Vins de Bordeaux : Allan Sichel, nouveau président du CIVB, brise le consensus

Allan Sichel, le nouveau président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), vient de briser l'unité de vue traditionnelle entre les familles de la viticulture et du négoce bordelais. Représentant ce dernier, le nouveau président refuse que des parcelles de vignes soient arrachées à titre définitif contrairement à Bernard Farges, son prédécesseur qui représentait la viticulture, et à Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne de la Gironde. Du jamais vu.
Allan Sichel redevient président du CIVB pour deux ans après un 1er mandat entre 2016 et 2018.
Allan Sichel redevient président du CIVB pour deux ans après un 1er mandat entre 2016 et 2018. (Crédits : Agence Appa)

Alors que la présidence tournante du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) est normalement aussi bien huilée qu'un mouvement d'horlogerie suisse, l'élection d'Allan Sichel, représentant la famille des négociants, à la présidence de l'interprofession lors de l'assemblée générale de ce 11 juillet, a rompu cette règle bien établie. Allan Sichel, dirigeant de la maison Sichel, connait bien Bernard Farges, représentant de la famille des viticulteurs, auquel il avait déjà succédé à la tête du CIVB de 2016 à 2018.

Car en général, pour ne pas dire à chaque changement, le nouveau président prend soin d'annoncer un programme identique, quasiment à la virgule près, à celui de son prédécesseur. Mais en ce 11 juillet 2022 Allan Sichel a décidé de rompre avec cette cogestion, introduisant un coin entre les familles du négoce et de la viticulture. Le motif de cette rupture historique concerne la politique d'arrachage à mener pour tenter de rééquilibrer le marché des bordeaux, qui est devenu lourdement excédentaire, avec d'importantes quantités d'invendus.

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"C'est à nous de ressusciter l'attractivité de nos vins"

Alors que Bernard Farges s'était prononcé en mai dernier en faveur d'un arrachage définitif, irréversible des parcelles de vignes concernées, avec un financement assuré par des primes européennes, Allan Sichel, dans son discours d'investiture, a donné une version différente de ce scénario tout en revenant sur la fragile évolution des marchés.

"Le sujet le plus important aujourd'hui pour notre filière est son volume de commercialisation. La production des vins de Bordeaux en année normale - autour de 5,5 millions d'hectolitres - est désormais largement supérieure à nos volumes de commercialisation. Or, même si nous identifions des pistes de développement à l'export, il est peu probable que nous puissions compenser la baisse continue de la consommation de vin sur le marché français. Lequel, je le rappelle, représente 55 % de nos ventes. En France, la tendance est au « boire moins mais mieux », considérons que c'est une opportunité ! C'est à nous de ressusciter l'attractivité de nos vins... ", a tout d'abord rappelé Allan Sichel au cours de son intervention.

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Travailler le consommateur en proximité

Le nouveau président, qui représente un monde du négoce qui partage très largement sa vision de la méthode à adopter pour sortir de l'ornière, est ensuite revenu sur des leviers de promotion des ventes qui ont fait leurs preuves, et en particulier sur les opérations organisées dans le cadre de la dernière édition de Bordeaux Fête le Vin, dont le but est de rapprocher producteurs de vin et consommateurs.

"C'est ainsi que nous montrerons la réalité de notre filière, ses visages, sa diversité, son savoir-faire, sa dimension humaine, familiale et agricole. Le consommateur ne demande que ça - et ça tombe bien, c'est ce que nous sommes ! Ces efforts pour dynamiser les ventes devront être démultipliés. Il faudra faire preuve de constance dans la durée, car les résultats seront longs à obtenir", a ainsi plaidé Allan Sichel.

Essentiel pour Allan Sichel que la conversion soit réversible

Cette question de pouvoir activer un rebond des ventes des vins de Bordeaux est au cœur du débat. Allan Sichel estime que ce sera difficile mais que cela reste faisable, quand d'autres pensent que cette bataille des volumes est perdue puisque le marché aurait structurellement changé de périmètre, avec une consommation de vin orientée de façon durable en France à la baisse. D'où la souplesse que veut introduire Allan Sichel dans sa stratégie.

