Agrivoltaïsme : les ombrières solaires, en plein essor, sont discutées au Parlement

REPORTAGE. Installées dès 2011 par l'entreprise lyonnaise UNITe, des ombrières photovoltaïques recouvrent sur 22.000 m2 les bassins d'élevage de truites d'Aqualande à Mézos (Landes). Outre la production d'électricité renouvelable, ce type de dispositif démontre sa pertinence face aux impacts croissants du dérèglement climatique. Mais les opportunités, bien réelles, de l'agrivoltaïsme peuvent aussi attirer les convoitises au détriment des exploitations agricoles. Un projet de loi est actuellement examiné au Parlement pour encadrer ces pratiques.
(Crédits : PC / La Tribune)

Les panneaux solaires recouvrent peu à peu nos toitures, nos usines et parkings, nos anciennes décharges, des parcelles boisées et même certains lacs et plans d'eau. Face à cette concurrence sur le foncier, les exploitations agricoles accueillent, elles-aussi, de plus en plus installations photovoltaïques. C'est le cas depuis longtemps à Mézos, dans les Landes, qui abrite un site gigantesque de pisciculture, parmi les plus grands en Europe, doté de treize bassins d'élevage de truites sur 32.000 m2. Aqualande, le géant français de la truite (1.000 salariés et 150 millions d'euros de chiffre d'affaires), y produit chaque année un millier de tonnes de truites destinées à la fumaison, soit un cinquième de sa production. L'autre particularité du site de Mézos ce sont ses vastes ombrières photovoltaïques en bois installées dès 2011 par le producteur lyonnais d'énergies renouvelable UNITe (60 salariés, 30 millions d'euros de CA).

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UNITe a pris en charge la construction express de ce chantier à 22 millions d'euros pour installer sur 22.000 m2 près de 19.000 panneaux photovoltaïques américains Sun Power totalisant une puissance de de 4,2 MWc.

"Ils cherchaient à produire de l'électricité solaire et nous avions besoin d'une solution pour couvrir nos bassins pour les protéger de la menace et du stress des oiseaux et pour faciliter le travail de nos salariés. Avec ces toitures solaires à plus de quatre mètres de haut, on a su marier nos intelligences", se souvient Marc de L'Hhermite, le responsable du site de Mézos chez Aqualande.

Cette installation agrivoltaïque, l'une des premières de cette ampleur en France, n'est pas encore rentable pour UNITe aujourd'hui mais elle devrait l'être d'ici la fin du bail signé pour 20 ans.

Aqualande UNITe

Le site d'Aqualande Mézos vu du ciel (crédits : UNITe).

Un atout face à la rareté de l'eau

Il n'est pas question d'autoconsommation ici puisque l'électricité produite est injectée sur le réseau général. Et si UNite verse une redevance de 30.000 euros à Aqualande et autant à la commune de Mézos, ce n'est pas le moteur de cette installation qui fait cependant preuve d'autres vertus face au dérèglement climatique. L'ombre projetée rafraichît l'eau de quelques degrés, ce qui est précieux en temps de canicules à répétition, tandis que l'électricité produite pourrait répondre aux besoins énergétiques croissants de ce type d'exploitations, même sans compter la flambée actuelle des prix : "La baisse de la ressource en eau nous a poussé à développer des boucles de recirculation de l'eau sur toutes nos installations piscicoles. Cela suppose de faire fonctionner des pompes et donc de consommer davantage d'électricité. Pour y répondre, la généralisation d'ombrières solaires et d'installations hydro-électriques, qui seraient cette fois en autoconsommation, est à l'étude avec UNITe", relève Valentin Deporte, le directeur du pôle amont d'Aqualande, qui parle en 2022 "des plus bas débits depuis 30 ans qui entraînent en retour une hausse de la température de l'eau".

Aqualande UNITe

La boucle de recirculation de l'eau construite sur le site de Mézos (crédits : PC / La Tribune).

Enfin, à l'ombre des ombrières solaires, une nouvelle activité d'aquaponie se développe chez Aqualande dans les bassins de filtrage. "On y mène une activité de R&D pour valoriser les coproduits des algues de ces bassins mais aussi pour développer des cultures en aquaponie avec l'entreprise gersoise Eauzons", précise Valentin Deporte.

