En plein essor, le gaz vert peut-il remplacer le gaz russe en Nouvelle-Aquitaine ?

ANALYSE. 10 % de gaz vert fin 2025 puis 30 % en 2030. Le déploiement accéléré du gaz renouvelable en Nouvelle-Aquitaine est-il suffisant pour prendre le relais si le gaz russe venait à être banni ? La ressource est abondante mais, avec la flambée des prix de l'énergie née du conflit en Ukraine, l'équation économique est loin d'être évidente. Et alors même qu'on n'a jamais autant eu besoin de gaz vert, la filière commence à tourner au ralenti ! Explications et données exclusives département par département.
Après l'élan de ces dernières années, la filière biométhane connaît un fort ralentissement alors même qu'on n'a jamais eu autant besoin de gaz vert pour remplacer le gaz russe. Ici, le méthaniseur d'Agri Seudre Energies en Charente-Maritime.
Après l'élan de ces dernières années, la filière biométhane connaît un fort ralentissement alors même qu'on n'a jamais eu autant besoin de gaz vert pour remplacer le gaz russe. Ici, le méthaniseur d'Agri Seudre Energies en Charente-Maritime. (Crédits : GRDF)

C'était en 2020, quelques jours avant l'éclosion de la pandémie sanitaire et deux ans avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Réunis au conseil régional, à Bordeaux, les acteurs néo-aquitains du gaz actaient un objectif très ambitieux repris ensuite par la feuille de route régionale Neo Terra : atteindre 30 % de gaz vert en 2030 puis 100 % en 2050 afin de devenir exportateur net de gaz vert. Alors que l'hypothèse d'un arrêt des importations de gaz russe est désormais clairement sur la table, cette ambition revêt un caractère stratégique. En France, le gaz russe pèse autour de 17 % de la consommation tandis que le gaz d'origine renouvelable ne dépasse pas 1,5 %. Dans quelle mesure la production de gaz vert, en forte hausse en Nouvelle-Aquitaine, pourrait-elle prendre le relais le cas échéant ? Les objectifs fixés en 2020 pourront-ils été atteints alors même que le nouveau tarif d'Etat entrave le développement de la filière. ?

Lire aussi 7 mnGaz : la France se prépare à un arrêt éventuel de l'approvisionnement russe

Qu'est-ce que le gaz vert ?


  • Le gaz vert ou biométhane ou gaz d'origine renouvelable, par opposition au gaz naturel d'origine fossile, désigne la production de méthane à partir de différentes ressources renouvelables, le plus souvent d'origine agricole, qui est ensuite injecté dans le réseau classique de gaz. Il peut s'agir de la méthanisation de déjections animales, résidus de cultures, cultures intermédiaires, bio-déchets, herbe ou algues. Mais le gaz vert peut aussi provenir de la pyrogazéification de bois et de combustible solide de récupération ou de la conversion d'électricité renouvelable excédentaire en gaz, notamment l'hydrogène (power-to-gaz). Le méthane ou l'hydrogène ainsi créés sont ensuite injectés dans le réseau gazier existant pour alimenter les logements, bureaux, usines, fermes et moyens de transport.

En proportion, le gaz vert pèse 0,92 % de la consommation nationale. Avec environ 3 %, la Nouvelle-Aquitaine fait ainsi trois fois mieux que la moyenne nationale et affiche une belle progression puisque ce taux n'était que de 1 % il y a encore deux ans. Et certains des douze départements régionaux sont même particulièrement en avance comme le montre la carte ci-dessous actualisée au mois d'avril 2022.

Carte gaz vert Nouvelle-Aquitaine

Cliquez sur la carte pour l'agrandir. La part de gaz vert dans chacun des douze départements de Nouvelle-Aquitaine en avril 2022 et celle prévue à fin 2025 (source : GRDF Nouvelle-Aquitaine).

Dans les Deux-Sèvres et les Landes, les capacités pourraient permettre de s'affranchir du gaz russe d'ici trois ans, voire même avant, tandis que les Pyrénées-Atlantiques, le Lot-et-Garonne et la Vienne sont également bien positionnés.

