Comment la filière bio s’adapte à la baisse historique de la consommation (1/4)

DÉCRYPTAGE. Producteurs, grossistes, distributeurs : alors que l’alimentation bio figure parmi les principales victimes de l'inflation alimentaire, les différents maillon de la chaine de distribution ajustent leurs stratégies alors que 150 magasins devraient fermer en France en 2023. En Nouvelle-Aquitaine, Léa Nature basée à la Rochelle, Pronadis à Vayres (Gironde) et le réseau So.bio à Canéjean (Gironde) témoignent dans La Tribune de leurs arbitrages entre restructurations, gel des projets et pivots commerciaux.
So.bio a adapté sa stratégie en mettant notamment en avant les produits locaux, qui représentent 12 % du chiffre d'affaires.
So.bio a adapté sa stratégie en mettant notamment en avant les produits locaux, qui représentent 12 % du chiffre d'affaires. (Crédits : So.bio)

Les études se succèdent et se ressemblent. L'alimentation bio figure parmi les principales victimes de l'inflation alimentaire. L'institut Circana (ex IRI) a annoncé une baisse des volumes vendus en grande distribution de 13 % entre janvier et juillet 2023. Selon les chiffres de l'Agence Bio présentés en juin, le marché est tombé à douze milliards d'euros l'an passé, soit un recul de -4,6 %. La situation est-elle alarmiste ? « Dans son ensemble, l'économie de la bio tient encore le coup, mais il va être important que le marché reparte en 2024, sinon il risque d'y avoir de la casse pour les PME car j'insiste, le secteur compte beaucoup de petites et moyennes entreprises », témoigne Charles Kloboukoff, président-fondateur de Léa Nature.

Lire aussiAlimentation: le bio peut-il rebondir ?

Léa Nature investit moins

Léa Nature, avec ses vingt sites de production et un chiffre d'affaires proche des 500 millions, est peu impacté. « À date, nous sommes en très légère décroissance, entre -1 et -2  %. Nous souffrons un peu plus sur les produits cosmétiques et produits traiteurs mais nous sommes en positif sur l'alimentation. » Et si l'impact est limité, c'est notamment parce que l'entreprise est multicanale, à la fois présente en grande distribution (47%) et dans les réseaux spécialisés (35 %).

« Certaines PME qui ne font que du magasin bio sont à l'agonie parce que malheureusement les distributeurs font des arbitrages. Ils ne peuvent plus garder autant de produits dans les rayons parce que les stocks coûtent cher. Les produits les plus chers et les derniers arrivés sont sortis des rayons », reconnait Charles Kloboukoff.

Pour autant, Léa Nature adapte sa stratégie. « Nous ne créons plus d'emplois alors que nous embauchions chaque année entre 60 et 70 personnes. Nous stabilisons nos effectifs à près de 2.000 et continuons d'investir mais de manière beaucoup plus raisonnable en passant de 25 millions d'euros d'investissement sur l'outil industriel notamment, à 15 millions. Enfin nous essayons de garder un niveau de promotion pour montrer que nous pouvons proposer des produits à des prix raisonnables. En revanche nous diminuons les dépenses marketing et la publicité », explique Charles Kloboukoff.

La filière bio à la croisée des chemins

Cet article est le premier épisode d'une série sur la situation de l'agriculture biologique en Nouvelle-Aquitaine en quatre volets publiés du 10 au 13 octobre :

Pronadis se restructure

Beaucoup plus touché en revanche, le grossiste Pronodis en forte croissance après la crise Covid a dû se restructurer. « Notre chiffre d'affaires s'élève aujourd'hui à 80 millions d'euros. Il n'a pas chuté brutalement mais étant donné que nous étions structurés pour 100 millions d'euros de chiffres d'affaires, il a fallu revoir notre copie. Après être passés d'une cinquantaine de salariés jusqu'à 225 au plus haut, nous sommes donc redescendu à 135 dans ce contexte de retournement de marché » explique Tristan Chabaud, président de Pronadis. Le travail en 3x8 a été supprimé, il n'y a désormais plus d'équipe de nuit. Un des trois entrepôts a fermé. Pronadis a également travaillé sur la réduction de tous les coûts en interne, en particulier l'énergie dont la facture avait triplé. « Nous essayons de prendre des mesures au fil de l'eau sachant qu'il est difficile d'avoir une visibilité sur les volumes que nous allons faire d'une semaine sur l'autre. Nous avons des commandes toutes les semaines mais le flux est devenu aléatoire. La consommation évolue. En magasin, le samedi n'est plus une grosse journée », explique Tristan Chabaud.

Le marché du fruits et légumes, qui représente 30 % du chiffre d'affaires de Pronadis se porte plutôt bien, ce qui n'est pas le cas de l'alimentaire/épicerie (50 % du chiffre d'affaires) ou des produits d'entretien et de santé (20 %). « Les seules marques qui performent sont les marques premier prix », reconnait Tristan Chabaud qui propose désormais dans son catalogue la marque Elibio créée par l'association Nationale des Epiciers bio (Aneb) en 2018. « Il s'agit de la seule marque en progression en épicerie », reconnait Tristan Chabaud.

