Le millésime 2023 ne laissera personne indifférent dans le vignoble de Cognac. D'ici dix ans, les vignerons s'en souviendront encore comme l'année florissante mais éprouvante où vendangeuses et alambics ont tourné à plein régime. La tête de l'interprofession, elle, préférera oublier cette année où les exportations ont chuté comme jamais auparavant.
Avec 165,3 millions de bouteilles vendues l'an passé pour 3,35 milliards d'euros, le spiritueux charentais enregistre -22,2 % d'exportations en volume dans le monde et même -45 ,4 % aux États-Unis, son premier marché. En valeur, le repli est de -14 %. Ainsi le Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC) a traduit en chiffres l'ampleur de la crise, inavouée, qui traverse le vignoble.
La secousse est majeure dans les grandes maisons : -11,8 % en volume chez Hennessy, -31,4 % en valeur pour Rémy Martin, alors que Martell doit communiquer prochainement sur l'ampleur de la dépression. Courvoisier, qui complète le quatuor de tête, est quant à elle en passe d'être rachetée par Campari.
Ventes dynamiques vers l'Asie
« Il n'y a pas de crise du Cognac », assure Raphaël Delpech, directeur général du BNIC, soutenant que la baisse était « prévue ». Pourtant, le carnet de commandes de Verallia, leader européen de l'emballage en verre, a fondu d'un tiers. Il a donc éteint l'un des deux fours de l'usine de Châteaubernard (Charente) en décembre pour six mois et mis 120 de ses 300 employés au chômage partiel.
Comme les producteurs ou les tonneliers, plusieurs métiers annexes de l'univers Cognac sont touchés. « On est à un tournant. On serre les fesses. On ne sait pas si cette baisse va durer six mois, un an, deux ans... Mais je ne suis pas inquiet. Ce n'est pas encore une crise, on est plutôt dans un virage. Et on verra ce qu'on trouve à la sortie », réagit Bertrand De Witasse, gérant de la maison Raison personnelle.
À l'approche du nouvel an chinois samedi, bon indicateur de tendance en Asie, deuxième marché en volume avec une croissance de quasiment 15 % en 2023, la filière est en alerte et guette les signes de la reprise.
La faute à l'inflation ?
L'attente se fait d'autant plus pressante que le vignoble de 80.000 hectares a battu en 2023 le record de production de ces trente dernières années. Avec 12,2 millions d'hectolitres extraits des grappes de raisin blanc, le Cognac a de quoi abonder sa réserve climatique pour au moins deux à trois campagnes.
Les distilleries, qui cherchent le chemin de la transition énergétique, sont en surchauffe : l'Inao (Institut national de l'origine et de la qualité) vient de prolonger exceptionnellement de dix jours la période de transformation autorisée. Après des ventes exceptionnelles durant le Covid, les chais s'apprêtent à stocker en masse.
Les raisons de la baisse de consommation sont multiples. L'image de l'alcool s'est dégradée et les ventes de vins et spiritueux baissent en Europe, explique Jean-Marie Cardebat, professeur à l'université de Bordeaux et spécialiste de l'économie du vin. « Les raisons sont moins structurelles que conjoncturelles, précise-t-il. Avec l'inflation, les consommateurs se passent des spiritueux, un marqueur social, pour se concentrer sur les produits de première nécessité. »
« Planter beaucoup quand ça ne va pas »
En réaction, et après une expansion de +25 % en sept ans, l'interprofession a réduit drastiquement sa demande de plantation en 2024 (100 hectares supplémentaires contre 3.100 en 2023). Une manœuvre pas forcément pertinente à moyen terme selon le chercheur interrogé par La Tribune. « Il faut agir de façon contre-cyclique, il faudrait presque planter beaucoup quand ça ne va pas. Or, le cognaçais prend des bonnes décisions mais trop tardivement. L'interprofession sait pourtant que le secteur est cyclique puisque la demande est sensible à la situation économique », expose-t-il.
Si l'inflation est contenue, la fin d'année pourrait être l'aube d'un retour de la consommation. Mais la menace de représailles chinoises sur les spiritueux européens ne laisse rien entrevoir de bon. « On s'attend à une année en dents de scie, on reste prudents », modère Florent Morillon, élu à la présidence du BNIC en novembre, qui sent toutefois « un léger frémissement aux États-Unis ». À quand le sursaut ? La question est dans les têtes des producteurs, comme l'illustrent les mots de Bertrand De Witasse. « Le Cognac marchera toujours. La question c'est dans quelles proportions ? », conclut-il.
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