"La Nouvelle-Aquitaine étant la 1ere région agricole d'Europe, on a suffisamment de ressources disponibles, c'est certain. Donc, en théorie, si on réduit progressivement les importations russes en allant chercher davantage de gaz en Norvège et en Algérie et si on atteint 10 % de gaz vert à l'échelle régionale, ce qui sera le cas courant 2025, on ne sera plus très loin de pouvoir se prémunir d'une rupture d'approvisionnement", considère ainsi Arnaud Bousquet.

"Un fort ralentissement de la filière"

Une très bonne nouvelle. Sauf qu'il y a la théorie et il y a la pratique. En l'occurrence, les imprévus géopolitiques viennent chambouler le modèle économique des méthaniseurs. "La principale difficulté c'est le mécanisme de soutien de la filière qui permet à cette énergie renouvelable d'être rentable. Le tarif initial fixé initialement en 2011 a permis une belle croissance des projets mais a été jugé trop généreux pour les producteurs. Mais, aujourd'hui, le tarif révisé en novembre 2020, c'est-à-dire avant la flambée des prix de l'énergie, n'est plus compétitif puisque les coûts de construction, d'approvisionnement et de fonctionnement ont flambé entre temps", explique le directeur régional de GRDF.

Ce nouveau tarif d'achat, fixé pour 15 ans, acte une baisse de l'ordre 10 % de la rémunération des producteurs de biométhane et introduit une dégressivité de 2 % par an jusqu'à 2025 pour prendre en compte les économies d'échelle liés à la multiplication des sites. Le tarif des injecteurs a ainsi diminué de 30 %.

Lire aussi 5 mnAgriculture et biométhane : à Confolens, la boucle énergétique vertueuse fait ses preuves

Mais le nouvel équilibre lié à ce tarif, qui s'applique au projets lancés depuis le 1er janvier 2021, a des conséquences qui se font déjà sentir sur le terrain :

"L'équation économique de beaucoup de projets ne fonctionne tout simplement plus !", lance Arnaud Bousquet. "En Nouvelle-Aquitaine, on a une centaine de projets en attente et de plus en plus de doute sur leur faisabilité ! On sait que 2022 sera une belle année de mise en service mais ensuite, ce que je constate, c'est un fort ralentissement de la filière alors même qu'il faut entre trois et cinq ans pour sortir un projet ! On n'a plus aujourd'hui la même vitesse d'émergence des projets que ce qu'on a connu jusque-là", alerte sans détours Arnaud Bousquet.

Un ralentissement qui arrive au pire moment puisqu'on n'a jamais eu autant besoin de produire gaz vert. "Dans le contexte géopolitique, cette logique de souveraineté énergétique devrait guider un soutien plus fort de la filière gaz vert et c'est d'ailleurs ce que demandent les Régions", insiste le responsable de GRDF. Mais pour l'instant, le gouvernement ne bouge pas et maintient son tarif qu'il juge suffisant pour atteindre ses propres objectifs nationaux qui prévoient 10 % de la consommation de gaz couverte par du gaz renouvelable en 2030.

Et la forte hausse du prix du gaz naturel qui redonne mécaniquement de la compétitivité au gaz vert, qui était structurellement plus cher avant la crise de l'énergie, n'est finalement pas une si bonne nouvelle, tempère Arnaud Bousquet : "La flambée des prix permet au gaz vert d'être plus compétitif face au gaz naturel... mais à un tarif qui reste, de fait, dissuasif pour le consommateur face à d'autres énergies ! Personne ne peut durablement payer son gaz à 100 ou 130 €/MWh. Le principal avantage est en réalité pour l'Etat qui a moins besoin de subventionner le gaz vert."

Lire aussi 4 mnUn embargo sur le gaz russe ? L'impact serait "massif" sur l'économie européenne, avertit Clamadieu (Engie)

L'enjeu de l'acceptabilité sociale

Malgré tout, GRDF reste confiant quant à la capacité de la région à atteindre l'objectif de 10 % de biométhane dans la consommation de gaz dès 2025, c'est-à-dire avec cinq ans d'avance sur le calendrier national. Ce sera probablement insuffisant pour prendre le relais à très court terme des importations russes mais c'est un pas de plus vers une économie décarbonée et plus souveraine.

