Arracher des vignes dans le bordelais pour conjurer la surproduction. Il y a encore une grappe d'années, le premier et le dernier mot de cette phrase étaient tabous dans les rangs de la viticulture girondine. Mais face à l'effondrement des ventes de vins, ce qui relevait d'une opinion s'est imposé comme un inévitable plan de secours. Selon les demandes arrêtées au 21 décembre dernier, les demandes d'arrachage sollicitées par le monde viticole s'élèvent à 8.060 hectares. Les courriers de la préfecture autorisant les travaux d'arrachage ont été envoyés il y a quelques jours et certaines exploitations ont commencé à arracher leurs vignes. Elles ont jusqu'au 31 mai pour le faire.
Bordeaux s'apprête ainsi à réduire de 7,5 % la superficie de son vignoble (108.000 hectares au total). Selon les données transmises à La Tribune par la préfecture de la Gironde, deux secteurs se situent au-dessus de cette moyenne. Avec 1.437 hectares demandés, le secteur Blaye-Bourg avec ses vins rouges très présents dans la grande distribution, va ainsi perdre 11 % de sa superficie. Suivi par le vaste Entre-Deux-Mers (-10 %), plus gros demandeur en surface avec 4.900 hectares à déraciner et qui rassemble des productions de vins blancs, rouges et rosés d'entrée et de moyenne gamme.
Sur ce bassin en vert sur la carte, ce ne sont pas les blancs qui vont arracher mais bien en immense majorité l'appellation des rouges Bordeaux et Bordeaux Supérieur, des vins d'entrée de gamme, selon les syndicats viticoles.
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Un vrai revirement pour ces deux bassins viticoles qui vont donc capter 80 % des aides du plan d'arrachage abondé par l'État, l'Europe, le CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) à hauteur de 58 millions. Sur les 8.000 hectares concernés, la moitié relève de demandes de renaturation durant 20 ans minimum, et l'autre de diversification (olivier, houblon, élevage...). Le plan prévoit une indemnisation de 6.000 euros par hectare supprimé.
Dans l'Entre-Deux-Mers en particulier, certains secteurs localisés promettent d'être transfigurés, comme les communes de Sauveterre-de-Guyenne, Targon et Pellegrue où 140 à 170 hectares disparaîtront sur chacune d'elles. L'Entre-Deux-Mers compte beaucoup de petites exploitations familiales, une population âgée et se démarque par une part importante d'arrachage pour cessation définitive d'activité.
Derrière, le Libournais sollicite l'arrachage de 5 % de son vignoble, avec 1.286 hectares de déprise demandée. Un terroir qui abrite les prestigieuses appellations Saint-Émilion, Pomerol ou Fronsac, moins touchées par la baisse de consommation courante. Mais les épargnées par la crise sont bien celles du Médoc et des Graves. C'est du moins ce que l'on peut avancer au regard des demandes anecdotiques : une soixantaine d'hectares pour chaque territoire.
La secousse de la crise viticole dépasse le Bordelais puisque, si les autres vignobles ne parlent pas encore d'arrachage, le gouvernement a annoncé fin janvier débloquer une enveloppe de 230 millions pour aider la filière.
« Solution de court terme »
L'écart se creuse entre l'entrée-de-gamme qui a payé les effets de l'inflation et les vins les plus cotés pour lesquels les débouchés dans la consommation de luxe ne faiblissent pas. Ou ce que l'on peut résumer, dans une certaine mesure, par le fossé abyssal entre les plus petits vignerons indépendants et les grands crus classés. Quoi qu'il en soit, c'est toute la marque Bordeaux qui prend un coup. « En terme d'image, ce plan d'arrachage égratigne tout le monde : les grands crus comme les appellations. Il n'est pas compris à l'étranger », pointe Jean-Marie Cardebat, économiste du vin et professeur à l'Université de Bordeaux.
Pour le chercheur, arracher ne suffira pas au vu de la situation du marché. « C'est une solution de court terme sur le plan social. Sur le plan économique, ce n'est pas une solution suffisante. À court terme elle va injecter de la liquidité mais elle est piégeuse. Ça ne résout rien sur le fond puisque ça va créer une baisse de l'offre, une élévation naturelle des prix et donc une baisse de la demande. »
Risque sanitaire
Dans les exploitations, le chantier à venir est colossal. Lors du dernier plan d'arrachage en 2007, un contingent de moins de 5.000 hectares avait été concerné. Parmi les producteurs, le défi est perçu comme une démarche administrative complexe qui va nécessiter beaucoup de temps et d'organisation.
Certaines voix pointent aussi son insuffisance. « Il y a 30.000 à 40.000 hectares où les gens ne vivent pas, évalue Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne et viticulteur à Pomerol. Il y a des exploitations en cessation de paiement où les terres et les vignes ne valent plus rien et le stock non plus ! On parle d'au moins 2.000 exploitations menacées dans le vignoble bordelais. » Et avec ça, une menace de prolifération des maladies de la vigne si des parcelles sont laissées en friche.
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