Le contournement autoroutier de Bordeaux, une impasse écologique ?

ENJEUX. Ressorti des cartons par les décideurs politiques et économiques girondins, le projet d'un contournement autoroutier de Bordeaux est loin de faire l'unanimité dans le monde académique. Les universitaires y voient plutôt un projet du 20e siècle à contre-sens des impératifs de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre et de préservation des écosystèmes.
(Crédits : Reuters)

Débutée en 2009, la mise à 2x3 voies de la rocade bordelaise a été officiellement achevée ce samedi 6 mai. De quoi fluidifier durablement cette infrastructure qui voit passer quotidiennement entre 85.000 et 140.000 véhicules ? Pas nécessairement, prévenait déjà l'A'urba, l'agence d'urbanisme Bordeaux Aquitaine, l'an dernier : « Comme cela s'est vu sur les tronçons déjà finalisés, l'appel d'air de la 3e voie est temporaire et la nouvelle voie se remplit progressivement et principalement de véhicules légers. »

Pourtant, ce sont bien les poids-lourds, qui pèsent entre 8 % et 15 % du total, qui sont pointés du doigt par les responsables politiques et économiques girondins à l'heure de ressortir des cartons le projet d'un contournement autoroutier de la métropole bordelaise. Quand bien même la part du trafic de transit n'est pas déterminante : « sur la rocade à l'est, 51 % des poids lourds alimentent l'économie locale, chiffre qui atteint 96 % à l'ouest où le trafic de transit est donc quasi inexistant », note l'A'urba.

Trafic de la rocade bordelaise

Cliquez sur l'image pour l'agrandir. Le trafic de la rocade bordelaise en 2019 analysé par l'A'urba (crédits : A'urba).

« Un véritable aveuglement »

À l'heure où les projets d'autoroute Toulouse-Castres ou de contournement de Rouen sont contestés sur le terrain, est-il bien raisonnable de promouvoir la construction d'un barreau autoroutier de 70 km pour relier Langon, sur l'A62 en Gironde, à Mussidan, sur l'A89 en Dordogne ? « Ne pas renoncer à des projets comme l'autoroute Toulouse-Castes considérant les enjeux climat-biodiversité d'aujourd'hui est un véritable déni d'un monde qui se transforme, un véritable aveuglement », déclarait le 22 avril Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS et l'un des auteurs du dernier rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), ajoutant qu'« acter la construction d'une nouvelle autoroute nous verrouille directement ou indirectement dans les fossiles et ne nous permet pas de repenser la mobilité. »

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Si à Bordeaux, le vieux projet de contournement autoroutier est bien moins avancé, il a été remis en selle à la fois par des élus bordelais et libournais et par 17 organisations professionnelles girondines. Tous promettent un projet exemplaire sur le plan environnemental qui serait même compatible avec les impératifs de transition écologique.

« Une réponse déconnectée de la réalité »

« La construction d'une autoroute est mécaniquement émettrice de CO2, dire l'inverse relève du green washing », pointe Sébastien Chailleux, maître de conférences à Science Po Bordeaux sur la transition énergétique. « Les élus savent que ce n'est pas le sens de l'histoire mais ils essaient de conserver des objets carbonés du 20e siècle en tentant de les rendre compatibles avec les problèmes d'aujourd'hui et de demain. »

Sa collègue Sylvie Ferrari, professeure d'économie écologique à l'Université de Bordeaux, ne se montre pas plus enthousiaste : « Clairement c'est une réponse déconnectée de la réalité d'aujourd'hui, que ce soit vis-à-vis des objectifs environnementaux fixés au niveau régional, de la réglementation nationale ou des recommandations du Giec. » Pour celle qui est aussi membre du parti Urgence écologique de Delphine Batho et du Comité scientifique régional sur le changement climatique AcclimaTerra, « un tel projet ne va pas réduire ni même contenir les émissions de gaz à effet de serre mais au contraire les augmenter tout en accélérant l'érosion de nos écosystèmes en artificialisant des milliers d'hectares supplémentaires. »

