Économie circulaire : la bataille entre recyclage et matières biosourcées

DÉCRYPTAGE. L'économie circulaire signifie-t-elle le retour des matières à la terre ? C'est toute la question qui voit s'affronter partisans du recyclage et ceux des matières biosourcées. Avec la loi Agec, la première filière se voit favorisée quand la seconde dénonce un système qui conforte la pétrochimie et empêche l'émergence de matières vertueuses.
Maxime Giraudeau
Contrairement au plastique d'origine fossile, les matériaux biosourcés sont biocompostables via des réseau de collecte.
Contrairement au plastique d'origine fossile, les matériaux biosourcés sont biocompostables via des réseau de collecte. (Crédits : MG / La Tribune)

« L'écologie n'est pas un consensus ». On pourrait en dire tout autant de l'économie circulaire. Comme le suggère le titre du livre de François Gemenne, auteur du Giec, les débats actuels voient s'affronter différentes façons de mener les transitions sociétales. Et l'économie circulaire n'y échappe pas. Ce secteur promoteur du réemploi des objets et de la circularité de leurs composants paraît indispensable pour réguler nos modèles mais est traversé par de vifs déchirements.

D'un côté, les partisans du recyclage, avec tous les procédés qui consistent à trier et valoriser les déchets pour leur donner une seconde vie. De l'autre, les défenseurs des matières biosourcées qui s'évertuent à bannir de leurs productions les composants fossiles, surtout le plastique à base de pétrole. Le premier tient compte de la règle des 3 R : réduire, réutiliser, recycler. Le second lui en ajoute deux : refuser et rendre à la terre. Plus de trois ans après la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) et suite à des divergences historiques, c'est la filière recyclage qui a remporté une bataille majeure.

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La loi va imposer d'ici 2040 la fin du plastique jetable en France. En attendant, le pastique à usage unique devra intégralement être recyclé à partir de 2025. Ainsi, les missions des éco-organismes de la filière vont voir leurs missions renforcées. Une victoire issue de longues années de lobbyisme qui ont vu s'affirmer des acteurs tels que Veolia, Paprec ou Citeo, au fur et à mesure que la loi a fait du recyclage la norme en matière de gestion des déchets. Or, la filière n'a jamais appelé jusqu'ici à la réduction de la production d'emballages. Entre 1992, année où la loi a imposé aux collectivités locales le recyclage des déchets, et 2019, la quantité de déchets ménagers annuelle est passée de 360 à 580 kilos par habitant selon l'Ademe. Aujourd'hui, sous l'impulsion de la loi Agec, le discours a un peu dévié.

« Le lobby qui veut que rien ne change »

« Le plastique ne disparaîtra jamais car il a trop de caractéristiques techniques favorables, mais on est sûrement allé trop loin dans le jetable », évoque Thierry Dufourcq, directeur général de Reviplast à Limoges, qui traite les déchets industriels, et responsable des activités plastique du Groupe Pena qui emploie 230 personnes à Mérignac. Ce défenseur du réemploi du plastique conventionnel est par ailleurs représentent de Federec, la puissante fédération du recyclage qui a inspiré les orientations de la loi Agec.

En coulisses s'est ainsi joué le maintien en place de l'industrie du plastique pétrochimique. « L'État devrait imposer l'utilisation de matières recyclées partout où c'est possible techniquement. Comme le plastique recyclé ne compose jamais une nouvelle pièce à 100 %, on a des produits qui ne perdent pas en caractéristiques techniques », justifie-t-il à La Tribune. Une promotion décriée par d'autres promoteurs de l'économie circulaire, les fabricants de matières biosourcées. Des acteurs qui utilisent des matières naturelles telles que le bois, les coquilles de fruits ou les pelures de végétaux pour créer des composants adressés aux marchés de l'emballage, la santé et la cosmétique notamment. Pour des produits qui visent in fine le retour à la terre.