L'installation se porte bien

Du côté des panneaux solaires, le bilan de la maintenance et de l'exploitation sur onze ans donne entière satisfaction à UNITe :

"En dix ans, nous avons dû changer seulement huit panneaux sur 19.000 et leur rendement est toujours très bon. Il est supérieur à nos prévisions qui tablent sur un rendement d'encore 85 % au bout de trente ans", précise Xavier Permingeat, directeur des installations solaires chez UNITe. "D'autant qu'aujourd'hui avec les gains techniques et économiques de la filière solaire, une installation de ce type coûterait quatre fois moins cher et produirait environ trois plus d'électricité ! Même si elle ne serait pas vendue au même tarif qu'à l'époque."

Et pour ce développeur indépendant d'énergies renouvelables, qui dispose de 120 MW installés en France, les projets agrivoltaïques - combinant activité agricole et production d'énergie solaire - sont logiquement ciblés comme un relais de croissance. "Le solaire et l'agriculture sont compatibles, nous le faisons sur des exploitations de pisciculture, des élevages de volailles ou de cochons mais aussi sur des pâturages ovins en espaçant les panneaux de cinq mètres pour ne pas couvrir plus de 30 % de l'exploitation. L'essentiel est de maintenir la production agricole sur l'exploitation tout en produisant de l'énergie verte", appuie Xavier Permingeat. Des installations de ce type sont également testées sur différentes cultures dont les vignes, offrant là aussi des protections face au gel, au soleil et à la grêle.

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Mais ces montages juridiques peuvent aussi faire miroiter des revenus très conséquents aux agriculteurs au point de les convaincre d'abandonner leur activité première ou de n'en conserver qu'une partie symbolique servant de prétexte à la production d'électricité. Au dernier pointage en 2022, l'Ademe dénombre ainsi 167 projets d'agrivoltaïsme en France pour 1,3 gigawatts (GW).

"On voit des comportements de prédateurs avec des promesses mirobolantes et des projets pas toujours adaptées faites aux agriculteurs, y compris sur des grandes cultures. Il faut être très vigilant sur le maintien de la vocation agricole des exploitations au risque de s'en mordre les doigts dans quelques années", s'inquiète ainsi Patricia Beaumont, conseillère départementale des Landes en charge de la transition énergétique, qui point la problématique fondamentale de la souveraineté agricole et alimentaire.

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Une définition en discussion au Parlement

Des débats qui font écho à ceux du Sénat où le projet de loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables a été adopté début novembre. Les sénateurs y ont enfin ajouté une définition légale "d'un agrivoltaïsme durable" à l'article 11 decies, reprenant les dispositions de la proposition de loi sur le sujet adoptée en octobre. Il s'agit d'une installation qui apporte directement à la parcelle agricole à la fois un revenu durable, une production agricole significative et au moins l'un des quatre services suivants : l'amélioration du potentiel et de l'impact agronomiques, l'adaptation au changement climatique, la protection contre les aléas, l'amélioration du bien-être animal. Le Sénat précise qu'une installation agrivoltaïque ne peut pas être installée si elle porte une atteinte substantielle à l'un de ces quatre services rendus, si elle n'est pas réversible et si elle ne permet pas à la production agricole d'être l'activité principale de la parcelle.

Ce raisonnement à la parcelle inquiète cependant UNITe qui affûte ses arguments : "Il ne faut surtout pas raisonner à la parcelle parce qu'en l'état cette disposition tue l'agrivoltaïsme économiquement viable dans l'œuf. Il est plus logique de raisonner à l'échelle de l'exploitation agricole dans son ensemble puisque c'est à cette échelle que le législateur détermine habituellement si une activité principale est agricole ou non." Alors que les professionnels de l'agrivoltaïsme se sont mis en ordre de bataille dès le début 2022, le projet de loi est désormais entre les mains de l'Assemblée nationale. En commission, le 24 novembre, les députés ont maintenu voire même durci cette grille de lecture à la parcelle notamment pour éviter que "les surfaces couvertes par installations agrivoltaïques soient trop importantes et conduisent à une inflation du prix du foncier agricole".

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