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Une compensation incertaine

Et les deux universitaires ne sont pas plus convaincus par les promesses de compensation des terres artificialisées. « La compensation ne résout pas l'érosion de notre biodiversité ni à court ni à long terme. Nous sommes déjà dans le rouge, on ne peut pas perdre dix ou vingt ans de plus ! », alerte Sylvie Ferrari. Le triptyque « éviter-réduire-compenser » cher aux aménageurs est également critiqué par Sébastien Chailleux : « Je suis très sceptique sur ces mécanismes de compensation foncière qui sont rarement efficaces même quand ils sont mis en œuvre. On sait toujours ce qu'on perd, mais rarement ce qu'on aura réellement en termes de compensation... »

Outre les millions de tonnes de granulats qu'il faudra mobiliser, un tel projet ne manquerait pas non plus d'être contesté par les défenseurs de l'environnement. Notamment parce que toute nouvelle infrastructure routière induit un trafic supplémentaire alors même qu'entre 1995 et 2019, les émissions de gaz à effet de serre des transports routiers ont crû de 1,4 % alors que tous les autres secteurs de l'économie ont réduit leurs niveaux d'émissions. « Ces chantiers autoroutiers auront un énorme impact carbone, seront des aspirateurs à véhicules et auront des conséquences sur l'étalement urbain », conclut l'ingénieur bordelais Laurent Castaignède, auteur de « Airvore ou le mythe des transports propres ».

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Le ferroutage, l'éternel absent

Il reste la question des alternatives envisageables alors que ce grand contournement semble brandi faute de meilleure solution. Tous les yeux se tournent vers le transport de marchandise par le train, là-aussi un vieux sujet qui s'est effondré ou presque depuis 20 ans. « Pourtant tout devrait nous pousser à désinciter le transport de marchandises par la route, par le biais, par exemple, d'une redevance kilométrique sur les trajets de transit », propose Sylvie Ferrari. C'était le principe de l'éco-taxe poids lourds imaginée il y a dix ans avant d'être abandonnée face à la grogne des transporteurs tandis que l'expérimentation d'un péage poids-lourds sur la rocade vient d'être repoussée par l'Etat.

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Mais la piste fiscale et règlementaire est également citée par Sébastien Chailleux, qui tire même le fil un cran plus loin pour questionner la pertinence d'un grand contournement : « Si le vrai problème sur la rocade aujourd'hui ce sont les camions de primeurs espagnols, projetons-nous en 2040 quand le climat espagnol ressemblera à celui du Sahara : je ne suis pas certain que ces flux de camions soient encore là... C'est à ces enjeux là qu'il faut réfléchir. »

Un trafic poids-lourds décarboné dans 20 ans ?

C'est un argument brandi par les promoteurs de projets : dans 20 ans, les camions seront « propres », car dotés d'une propulsion électrique, à hydrogène ou aux agro-carburants, et ne seront donc plus un problème. « C'est totalement erroné et cela ignore les coûts énergétiques cachés et l'empreinte carbone de la fabrication et du fonctionnement de ces véhicules », répond Sébastien Chailleux. En 2020, 99,3 % des 523.000 poids-lourds français roulaient encore au diesel. « Prétendre que dans 20 ans les véhicules seront non polluants et qu'on peut donc les multiplier, c'est non seulement faux mais c'est une forme de cynisme de nous faire croire que le système va se dépolluer tout seul grâce à la technologie », dénonce également Laurent Castaignède.

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Commentaires 3
à écrit le 10/05/2023 à 9:08
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Les politiques d'aménagement doivent-elles nous permettre de vivre mieux et comme nous l'entendons, ou s'agit-il de nous en imposer in usage contraint au nom d'un contrôle social qui ne s'avoue pas ? Le gauchisme ne se cache même plus. On ne se verro...

le 19/05/2023 à 10:48
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et vous dans ce texte n'imposez vous votre vision à tous les autres cachez vous votre fascime en accusant les autres de gauchistes ?

le 20/05/2023 à 19:42
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@Theo22 : mais pas du tout, je regarde en souriant avec bienveillance cette humanité souffrante qui veut m'imposer de vivre comme elle le veut elle, "pour mon bien" que je suis incapable de reconnaître : heureusement qu'elle est là.... Mais je suis d...

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