Alors qu'il avait ouvert un magasin bio, l'Antre Bio, filiale de Pronadis, il y a douze ans, ce dernier a également baissé le rideau en juin dernier. « Après deux années consécutives à -15 et -20 %, j'ai décidé de me recentrer sur mon activité principale », explique Tristan Chabaud.

So.bio mise sur le local et l'accessibilité

De son côté, So.bio dont le siège est basé à Canéjean en Gironde, ne parle pas de fermetures mais d'une restructuration qui s'achève dans le cadre du rachat de So.bio et Bio c' Bon par Carrefour. Des points de vente Bio c' Bon ont été transformés en magasin de proximité du groupe Carrefour. Sur une centaine de points de vente, il en reste 76. Dans le même temps, So.bio est passé de huit points de vente en 2019 à plus de 70 aujourd'hui.

« Le marché étant plus incertain, nous avons décidé en 2022 de faire une pause dans la croissance de réseau pour nous concentrer en priorité sur les magasins existants », explique Benoît Soury, directeur du marché bio chez Carrefour. « En revanche, nous avons fait le choix de rester un acteur 100 % engagé bio », insiste-t-il.

Dans le contexte, So.bio a en revanche adapté sa stratégie en mettant notamment l'accent sur les produits locaux, qui représentent aujourd'hui 12 % du chiffre d'affaires. Le réseau a mis en place une équipe de cinq personnes en charge d'identifier des fournisseurs locaux pour le compte des deux enseignes. « Cela permet d'avoir dans chacun de nos points de vente une identification qui sera encore plus visible à l'avenir. Nous allons indiquer la distance kilométrique du producteur à partir du magasin », explique Benoît Soury.

So.bio a également travaillé sur l'accessibilité et signale désormais le produit qui affiche le meilleur rapport qualité prix par famille. Enfin, la carte de fidélité a été transformé sachant que 91 % des consommateurs sont encartés et le programme de promotions renforcé. « Mais nous le faisons de façon très ciblée en ne prenant pas sur la marge du fournisseur mais plutôt sur la marge de distribution. »

150 magasins fermés en France

Selon Benoit Soury, le réseau assiste depuis septembre 2022 à une re-stabilisation des chiffres.

« Chez So.bio et Bio c'Bon, nous avons retrouvé de la croissance en chiffre d'affaires à magasin constant dès février/mars 2023. Le panier moyen se stabilise. Nous avons, je crois, su être réactifs pour saisir les tendances de marché : plus de local, de l'accessibilité et une rémunération plus forte de la fidélité ce qui nous permet d'être prêt quand le marché rebondira. »

Dans le même temps, des magasins spécialisés ont fermé. « 150 points de vente ont disparu en France depuis le début de l'année, mais les consommateurs sont toujours là et se tournent vers les enseignes restées ouvertes. Les personnes qui consomment bio font aussi difficilement des allers-retours avec des produits conventionnels. Nous avons donc gardé nos consommateurs les plus engagés. En revanche, nous avons perdu des consommateurs occasionnels et les nouveaux consommateurs », conclut Benoît Soury. 91 % des consommateurs des magasins So.bio et Bio c'Bon sont encartés.

Une étude confirme l'importance du local pour les consommateurs

L'institut de sondages bordelais Attitudes et Société a interrogé un échantillon représentatif de la population française sur leur perception des magasins spécialisés bio à travers une série d'indicateurs : prix, originalité, différence, agrément, qualité. Parmi les principaux enseignements :

  • Plus de 2 Français sur 5 continuent de fréquenter les magasin bio
  • Les consommateurs estiment pouvoir y trouver des produits qui ne sont pas disponibles ailleurs (78 %)
  • Le magasin spécialisé biologique souffre en revanche d'un véritable déficit d'image sur les prix : il est jugé trop cher par 85 % des personnes interrogées
  • Les Français sont des locavores ! Ils sont près de 8 sur 10 à considérer que consommer des produits locaux préserve davantage la planète qu'acheter des produits bio
  • Près de 8 Français sur 10 pensent qu'il y a trop de labels

Les résultats complets de cette étude seront disponibles au public lors du salon Natexpo qui aura lieu du 22 au 24 octobre.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 10/10/2023 à 12:22
Signaler
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le Bio ne peut pas être de "Grande consommation" et distribué en GSM. Le bio est avant tout produit, distribué et consommé localement. Consommer bio est un État d'esprit, pas seulement se contenter d'acheter un pr...

à écrit le 10/10/2023 à 8:24
Signaler
La méga crise économique que nous impose la dictature financière fait très mal. Il est de plus en plus difficile de comprendre ces chiffres enthousiastes du chômage.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.