La laine cherche comment tisser sa filière au-delà du textile

REPORTAGE. Des ateliers textile partagés émergent dans la Villa Chateaufavier au cœur de la cité d'Aubusson. Un lieu approvisionné par des laines artisanales qui illustre la constitution d'une filière régionale en Nouvelle-Aquitaine autour de la laine. Mais cette coordination doit trouver des débouchés au-delà des textiles et objets d'art pour faire revivre une matière première historique mais délaissée.
A Aubusson, des ateliers réservés aux artistes ou étudiants valorisent des laines pour les créations textiles.
A Aubusson, des ateliers réservés aux artistes ou étudiants valorisent des laines pour les créations textiles. (Crédits : MG / La Tribune)

Dans la ville médiévale d'Aubusson, aux abords ouest du Massif Central, le tapis et la tapisserie sont une fierté mondialement connue. Encore plus depuis que la Creuse a obtenu, en 2018, une indication géographique qui certifie la conception locale de ces deux emblèmes. Le savoir-faire se perpétue pourtant à base de toisons du bout du monde, d'Australie et de Nouvelle-Zélande, plus compétitives. Tout un paradoxe.

Déjà à l'origine de l'obtention du label, l'association Lainamac veut tirer encore le fil de la filière française. Et renverser la balance. En surplomb de la cité internationale de la tapisserie, elle se fait une place au sommet de la Villa Chateaufavier, réhabilitée par la Chambre de commerce et d'industrie de la Creuse. Investie fin 2022, elle propose aujourd'hui des ateliers partagés pour les professionnels du textile, artistes, designers ou étudiants. Avec des machines semi-industrielles de pointe : aiguilleteuse, bobineuse-retordeuse ou métier à tisser électronique - la fierté du lieu - capable de créer des motifs à l'infini.

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Le métier à tisser a représenté un investissement de 70.000 euros. (crédits : MG / La Tribune)

« C'est une machine de prototypage unique en France, on la trouve seulement dans des écoles ou des fablabs. L'idée c'est qu'on mette à disposition des équipements pour chaque étape de la transformation », présente Maëlle Petitjean sur un étage contenu à 120 m2 mais qui ambitionne de « faire le pont entre l'industrie et l'artisanat ». Ce vendredi de printemps, la responsable des ateliers partagés reçoit des jeunes en formation venues des Causses du Quercy. Tissage, feutre, création, fil, programmation des machines : la ligne de production en petite série s'anime dans l'espace d'une boîte à chaussure.

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Dominant le centre-bourg, la Villa Chateaufavier (à gauche) réinvestie par Lainamac a été lauréate de l'appel à projet de l'État dédié aux Manufactures de proximité. (crédits : MG / La Tribune)

« On est bien incapables de proposer des débouchés »

Une attention portée sur les métiers d'art que Lainamac entretient à Felletin, ville voisine, où elle dirige une quarantaine de formations sur les techniques et professions textiles. De quoi alimenter en forces vives la quarantaine d'entreprises du territoire qui perdurent. Mais côté marché, le seul textile, harassé par la concurrence asiatique et océanique, ne suffit pas à écouler les quantités. Les moutons de Nouvelle-Aquitaine produisent chaque année 2.300 tonnes de laine. « Les 120 entreprises du textile en Nouvelle-Aquitaine ne consommeraient que 10 % de ces laines. La filière textile n'arrive pas à absorber l'ensemble des volumes », bouscule Géraldine Cauchy, la directrice de Lainamac.

Le 3 avril dernier, l'association a officialisé la constitution d'un réseau dédié à la laine en Nouvelle-Aquitaine, sobrement baptisé RésoLaine. Il y a évidemment la volonté de valoriser les traditionnels bérets basques, pantoufles charentaises et tapis d'Aubusson, chers au conseil régional partenaire du projet. Mais on y voit surtout la quête de nouveaux horizons. « Aujourd'hui, on est bien incapables de proposer des débouchés, alors la priorité c'est d'être sur de la R&D pour les étudier et les trouver avant d'aller voir des éleveurs et leur dire que leur laine nous intéresse », dessine Géraldine Cauchy.

10 centimes le kilo

Un rôle prospectif attribué à la CCI du Pays basque, autre partenaire du projet, qui se penche sur la fertilisation des sols agricoles à partir de granulés de laine. La pratique est pour l'instant interdite car elle nécessite de traiter la laine avant épandage, mais elle représenterait un débouché à grand volume. Lainamac pense aussi à d'autres domaines d'application, à condition de dénouer des problèmes : les isolants pour le bâtiment vulnérables face aux mites ou les lits d'hôpitaux soumis à des certifications exigeantes. Un savoir-faire sur la matelasserie que la filière entretenait encore il y a quelques années et dont la production était écoulée en Asie. Avec les surcoûts issus du travail artisanal, le marché français n'est pas favorable. Les éleveurs, eux, sont devenus habitués à ne plus valoriser leurs toisons.

« On est obligé de tondre une fois par an pour raison sanitaire et pour le bien-être animal, mais ce n'est pas rentable, oppose Pascal Picaud, éleveur ovin en Creuse et président de la coopérative Celmar. Les tondeurs facturent entre 1,80 et 2 euros la brebis, or l'an dernier on vendait la laine dix centimes le kilo, sachant qu'une brebis fait environ deux kilos de laine par an », détricote-t-il. Maigre affaire. La plupart des éleveurs ne font même plus l'effort de vendre les habits de leurs moutons. Pour endiguer cette perte, les partenaires de RésoLaine veulent fixer un prix d'achat à un euro le kilo afin de couvrir les coûts de tonte.

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Du global au local

« Acheter la laine à un bon prix, c'est aussi encourager l'éleveur à sélectionner et faire en sorte qu'il travaille toute l'année dans le but qu'elle soit valorisée », théorise Maëlle Petitjean. Cette année, cinq éleveurs du centre de la France vont fournir plus d'une tonne de fibres aux ateliers tapissiers d'Aubusson. « On veut déjà voir si les fabricants de tapis mordent à notre essai. Après l'objectif, ce serait peut-être d'ici cinq à dix ans de faire une IGP laine de la Creuse. C'est un rêve », concède Pascal Picaud mais pas vain avec « notre laine creusoise mondialement connue. »

Réputée pour sa qualité et son savoir-faire patrimonial. Mais pas vraiment pour sa compétitivité. Il faudra que l'argument localiste pèse dans la balance si la filière veut retrouver des débouchés spécifiques et qui concentrent des gros volumes. « Il faut sortir du jeu d'acteurs de notre filière habituelle, il faut absolument que l'on trouve des nouveaux clients, défend la directrice de Lainamac. La laine serait adaptée pour pleins de sujets, mais la question c'est de trouver le bon équilibre financier, pour rester dans des coûts acceptables par le consommateur, qu'il soit privé ou public. » Une guerre des moutons qui ne fait que commencer pour un produit très politique.

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Commentaires 2
à écrit le 29/04/2024 à 21:22
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Une ville bien agréable à vivre mais sa situation géographique avec des routes dont les transports routiers ne veulent plus, sauf pour le transport de bois, est un frein à son développement économique mais c'est également certainement ce qui en fait ...

à écrit le 29/04/2024 à 16:58
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Il n'y a plus de filière ce qui contraint les éleveurs à mettre la tonte des brebis à la décharge .

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