C'était en 2020, quelques jours avant l'éclosion de la pandémie sanitaire et deux ans avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Réunis au conseil régional, à Bordeaux, les acteurs néo-aquitains du gaz actaient un objectif très ambitieux repris ensuite par la feuille de route régionale Neo Terra : atteindre 30 % de gaz vert en 2030 puis 100 % en 2050 afin de devenir exportateur net de gaz vert. Alors que l'hypothèse d'un arrêt des importations de gaz russe est désormais clairement sur la table, cette ambition revêt un caractère stratégique. En France, le gaz russe pèse autour de 17 % de la consommation tandis que le gaz d'origine renouvelable ne dépasse pas 1,5 %. Dans quelle mesure la production de gaz vert, en forte hausse en Nouvelle-Aquitaine, pourrait-elle prendre le relais le cas échéant ? Les objectifs fixés en 2020 pourront-ils été atteints alors même que le nouveau tarif d'Etat entrave le développement de la filière. ?
En proportion, le gaz vert pèse 0,92 % de la consommation nationale. Avec environ 3 %, la Nouvelle-Aquitaine fait ainsi trois fois mieux que la moyenne nationale et affiche une belle progression puisque ce taux n'était que de 1 % il y a encore deux ans. Et certains des douze départements régionaux sont même particulièrement en avance comme le montre la carte ci-dessous actualisée au mois d'avril 2022.
Cliquez sur la carte pour l'agrandir. La part de gaz vert dans chacun des douze départements de Nouvelle-Aquitaine en avril 2022 et celle prévue à fin 2025 (source : GRDF Nouvelle-Aquitaine).
Dans les Deux-Sèvres et les Landes, les capacités pourraient permettre de s'affranchir du gaz russe d'ici trois ans, voire même avant, tandis que les Pyrénées-Atlantiques, le Lot-et-Garonne et la Vienne sont également bien positionnés.
"La Nouvelle-Aquitaine étant la 1ere région agricole d'Europe, on a suffisamment de ressources disponibles, c'est certain. Donc, en théorie, si on réduit progressivement les importations russes en allant chercher davantage de gaz en Norvège et en Algérie et si on atteint 10 % de gaz vert à l'échelle régionale, ce qui sera le cas courant 2025, on ne sera plus très loin de pouvoir se prémunir d'une rupture d'approvisionnement", considère ainsi Arnaud Bousquet.
"Un fort ralentissement de la filière"
Une très bonne nouvelle. Sauf qu'il y a la théorie et il y a la pratique. En l'occurrence, les imprévus géopolitiques viennent chambouler le modèle économique des méthaniseurs. "La principale difficulté c'est le mécanisme de soutien de la filière qui permet à cette énergie renouvelable d'être rentable. Le tarif initial fixé initialement en 2011 a permis une belle croissance des projets mais a été jugé trop généreux pour les producteurs. Mais, aujourd'hui, le tarif révisé en novembre 2020, c'est-à-dire avant la flambée des prix de l'énergie, n'est plus compétitif puisque les coûts de construction, d'approvisionnement et de fonctionnement ont flambé entre temps", explique le directeur régional de GRDF.
Ce nouveau tarif d'achat, fixé pour 15 ans, acte une baisse de l'ordre 10 % de la rémunération des producteurs de biométhane et introduit une dégressivité de 2 % par an jusqu'à 2025 pour prendre en compte les économies d'échelle liés à la multiplication des sites. Le tarif des injecteurs a ainsi diminué de 30 %.
Mais le nouvel équilibre lié à ce tarif, qui s'applique au projets lancés depuis le 1er janvier 2021, a des conséquences qui se font déjà sentir sur le terrain :
"L'équation économique de beaucoup de projets ne fonctionne tout simplement plus !", lance Arnaud Bousquet. "En Nouvelle-Aquitaine, on a une centaine de projets en attente et de plus en plus de doute sur leur faisabilité ! On sait que 2022 sera une belle année de mise en service mais ensuite, ce que je constate, c'est un fort ralentissement de la filière alors même qu'il faut entre trois et cinq ans pour sortir un projet ! On n'a plus aujourd'hui la même vitesse d'émergence des projets que ce qu'on a connu jusque-là", alerte sans détours Arnaud Bousquet.
Un ralentissement qui arrive au pire moment puisqu'on n'a jamais eu autant besoin de produire gaz vert. "Dans le contexte géopolitique, cette logique de souveraineté énergétique devrait guider un soutien plus fort de la filière gaz vert et c'est d'ailleurs ce que demandent les Régions", insiste le responsable de GRDF. Mais pour l'instant, le gouvernement ne bouge pas et maintient son tarif qu'il juge suffisant pour atteindre ses propres objectifs nationaux qui prévoient 10 % de la consommation de gaz couverte par du gaz renouvelable en 2030.
Et la forte hausse du prix du gaz naturel qui redonne mécaniquement de la compétitivité au gaz vert, qui était structurellement plus cher avant la crise de l'énergie, n'est finalement pas une si bonne nouvelle, tempère Arnaud Bousquet : "La flambée des prix permet au gaz vert d'être plus compétitif face au gaz naturel... mais à un tarif qui reste, de fait, dissuasif pour le consommateur face à d'autres énergies ! Personne ne peut durablement payer son gaz à 100 ou 130 €/MWh. Le principal avantage est en réalité pour l'Etat qui a moins besoin de subventionner le gaz vert."
L'enjeu de l'acceptabilité sociale
Malgré tout, GRDF reste confiant quant à la capacité de la région à atteindre l'objectif de 10 % de biométhane dans la consommation de gaz dès 2025, c'est-à-dire avec cinq ans d'avance sur le calendrier national. Ce sera probablement insuffisant pour prendre le relais à très court terme des importations russes mais c'est un pas de plus vers une économie décarbonée et plus souveraine.
Il reste qu'il faudra aussi réussir à convaincre les habitants des bienfaits de ses méthaniseurs, souvent décriés par les riverains. D'autant que les chiffres peuvent donner le tournis puisque 830 unités de méthanisations sont envisagées d'ici 2050 en Nouvelle-Aquitaine, soit plus de cinq par intercommunalité. "Nous travaillons sur des unités bien insérées et de taille modeste qui seront surtout implantés en milieu agricole puisque ce sont les agriculteurs qui détiennent la plupart de la biomasse. S'y ajouteront quelques méthaniseurs industriels. Je ne conteste pas le fait qu'il puisse y avoir des nuisances sur certains sites mais ce n'est pas un procédé qui génère des odeurs. En revanche, il faut travailler sur la couverture de la biomasse et sur la gestion des flux de camions", reconnaît Arnaud Bousquet.
Sujets les + commentés