Il reste qu'il faudra aussi réussir à convaincre les habitants des bienfaits de ses méthaniseurs, souvent décriés par les riverains. D'autant que les chiffres peuvent donner le tournis puisque 830 unités de méthanisations sont envisagées d'ici 2050 en Nouvelle-Aquitaine, soit plus de cinq par intercommunalité. "Nous travaillons sur des unités bien insérées et de taille modeste qui seront surtout implantés en milieu agricole puisque ce sont les agriculteurs qui détiennent la plupart de la biomasse. S'y ajouteront quelques méthaniseurs industriels. Je ne conteste pas le fait qu'il puisse y avoir des nuisances sur certains sites mais ce n'est pas un procédé qui génère des odeurs. En revanche, il faut travailler sur la couverture de la biomasse et sur la gestion des flux de camions", reconnaît Arnaud Bousquet.

Lire aussi 4 mnA Surgères les agriculteurs investissent 8,5 millions d'euros dans la méthanisation

Le gaz vert plébiscité si...


  • Selon un sondage Becoming pour GRT Gaz réalisé dans la région, 77 % des personnes interrogées ont une bonne image du gaz vert, au même niveau que le photovoltaïque et que l'électricité. En revanche, seulement 49 % des répondants connaissent le biométhane. Une proportion qui grimpe à 58 % en Dordogne, département rural. Néanmoins, 84 % des habitants sondés pensant que la région a intérêt à promouvoir l'utilisation du gaz vert tandis que 79 % se disent prêts à en consommer s'il ne coûte pas plus cher que le gaz naturel. (Echantillon de 1.028 habitants de Nouvelle-Aquitaine représentatif de la région interrogés en ligne du 7 au 17 décembre 2021).

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 10
à écrit le 16/08/2022 à 23:16
Signaler
Gaz vert qui émet 2-3 fois plus de GES que le gaz naturel ... il faut se passer de méthane c'est tout !

à écrit le 16/08/2022 à 23:13
Signaler
Gaz vert qui émet 2-3 fois plus de GES que le gaz naturel ... il faut se passer de méthane c'est tout !

à écrit le 13/04/2022 à 14:11
Signaler
Donc, on n'est même plus capable de pr0duire suff1samment de blé, d'huile, etc., pour son pr0pre pays et on voudrait pr0duite du gaz vert ?

à écrit le 13/04/2022 à 13:29
Signaler
Les seules énergies vertes viennent du vent, du soleil, des moulins à eau de rivieres ou de mer, des mouvements de la mer. L'avenir est à la production de l'energie locale par de petites unités et par des reseaux électriques interconnectés, mais déc...

à écrit le 13/04/2022 à 13:25
Signaler
La méthanisation est une gigantesque escroquerie, polluante de pleins de façons et génératrice de gaz a effet de serre, une partie du méthane s'echappe et c'est un gaz a effet de serre 25 fois plus puissants que le CO2. ça détruit les routes et la vi...

à écrit le 13/04/2022 à 11:12
Signaler
Le biométhane c'est bien pour autonomiser un site en valorisant des déchets mais en production industrielle, ça monopolise trop de biomasse et ça entre en concurrence avec d'autres besoins surtout alimentaires. Sur la biomasse il y aurai un truc a ex...

le 13/04/2022 à 12:19
Signaler
@ le Lapin Il y a aussi des quantités phenomenales d'énergie à récupérer par les pompes à chaleur. Dans une ville, dans les zones industrielles et commerciales périphériques, il est possible d'identifier toutes les sources potentielles en rejets "ch...

le 13/04/2022 à 14:47
Signaler
@Valbel89 Le problème de la "chaleur fatale" c'est qu'elle est pas souvent au bon endroit au bon moment, faut tout concevoir dès le début en imbriquant des activités l'une dans l'autre, et ça aussi ça représente un risque de rupture dans la chaine d'...

à écrit le 13/04/2022 à 10:20
Signaler
Côté pile, la méthanisation permet de produire du gaz renouvelable et d’assurer aux éleveurs d’importants compléments de revenus. Côté face (sous le tapis), elle présente une vraie menace de pollution des sols par des bactéries pathogènes et d’émissi...

à écrit le 13/04/2022 à 9:56
Signaler
Non parce qu'ils en sont déjà, tellement le lobby agro industriel est compétent, à acheter du foin prévu pour les bêtes afin de le faire fermenter pour du gaz. Donner leur le sahara et deux ans après ils achètent du sable. Donc surtout pas svp ! Ces ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.