Peut-on imaginer une agriculture majoritairement biologique ?

DÉCRYPTAGE. Alors que le contexte géopolitique et économique vient freiner la consommation de produits biologiques, la transition agricole est requestionnée. Le développement du modèle d'agriculture biologique demeure bien une des réponses aux enjeux de l'agriculture de demain, mais sa massification pose des limites majeures. Des chercheurs de Bordeaux Sciences Agro tentent d'apporter des réponses.
Maxime Giraudeau
(Crédits : DR)

Est-il possible de nourrir toute la planète grâce à l'agriculture biologique ? Sans parler des nouvelles difficultés économiques du marché de la bio, dont la consommation est pour la première fois depuis huit ans en recul (-3,9 % en 2021 dans les grandes surfaces) ou de l'expérience raté du 100 % bio au Sri Lanka, les conditions autour de la production biologique font germer des équations difficilement solubles. C'est ce que montrent notamment deux maîtres de conférences de Bordeaux Sciences Agro, Thomas Nesme et Pietro Barbieri, alors que l'institut agronomique vient de lancer une chaire dédiée à l'agriculture biologique.

Ce dernier a conduit sa thèse de doctorat entre 2016 et 2018 pour répondre à cette question : la disponibilité en éléments minéraux pourrait-elle contraindre le développement de l'agriculture biologique à l'échelle mondiale ? Car cette production nécessite des apports tout particuliers.

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Les sols doivent notamment être enrichis en azote, composé indispensable à la photosynthèse. Mais comme l'agriculture biologique proscrit le recours aux engrais chimiques, l'apport est réalisé autrement. "On apporte de l'azote sous forme de matière organique, par des fumiers, composts ou résidus de culture par exemple. C'est un apport beaucoup plus complet que les engrais", présente Thomas Nesme. Le développement de l'agriculture biologique est donc conditionné à la disponibilité de ces matières organiques. Et impliquerait un remplacement des espèces monogastriques (volailles) par les ruminants (bovins) pour fournir les substances nécessaires.

60 % d'agriculture bio maximum

"Si on regarde différents scénarios intermédiaires, on voit déjà qu'on ne pourra pas convertir 100 % des surfaces. Dans un scénario de conversion de 20 % des cultures, on va augmenter la productivité du système agricole et c'est dû, surtout, à ce changement dans la structure de population animale. Dans un scénario de 60 %, c'est là que nous avons identifié un développement maximal de l'agriculture biologique à l'échelle mondiale", illustre Pietro Barbieri, avec ses travaux de thèse à l'appui.

Au-delà de 60 %, l'équilibre agricole entre la production végétale et animale vacille et n'est plus viable pour nourrir l'humanité selon le duo de chercheurs.

Cette imbrication entre le développement de l'élevage à grande échelle et les productions biologiques pose un paradoxe à l'heure où la filière joue sur une réduction de l'impact carbone. "L'élevage est un secteur très critiqué pour ses émissions, mais il constitue un apport majeur en économie organique et pour soutenir la fertilité des sols", fait valoir Thomas Nesme. La fertilisation serait également possible via le recyclage des eaux usées mais cet usage n'est pas autorisé réglementairement aujourd'hui.

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L'acheminement des effluents fertilisants serait une tâche difficile à organiser. Selon l'enseignant-chercheur, "transporter les effluents d'élevage n'est plus rentable au-delà de dix kilomètres." C'est d'autant plus délicat en Nouvelle-Aquitaine, première région agricole française, où les terroirs d'élevage sont éclatés aux confins du territoire (Pyrénées-Atlantiques, Limousin, nord Deux-Sèvres...). Une ressource peu disponible et pour laquelle les acteurs du bio vont se retrouver en compétition avec les unités de méthanisation, également demandeuses de matières organiques.

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"Encore faut-il trouver des débouchés"

Autre piste, qui se fonde cette fois sur un procédé totalement naturel : l'association de légumineuses dans les cultures terrestres. En effet, ces plantes (lentilles, luzerne, pois...) ont la faculté de capter l'azote présent dans l'atmosphère et de l'injecter dans le sol. Même si elle offre des rendements plutôt instables, leur culture pourrait être une piste complémentaire. "Encore faut-il trouver des débouchés", pointe le professeur agronome. C'est bien là une limite du perfectionnement des méthodes de l'agriculture biologique, qui n'est rien s'y, en face, le marché ne répond pas.

Avec 2,8 millions d'hectares en France, les surfaces biologiques représentent 10 % du total des parcelles agricoles selon le ministère de l'environnement. Mais, côté consommation, alors que la bio connaissait une progression ininterrompue depuis huit ans, la filière se pose des questions après la baisse enregistrée en 2021. Les enjeux de croissance de la production ne peuvent être dissociés des débouchés économiques. Dans un climat d'inflation qui s'installe, la confiance dans ce modèle vacille. Pour ne pas perdre la bataille de l'opinion, les représentants de la filière avancent que la bio est plus résiliente au changement climatique que l'agriculture conventionnelle. Mais il n'y a pas de consensus scientifique sur la question.

"Aujourd'hui, on n'a pas vraiment de certitudes", avance Thomas Nesme. "Une hypothèse dit que la bio est plus vulnérable parce qu'en conventionnel on a des solutions curatives. L'autre hypothèse affirme que la bio est plus résiliente : les stocks de matière organique dans les sols sont plus élevés et elle donne des systèmes de culture plus diversifiés." Elle demeure en tout cas cruciale pour répondre aux perspectives de transitions écologiques avec une agriculture qui s'exprimera demain par un modèle plus diversifié qu'il ne l'est aujourd'hui.

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Maxime Giraudeau

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