Dans les Deux-Sèvres, le leader des emballages fast-food doit se diversifier

REPORTAGE. Jetable ou réutilisable ? La CEE Schisler, leader français des emballages pour les fast-foods, doit diversifier ses secteurs d'activité suite à la loi Agec qui impose la vaisselle réutilisable dans les établissements. L'ETI qui emploie 550 personnes à Thouars dans les Deux-Sèvres promeut le papier et le carton jetables tandis qu'une petite société naissante dans le Poitou en profite pour proposer des boîtes réutilisables en plastique. Deux dynamiques à l'image des réflexions actuelles, alors que le Parlement européen veut réglementer.
Les lignes de production de CEE Schisler produisent des sacs pour les fast-foods dans les Deux-Sèvres.
Les lignes de production de CEE Schisler produisent des sacs pour les fast-foods dans les Deux-Sèvres. (Crédits : MG / La Tribune)

Les sachets à frites de McDo, les sacs à emporter de Burger King. Ou vice versa. Autant de symboles de l'alimentation industrielle de masse fabriqués par l'entreprise CEE R.Schisler. Dans le Poitou, certains la nomment « la C2E » pour Communauté Européenne de l'Emballage. D'autres parlent de Robert Schisler, le fondateur de ce groupe du plastique, autrefois, reconverti en industriel du papier cartonné. L'on pourrait aussi parler de l'ETI la plus septentrionale de Nouvelle-Aquitaine, grâce à ou à cause de sa localisation à Thouars tout au nord des Deux-Sèvres. Mais rien de tout cela n'est aussi parlant que de la qualifier de leader de l'emballage fast-food en France.

Dans les murs de l'usine, une centaine de lignes de production tourne, alimentées par d'imposantes bobines de papier issues en partie de la forêt des Landes de Gascogne. Elles crachent chaque année plus de 400 millions d'emballages pour la restauration rapide, dont la moitié des gobelets du marché. Les empires McDonald's et Burger King y font imprimer et découper leurs derniers slogans tapageurs sur papier brun, tout comme Super U. Les enseignes Brioche Dorée et Baskalia y commandent gobelets ou pots de yaourt. Avec ses 550 salariés, la société a bouclé un chiffre d'affaires record de de 137 millions d'euros en 2022, en hausse de +22 % sur un an. Et veut encore s'abreuver de croissance. Emballant.

emballages Schisler fast-foods

La CEE Schisler a conçu le « Earth Cup », un gobelet étanche, jetable et breveté entièrement composé de carton. (crédits : MG / La Tribune)

Mais la loi Agec (anti gaspillage pour une économie circulaire) du 10 février 2020, elle est où dans tout ça ? Ce texte qui, depuis le 1er janvier 2023, interdit aux lieux de restauration disposant de plus de 20 places assises l'usage d'emballages jetables pour la consommation sur place. À voir les rotatives tourner chez Schisler, on se dit que la réglementation est en carton. L'arrivée de la loi n'a pas ralenti significativement l'activité de l'industriel, qui réalise 70 % de son chiffre d'affaires grâce à la restauration rapide et exporte 30 % de sa production. N'empêche qu'il veut s'en prémunir.

À qui profite la loi ?

« La loi Agec, elle m'enlève des parts de marché », tacle néanmoins Claire Schisler. « Pour compenser, on s'est lancé dans l'agroalimentaire, avec des pots de yaourt en carton sans film pastique à l'intérieur », illustre la dirigeante pour La Tribune. Une innovation brevetée issue de neuf années de recherches sur le site deux-sévrien, qui espère bien la diffuser. « Il y a une diversification qui s'impose dans l'agroalimentaire. Parcourez un rayon de supermarché et regardez ce qui peut être remplacé par de la fibre [papier ou carton, ndlr] : il y a un monde qui s'ouvre ! », vise Claire Schisler. Car si la firme adore les fast-foods, elle exècre le plastique. Elle pourrait aussi intégrer ses matières dans le secteur du bâtiment ou de la santé car sa « raison d'être aujourd'hui c'est de remplacer le plastique par de la fibre partout où c'est possible. »

emballages Schisler fast-foods

L'impression et la découpe des bobines de papier cartonnées sont réalisées sur le même site. (crédits : MG / La Tribune)