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« Le recyclage c'est le lobby qui veut que rien ne change, ni la production de plastique, ni le prix ni la matière. D'une certaine manière, ils créent une promotion du plastique pétrochimique », tance Nicolas Moufflet, dirigeant de Lyspackaging. L'entreprise basée en Charente-Maritime est capable de fabriquer des contenants à base matière naturelle à destination du secteur cosmétique ou agroalimentaire. Elle emploie aujourd'hui une vingtaine de salariés mais dit ne pas pouvoir se déployer comme elle l'entend.

1 % de plastique biosourcé dans le monde

« Le recyclage est une force qui nous empêche de nous développer », accuse le dirigeant. « Si une matière innovante arrive sur le marché en 2026, la loi dit qu'elle ne pourra pas être vendue car elle n'aura pas de filière. La France se privera d'innovation alors qu'on a un savoir-faire exceptionnel dans le pays. Aujourd'hui, si vous voulez n'importe quel produit en matière biosourcée, on est sûr qu'en face il y a une société qui a la solution. »

Les forces en présence sont en effet nombreuses et prometteuses, à l'instar de Dionymer en Gironde qui a breveté un procédé d'obtention de biopolymère, ou Lactips dans la Loire qui vient de lever 14 millions d'euros avec son granulat alternatif au plastique pétrochimique. Des entreprises veulent également investir en France, à l'instar de Futerro et son projet de bioraffinerie en Normandie. L'on peut également citer Natureplast, Seabird, Novamont ou Vegeplast. Mais elle ne pèsent que des miettes.

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Selon Plastics Europe, les bioplastiques ont représenté 1 % des 390 millions de tonnes de plastique fabriqué dans le monde en 2022, comme le relaye Unitec dans sa note de veille de novembre. Mais leur production devrait être multipliée par trois à l'échelle mondiale d'ici 2027. « La question c'est comment on va s'affranchir du pétrole ? », pose Thomas Hennebel, le CEO de Dionymer. « Oui, il y a un risque réel que la filière recyclage freine l'essor du biosourcé mais vu l'immensité des besoins, il faudra les deux technologies : biosourcé et recyclé. Il y aura nécessairement une cohabitation avant que le biosourcé ne prenne, à terme, le dessus de manière inévitable. » Malgré des propriétés plus vertueuses que celles des produits à base de chimie de synthèse, les bioplastiques continuent pourtant d'être décriés.

Impact environnemental

« On ne sait pas comment ils se dégradent dans la nature, si ça apporte vraiment quelque chose à la terre », oppose Thierry Dufourcq. « Je trouve risqué de les produire à l'échelle industrielle sans connaître les incidences sur l'environnement. » L'impact du plastique pétrochimique est quant à lui bien connu et cela n'empêche pas les industriels de le produire en masse, causant au final la pollution des écosystèmes.

Les bioplastiques vantent quant à eux leurs mérites de biocompostabilité, non pas directement chez les particuliers mais via les réseaux de collecte. Or, ces industriels, partisans du recyclage, se montrent réticents à intégrer ces nouvelles matières dans leurs procédés. « La durée de dégradation est trop longue, ça devient un gros problème pour les composeurs industriels », rétorque le recycleur.

« Les produits à base de pétrole ne sont pas recyclables à l'infini. Pour se passer de la dépendance au pétrole, il faut créer de nouvelles matières », oppose de son côté Nicolas Moufflet. Une stratégie choisie par les États-Unis ou l'Italie qui promeuve ces alternatives. La France, elle, leur préfère encore l'autre camp, dans une économie circulaire où le fossile n'en finit pas de tourner en rond.

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Maxime Giraudeau

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Commentaires 2
à écrit le 09/12/2023 à 8:35
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Le plastique c'est le lobby non seulement du pétrole mais aussi celui de la chimie ! Gigantesque intérêts que nous autres non milliardaires ne pouvant pas comprendre forcément, les riches ont des problèmes que la raison ignore.

à écrit le 08/12/2023 à 17:07
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Le problème c'est le mot "économie" qui veut être désigné comme le garant de l'adaptation ! Alors qu'il ne s'agit que de retrouver la résilience d'antan faute de mieux !

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