Sushis, burgers : les vins de Bordeaux désacralisent leur image

À dix jours de la clôture du plan d'arrachage d'une partie du vignoble, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux a fait le point sur l'ampleur des demandes avant d'adopter un budget 2024 déficitaire. La filière est désormais déterminée à convaincre les jeunes consommateurs, quitte à désacraliser et diversifier son image face à une « crise économique profonde ». De son côté, la Confédération paysanne réclame la création d'un office foncier dédié au vignoble.
Les Vins de Bordeaux cherchent à casser leur image associée à la viande rouge en mettant en avant des accords avec des sushis, des burgers, des desserts sucrés et des plats végétariens.
Les Vins de Bordeaux cherchent à casser leur image associée à la viande rouge en mettant en avant des accords avec des sushis, des burgers, des desserts sucrés et des plats végétariens. (Crédits : PC / La Tribune)

« Oui, les vins rouges de Bordeaux peuvent s'accorder aussi bien avec de sushis qu'avec un plat végétarien ou un hamburger. Continuons ce travail de désacralisation et démocratisation de nos vins, que ce soit en France et à l'international », a lancé Allan Sichel, le président du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) en ouverture de l'assemblée générale ce lundi 11 décembre. Encore difficilement audible il y a quelques années, ce discours est désormais assumé pour séduire de nouveaux clients, plus jeunes et plus féminins, alors que les vins de Bordeaux subissent de plein fouet le désamour des consommateurs.

Le vignoble girondin produit encore 85 % de rouges quand les 65 ans et plus ne sont plus désormais que 50 % à en acheter (*). Une proportion qui diminue dans toutes les tranches d'âge et tombe à 33 % chez les moins de 35 ans friands de rosés (29 %) et surtout de blancs (37 %). Et ce sont bien les 18-35 ans qui sont ciblés par la communication déployée par le CIVB sous le slogan « Terroirs de Bordeaux : des rouges de toutes les couleurs » qui met en avant les crémants et rosés déjà produits à Bordeaux. « On peut parfaitement accorder un Bordeaux à une planche d'apéro », tranche Allan Sichel.

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Agir durablement sur l'offre et la demande

Avec cette campagne qui se fera avec moyens contraints (lire l'encadré), l'enjeu pour le CIVB est bien de relancer une demande en berne alors même qu'il agit également sur l'offre par le biais d'une régulations des volumes, d'une campagne de distillation et, surtout, d'un plan d'arrachage d'une partie du vignoble. Ce dispositif, officiellement présenté comme sanitaire, vise à arracher autour de 9.500 hectares de vignes de manière définitive grâce à une enveloppe de 57 millions d'euros abondé par l'Etat (38 millions pour la renaturation des parcelles) et l'interprofession (19 millions pour la diversification agricole).

« Face à la crise économique profonde, un grand nombre d'exploitations du vignoble de Bordeaux, aux profils multiples, se trouvent dans des situations très difficiles et dans l'incapacité, matérielle et financière de poursuivre l'entretien de leur vignoble », résume le Syndicat des Bordeaux. Le CIVB parle lui de « crises successives et conjoncturelles - climatiques, sanitaires, géopolitiques - et d'une crise plus profonde qui s'est installée dans le temps, résultat d'un déséquilibre entre notre offre et la demande. »

Un budget 2024 fortement déficitaire

D'ordinaire à l'équilibre, le CIVB a voté un budget en déficit de 15,8 millions d'euros. Avec des recettes quasi-stables (-1 % à 28,5 millions d'euros) et des dépenses en net repli d'environ -20 % à 24,55 millions d'euros, c'est la participation au plan d'arrachage qui plombe les comptes. Bien qu'alimenté par un emprunt de 14 millions d'euros sur 20 ans, le décaissage de la totalité des 19 millions d'euros a en effet été inscrit dès 2024 et assorti d'une stratégie de reconstitution des fonds propres en six à huit ans. Le marketing n'échappe pas à la coupe budgétaire avec des dépenses en baisse de 20 % et un arrêt des campagnes de promotion en Allemagne.

Le plan d'arrachage ouvert jusqu'au 20 décembre

L'objectif est donc de réduire la production annuelle d'environ 500.000 hectolitres alors que les sorties à la propriété s'établissent en 2023 à 3,67 millions d'hectolitres, déjà au plus bas depuis plus de dix ans et très loin des cinq millions d'hectolitres atteints en 2014 et 2018. Un millier de vignerons totalisant 9.500 hectares s'étaient pré-inscrits en juillet mais l'élan reste pour l'instant plus mesuré pour les inscriptions définitives alors que le guichet fermera le 20 décembre prochain : 489 dossiers correspondant à 3.000 hectares de vignes ont été déposés et 420 autres dossiers sont en cours d'inscription. Prévoyant une indemnisation de 6.000 euros à l'hectare, le dispositif est assorti de conditions drastiques avec, notamment une interdiction cultiver des vignes pour vingt à trente ans.

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« Plan réaliste » ou « alibi sanitaire » ?

Mais l'interprofession comme l'Etat en est convaincue : les inscriptions vont se multiplier d'ici le 20 décembre et l'enveloppe sera intégralement consommée dès l'année prochaine. Les travaux d'arrachage devant intervenir avant le 31 mai 2024. Le préfet de région, Etienne Guyot, est d'ailleurs venu en personne réaffirmer son soutien à la filière viticole en rappelant l'engagement de Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire : « Nous avons une obligation de résultat car ce plan est faisable et réaliste [...] L'Etat mettra huit millions d'euros de plus si l'enveloppe consacrée à la renaturation est entièrement consommée ! »

De son côté, la Confédération paysanne juge insuffisant ce plan d'arrachage de 9.500 hectares qualifié « d'alibi sanitaire ». Le syndicat évalue à 30.000 hectares le volume de vignes sans marché dans le Bordelais et réclame la création d'un office public foncier dédié à la viticulture. Financé par les collectivités, l'Etat et la Caisse des dépôts, un tel établissement serait « chargé de reprendre les actifs, de les restructurer dans une orientation essentiellement alimentaire et ensuite de les revendre ou relouer » afin de « mettre en place un remembrement permettant de constituer des ensembles de taille exploitables, avec des diagnostics pédologique, agronomique et hydrique préalables. »

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Commentaires 3
à écrit le 12/12/2023 à 18:51
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Les vins de Bordeaux trop cher pour une qualité pas toujours au rendez-vous.

à écrit le 12/12/2023 à 14:19
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la résilience viendra de la qualité ce que certains en bordeaux ont oubliés a défaut de faire de la quantité l heure est la montée en gamme même si il faut sacrifier des hectares . la bourgogne a su le faire en maitrisant l expansion de son domaine ...

à écrit le 12/12/2023 à 11:54
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Impossible d'éviter le vin naturel ou réellement bio pour les futurs jeunes clients mais impossible également pour le si vieux puissant lobby agro-industriel de bouger d'un millimètre. Impasse oligarchie, encore une. Quand on ne veut pas on ne peut p...

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