale de la Communauté autonome basque/Euskadi -Ndr), et tout ce trafic ne va pas passer par le petit tunnel de Bayonne ! Aussi quand on voit le niveau des investissements qui devront être faits on attend une vraie réponse de l'Etat », a pilonné le président de Nouvelle-Aquitaine.
Augmenter la part du trafic intermodal, notamment dans les ports ayant des embranchements pour les trains (notre photo) est l'un des grands objectifs en terme de trafic de marchandises.
La France en queue de peloton
Isabelle Lasmoles, directrice adjointe de la Dreal Nouvelle-Aquitaine, s'est réjouie elle aussi du rebond du fret ferroviaire passé de 9 % à 11 % entre 2021 et 2022. Mais, soulignant que cette reprise avait été fortement contrariée par la crise en 2022 et même 2023, elle a estimé que trouver le bon modèle économique pour l'activité fret de la SNCF était un sujet central et que l'amélioration de la qualité du service proposé par SNCF Réseau constitue encore un véritable enjeu. Le plan du gouvernement qui veut doubler la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises pour la porter à 18 % d'ici 2030, puis à 25 % d'ici 2050, reste donc très ambitieux.
Avec une part de 11 % du trafic modal pour le fret ferroviaire la France est encore loin de la moyenne de l'Union européenne, à 18 %. Le fret ferroviaire tricolore s'est littéralement effondré depuis 1974, année où il a capté 45 % du trafic de marchandises. Par comparaison, la part intermodale du fret ferroviaire est aujourd'hui de 18 % en Allemagne et de 32 % en Autriche. En France, plus que dans d'autres pays européens, c'est la route qui a triomphé, avec près de 90 % du transport de marchandises. Sachant qu'un train complet de marchandises à une capacité d'emport de 40 camions, qu'il génère huit fois moins de pollution, quasiment pas d'accident, sans parler du bruit.
Directeur des achats du groupe Basaltes, très gros producteur de granulats originaire de la Mayenne, implanté en Nouvelle-Aquitaine à la Carrière de Thiviers (Dordogne), Xavier Breffeil a témoigné que choisir le rail pour le fret n'était pas un long fleuve tranquille. Parce qu'il est difficile de trouver un train, que les cadences de circulation sont insuffisantes, que les coûts et les délais nécessaires à une entreprise pour obtenir un embranchement ferroviaire sont hors de portée.
« Je ne suis pas sûr qu'avec l'état actuel des infrastructures ferroviaires, on puisse doubler la part du fret ferroviaire d'ici 2030 », a-t-il ainsi déploré.
Tonneins aimerait rouvrir d'autres embranchements
C'est toute la question du poids de la réhabilitations des voies soulevé par Alain Rousset. Les infrastructures ferroviaires destinées au fret se sont fortement dégradées et leur remise à niveau va nécessiter de très importants investissements. Dante Redondau, le maire de Tonneins (Lot-et-Garonne), qui a sur les bras une des plus grandes friches industrielles de la région à relancer, avec les anciennes manufactures de la Seita, confirme cette réalité.
« Sur notre commune nous avons quatre embranchements ferroviaires, qui desservent les anciens sites de la Seita. Grâce à une entreprise nous avons réussi à attirer un opérateur, ce qui nous a permis de réindustrialiser une zone de six à sept hectares. Nous payons pour entretenir les embranchements ferroviaires et nous avons de grandes entreprises comme Terre du Sud, qui sont présentes à Tonneins. Mais elles utilisent la route », a déroulé le maire,
Son but : faire comprendre que remettre en activité un embranchement ferroviaire c'est très long et très cher. Avec un coût évalué à 500.000 euros et une durée de six mois par embranchement selon le représentant du groupe Basaltes.
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