L'avenir de nos emballages sera-t-il fait de fibres compostables ou de contenants solides réutilisables ? Le pot de terre contre le pot de verre (ou de plastique). C'est toute la bataille qui se joue à Bruxelles, alors que le Parlement européen souhaitait s'inspirer de la France pour réglementer le secteur. L'institution a adopté ce 22 novembre un texte qui vise 10 % de réduction d'emballages d'ici 2035. Le texte imposera à cette échéance le caractère recyclé des produits aux industriels... mais pas la vaisselle réutilisable dans les fast-foods à l'échelle du continent.

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Ce qui n'empêche pas un entrepreneur solitaire de croire en la boîte à burger. Dans le département voisin des Deux Sèvres, la Vienne, Vincent Musset s'accroche lui au plastique. Avec la création de sa société Bibaz en février 2023, l'homme qui allie casquette et salopette rêve de proposer aux fast-foods sa petite boîte colorée réutilisable. « Vous pouvez avoir l'emballage le plus écolo possible, le problème c'est l'usage. C'est l'usage qui rend l'objet impactant », brandit celui qui a travaillé quinze ans dans la distribution alimentaire. Le voilà qui pourrait convoiter les parts de marché de la CEE Schisler. D'autant plus incongru qu'adolescent, il a effectué ses premiers contrats d'été dans l'usine deux-sévrienne.

La matière ou l'usage ?

Il en est loin. Dans son bureau sommaire à proximité du Futuroscope, Vincent Musset présente ses premières « bibaz » : une boîte de 12 centimètres sur 7, de deux éléments emboîtables, fabriquée dans un rayon de moins de 70 kilomètres. La matière, un polypropylène biosourcé à 40 % (seulement) qui peut garder la chaleur. Aidé par Bpifrance, Nouvelle-Aquitaine Amorçage et la technopôle du Grand Poitiers, Neoloji, il souhaite fabriquer 10.000 boîtes au premier semestre 2024, pour un coût unitaire proche des cinq euros. Le gain n'apparaît que sur le long terme et à condition de modifier la chaîne d'utilisation. L'entrepreneur vise les grossistes, distributeurs d'emballages ou le secteur événementiel, mais il devra surtout compter sur un changement d'habitude.

bibaz

La « Bibaz » se veut déclinable en plusieurs couleurs et personnalisable via l'insertion du logo du client. (crédits : MG / La Tribune)

« Ma plus grosse bataille, c'est de contrer l'argument du "on a toujours fait comme ça". La loi Agec m'aide à ouvrir les yeux de ceux qui n'ont pas encore basculé, mais ça ne peut pas marcher sans repenser l'usage », assène-t-il encore. Une utilisation vertueuse mais basée sur des matières qui ne sont pas biocompostables. Ces boîtes sont en effet soumises à des températures élevées durant le lavage et exigent une durée de vie longue. Aujourd'hui, les potentielles matières alternatives et biosourcées ne sont soit pas adaptées soit pas autorisées dans l'alimentaire. En face, les emballages à usage unique font valoir la circularité, à condition d'être sans plastique, avec des caractéristiques de compostabilité. Mais leur utilisation rapide et déresponsabilisée pose un évident problème de modèle de consommation.

Les partisans de ce second modèle se refusent à considérer la consommation instantanée comme un souci. Claire Schisler appelle à une autre évolution des pratiques : « Ce qui manque finalement en France, c'est que la fibre soit promue pour remplacer le plastique, mais pas pour faire du réutilisable ! La fibre est une matière renouvelable, et une ressource qui doit revenir à la terre. » En attendant, le jetable continue à défiler aux caisses des fast-foods. Le statu-quo prime car ni la loi ni le consommateur n'ont encore tranché le débat.

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