Comment la Garonne veut se convertir au fret fluvial

Malgré une nouvelle expérimentation de transport de marchandises sur la Garonne, le passage à l'échelle pour densifier le fret fluvial entre le Lot-et-Garonne et Bordeaux reste un immense défi tant les obstacles sont nombreux. Mais la mobilisation collective est bien réelle et de premières rotations mensuelles sont désormais envisagées dès 2023 par Biocoop avant un probable appel à manifestation d'intérêts d'ores et déjà attendu par les acteurs du marché.
Une vingtaine de tonnes de marchandise acheminées en péniche depuis Damazan (Lot-et-Garonne) ont été débarquées à Bordeaux ce 5 octobre.
Une vingtaine de tonnes de marchandise acheminées en péniche depuis Damazan (Lot-et-Garonne) ont été débarquées à Bordeaux ce 5 octobre. (Crédits : PC / La Tribune)

Réclamé par la majorité et l'opposition à Bordeaux et Bordeaux Métropole, soutenu par les villes et entreprises riveraines de la Garonne, à commencer par Agen et Marmande, le retour du fret fluvial dans le port de la Lune est une opportunité bien réelle autant qu'une affaire complexe. Au printemps 2021, le collectif d'entreprises Garonne Fertile avait testé de manière concluante la livraison de produits alimentaires par le fleuve entre Damazan, en Lot-et-Garonne, et Bordeaux. Ce mercredi 5 octobre, Bordeaux Métropole et une série de partenaires (*) ont lancé nouvelle expérimentation symbolique, le temps d'une journée, sur trois zones de déchargement situées sur les quais de Bordeaux et prises en charge par des vélos cargo et des camionnettes de Remue-Ménage : une vingtaine de tonnes de produits agricoles chargés à Damazan (Lot-et-Garonne) deux jours plus tôt ont été déchargées sur le ponton Richelieu, des matériaux de construction quai de Bacalan et des biodéchets collecté en bac quai de la Grave.

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Huit sites potentiels déjà envisagés

L'heure n'est donc pas un tonnage significatif mais aux travaux pratiques pour en tirer un maximum d'enseignements opérationnels.

"L'objectif est de savoir qui fait quoi dans le fonctionnement d'une base logistique, d'identifier les conflits d'usages sur les quais, l'impact visuel d'une zone de déchargement, le recours au privé ou à une régie, etc. Dans l'idée de préparer un potentiel futur appel à manifestation d'intérêts", précise François Le Gac, le directeur de la mission fleuve à la Métropole.

Trois sites possibles de massification des flux et cinq sites de déchargement ont été identifiés le long du fleuve. Un sujet aussi sensible qu'indispensable puisqu'il faudra bien, à terme, consacrer du foncier ou un nouveau ponton à cette activité logistique le long de quais désormais largement dédiés aux loisirs et aux mobilités douces. Contrairement à Paris, Bordeaux n'a pas su conserver la fonction industrielle de la Garonne en préservant des zones de débarquement conséquente. Mais des solutions flottantes et des grues repliables existent, notamment pour respecter les critères du périmètre Unesco. Pour y réfléchir, le conseil métropolitain a notamment acté, le 30 septembre dernier, le lancement d'un schéma directeur des équipements fluviaux autour d'une trentaine d'équipements et de quatre axes : la mobilité, le tourisme fluvial et la logistique fluviale et urbaine, des actions transversales et des réflexion prospectives.

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La rentabilité dépendra de la massification

Dans l'immédiat, ce nouveau test grandeur nature a permis de valider le transport froid, le gabarit de la grue utilisée mais aussi et surtout la coopération entre tous les acteurs privés et publics. Car la coopération et la montée en volume sont les clefs du projet selon Jean Touzeau, le vice-président de Bordeaux Métropole en charge de la valorisation du fleuve :

"L'enjeu est maintenant d'aller chercher d'autres acteurs économiques qui peuvent être intéressés par ce mode de transport qui est très vertueux. Nous allons tirer les leçons de cette expérimentation pour avancer le plus vite possible."

Plusieurs acteurs complémentaires sont déjà parties prenantes dont les entreprises Boyé Construction (matériaux de construction) et Restovalor qui collecte des déchets alimentaires dans le centre de Bordeaux vers son site de production de biogaz à Bassens. "On répond aux mêmes enjeux mais en sens inverse, ce qui permet potentiellement de remplir les bateaux deux fois", souligne Daniel Folz, le président de cette petite PME bordelaise. Il s'agit là aussi d'un facteur décisif pour éviter de faire naviguer des péniches à vide. L'enjeu du trajet retour, en transportant des marchandises vers le Lot-et-Garonne, est donc importante pour assurer la viabilité financière du projet même si Jean-Marc Samuel, le dirigeant de la société L'Équipage, assure pouvoir s'y retrouver financièrement.

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De leurs côtés, les clients doivent s'attendre à un surcoût en empruntant la Garonne qui s'ajoute à la contrainte d'un temps de de trajet de deux jours contre deux heures en camion. "Sur le dernier kilomètre, on est plutôt compétitif. Sur le fluvial cela dépendra des volumes, de la concurrence entre les opérateurs et d'éventuelles lignes régulières. Mais on considère qu'à partir de 30 tonnes, cela peut être compétitif sans même prendre en compte le service rendu écosystémique en termes sociaux et environnementaux", évalue Benjamin Labelle, directeur chez Manger Bio Sud Ouest (MBSO).

"Les grilles tarifaires ne sont pas définies et dépendront du tonnage mais ce qui est certain c'est qu'on ne cherchera pas à s'aligner sur le bas coût du transport routier qui est une aberration et évacue totalement son coût social et environnemental. Avec le transport fluvial on achète du confort de vie en plus", abonde Jean-Marc Samuel.

Des rotations mensuelles dès 2023

C'est d'ailleurs ce transporteur toulousain qui pourrait opérer dès l'an prochain une première liaison régulière pour le compte de l'enseigne de distribution Biocoop. "Nous avons une plateforme logistique à Damazan qui alimente nos 25 magasins girondins. Nous avons donc l'ambition de faire une rotation par mois dès 2023 pour alimenter nos magasins voire, si on est très optimistes, deux rotations par mois", annonce Christophe Delpino, le porte-parole des Biocoop de Gironde. Le client est là, le transporteur aussi, il reste à la mairie et à la Métropole de rendre possible cette première mise en route en faisant un peu de place sur les quais.

D'autant qu'à terme, les gains peuvent être très importants selon l'entreprise ULS (Urban logistic solutions) qui regarde de près le marché bordelais. Déjà opérationnelle à Strasbourg et plus récemment à Lyon, elle avance des chiffres conséquents :

"À Strasbourg, où nous avons une plateforme de 25.000 m2, notre barge d'une capacité de 112 tonnes opère trois rotations quotidiennes pour approvisionner 800.000 points de livraison par an ce qui permet d'éviter la circulation de 135.000 camionnettes par an. Les émissions de C02 diminuent de 92 et on atteindra 100 % quand on aura une motorisation électrique", fait valoir Thomas Castan, sont dirigeant et fondateur.

De quoi donner envie aux élus bordelais qui ont réaffirmé ces derniers jours leur volonté de décarboner le territoire et de fluidifier la circulation sur la rocade et dans l'agglomération.

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