"Dans la transition que nous connaissons, il pourrait être judicieux de réaffecter certaines terres viticoles à la culture alimentaire humaine ou animalière, à la captation de carbone ou la production d'énergie verte. Ces conversions vertueuses requièrent et méritent une assistance financière pour leur mise en œuvre rapide et dans l'intérêt de tous. Les raisons de conversion au sein du vignoble existent ; il y a en face des besoins et des opportunités. A nous de les mettre en regard, et d'assister, accompagner nos opérateurs en facilitant cette transition.

Il me semble en revanche essentiel que cette conversion soit réversible. La conquête de nouveaux marchés sera longue, nous retrouverons le chemin de la croissance et il serait dommage que notre potentiel ait été définitivement amputé. Nous devons donc veiller à conserver tous les bons terroirs. Et, ainsi, faire en sorte que notre vignoble puisse répondre à une potentielle augmentation de la demande future...", a ainsi analysé Allan Sichel.

En mai dernier Bernard Farges voulait financer l'arrachage définitif

Il n'en reste pas moins vrai que les ventes de bordeaux continuent globalement à reculer depuis ces dernières années. Du seuil historiquement bas (depuis 1991) de 4,7 millions d'hectolitres vendus en 2018, les volumes vendus sont passés à 4,1 millions d'hectos en 2019 puis 3,9 millions d'hectos en 2020. De nombreux facteurs, à commencer par le Covid-19 ont, il est vrai, poussé le marché à la baisse. Mais peu de connaisseurs du marché oseraient ranger cette évolution dans la case des événements exceptionnels. Et lors de l'assemblée générale de mai dernier Bernard Farges, alors président du CIVB, avait été clair sur la stratégie à suivre, très partagée par la famille des viticulteurs bordelais.

"Il ne s'agit pas de savoir s'il faut réduire les surfaces de vignes en production car ceci est en cours, il s'agit maintenant d'agir pour organiser, accélérer, orienter cette réduction utile pour tout le monde. Toutefois il faut rappeler que les textes européens ne permettent pas aujourd'hui de financer l'arrachage définitif avec de l'argent public. Rappeler cela ne veut pas dire que nous sommes contre l'arrachage (...)", avait notamment précisé Bernard Farges.

Car pour financer l'arrachage définitif de la vigne dans le Bordelais, et d'autres vignobles, le président du CIVB avait alors préconisé une régionalisation de certaines aides financières européennes.

"Le vignoble ne peut plus continuer à fonctionner sous assistance"

"Les négociants veulent des volumes pas chers et ils veulent aussi pouvoir replanter vite pour produire plus au cas où les marchés redécolleraient. Mais bon ce n'est plus la table qui organise les repas, c'est le frigo. Les repas traditionnels disparaissent et c'est pareil pour les buveurs de vin à l'ancienne, les babyboomers. Les négociants défendent un périmètre sociologique qui n'existe plus. Même à la cantine du conseil régional, qui est un grand soutien de la filière, il n'y a pas de vin proposé : il faut aller le demander ! Ce qui montre que les gens vivent dans une sorte de schizophrénie", éclaire crûment pour La Tribune Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne de la Gironde et cogérant du château Gombaude-Guillot, en Pomerol, qui produit en bio.

Pour lui le problème va bien au-delà d'un simple problème de consommation momentanée d'un produit et traduit un basculement de la société vers un modèle où le vin a cessé d'être considéré comme un aliment, comme cela a été le cas jusque dans les années 1970, pour devenir non pas une boisson alcoolisée mais bien un alcool... définition que la plupart des enfants d'aujourd'hui connaissent par cœur.

"Le vignoble ne peut plus continuer à fonctionner sous assistance bancaire, c'est intenable. Les négociants veulent que nous continuions à vivre dans des fictions œnologiques mais il faut en revenir au réel. Et le réel, ce sont des centaines de cuves pleines de bordeaux invendu", déroule Dominique Techer.

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