Gueule de bois pour le Cognac, les exportations s'effondrent

DÉCRYPTAGE. Après une croissance record, le Cognac subit une chute de 40 % des volumes exportés vers l'Amérique du Nord. L'interprofession a renouvelé son exécutif avec des visages déjà connus pour gérer cette crise. Dans le vignoble, des voix pointent les responsabilités d'une surproduction.
Maxime Giraudeau
En sept ans, le vignoble cognaçais a demandé 25 % d'augmentation de surface.
En sept ans, le vignoble cognaçais a demandé 25 % d'augmentation de surface. (Crédits : MG / La Tribune)

Cultiver la vigne, c'est vivre avec les cycles. Celui des saisons de la plante, de la vinification et du marché. Les trois sont instables, le dernier est impitoyable. La conjoncture économique n'a cure des jeunes ceps. Même avec une hausse de la consommation soutenue par l'accroissement du vignoble depuis une petite dizaine d'années, la crise Covid doublée d'une inflation record met un coup de frein au Cognac, comme à d'autres spiritueux.

L'appellation a vu ses exportations baisser de 19 % sur la campagne 2022-2023, et même de 39 % vers l'Amérique du nord. Le Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC) fait état d'un total de 180 millions de bouteilles vendues pour un chiffre d'affaires de 3,6 milliards d'euros, en retrait de 6 %. Le décrochage intervient après trois années fastes où le vignoble a enchainé les records commerciaux.

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Il paye désormais le déstockage des volumes constitués durant le Covid par les acheteurs outre-Atlantique, mais subit aussi les effets de l'inflation qui a particulièrement touché les spiritueux de moyenne gamme (VS et VSOP). Ce revirement du marché intervient alors que l'appellation est engagée dans une politique d'augmentation de ses surfaces. Tout est là pour constituer un avis de tempête qui inquiète la profession.

« Se relever le plus tôt possible »

C'est dans ce contexte que l'interprofession a renouvelé ses têtes dirigeantes. Avec une absence totale de nouveauté. La famille du négoce a pris la présidence du BNIC pour trois ans le 24 novembre dernier avec Florent Morillon, directeur des affaires institutionnelles de la maison Hennessy. Un cadre déjà élu sous la précédente mandature qui succède au viticulteur Christophe Véral, devenu quant à lui représentant de la famille viticulture. En juin, l'Union générale des viticulteurs de Cognac avait réélu le titulaire sortant et seul candidat Anthony Brun à la présidence. La stabilité plutôt que l'aventure dans une crise ouverte.

« Qui n'est pas inquiet au regard du contexte international ? », interroge Florent Morillon. « Je comprends qu'individuellement on puisse avoir des viticulteurs qui s'inquiètent. Mais on ne parle pas aujourd'hui de surproduction », évoque-t-il à La Tribune. « Sur les deux dernières années, on a une double circonstance. 2023 va être la meilleure récolte depuis 20 à 30 ans. On n'a jamais eu deux récoltes de suite aussi importantes. Qui aurait prédit en parallèle qu'on aurait ce contexte international et la période Covid ? On gère cette situation, on a autorisé un rendement Cognac moins important [le volume d'alcool pur par hectare, ndlr]. Ça va faire de la réserve climatique. »

Reconstituer les stocks dans les chais en vue des aléas climatiques et de la reprise espérée des exportations. C'est la réponse aux tourments naissants parmi les 17.000 cultivateurs des Charentes. « On a un vignoble qui traverse une crise sans précédent mais on va tout faire pour s'en relever le plus tôt possible », mobilise Anthony Brun. « Le potentiel de plantation a augmenté de manière adaptée à notre croissance », assure-t-il. Mais c'est justement cet accroissement qui pose aujourd'hui question.

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Des milliers d'hectares pas plantés

Depuis 2016, le BNIC a organisé le renouvellement des plants sur un vignoble vieillissant. Avec 17.000 hectares de plantations autorisés depuis, les surfaces ont augmenté de 25 % pour un total de plus de 80.000 hectares. En théorie seulement, puisque environ la moitié du contingent a en effet été plantée. L'appellation dispose d'un tel potentiel en attente qu'elle a demandé pour 2024 le plus bas volume jamais souhaité avec 100 hectares. Les années précédentes, les doléances culminaient à plus de 3.000. Un brutal retour sur terre que certains jugent trop tardif.

Une lettre anonyme a commencé à circuler dans les rangs de vigne à l'orée de la saison de la distillation. Quelques lignes, relayées par Charente Libre, dans lesquelles un viticulteur dénonce la politique du BNIC. « Je vous accuse d'avoir demandé, obtenu et fait planter 15.000 hectares de vigne qui aujourd'hui créent une surproduction de l'appellation Cognac », sermonne-t-il. « Je vous accuse d'avoir fait croire à la viticulture, ainsi qu'à tous ses fournisseurs à l'eldorado, l'oasis au fond du désert. Tout ceci n'était qu'un mirage, du rêve et bientôt un cauchemar éveillé », écrit l'anonyme en visant nommément les dirigeants du BNIC.

Des tourments qui ne sont que passagers pour certains, dans l'attente de la relance initiée par les grandes maisons de Cognac qui ont baissé les prix sur leurs gammes intermédiaires. Mais pour d'autres, l'appellation récolte les mauvais raisins d'une stratégie déraisonnée qui a conduit les vignerons à investir dans des outils de production sur-dimensionnés. « Le BNIC a fait le choix de produire beaucoup pour stocker, et maintenant une partie du marché est artificielle. Ce qu'on a fait depuis dix ans n'emmène pas le vignoble vers la durabilité », pointe Agnès Rousteau-Fortin, viticultrice et porte-parole de la Confédération paysanne de Charente.

Conquête de nouveaux marchés

Un vrai numéro d'équilibriste que d'anticiper des plantations en phase avec la demande, quand on sait qu'il s'écoule sept ans entre la décision et la livraison de la première eau-de-vie issue d'un nouveau plant. « C'est quand ça ne va pas qu'il faudrait planter et quand ça va bien qu'il ne faudrait pas s'emballer ! Les politiques des spiritueux ne sont pas contra-cycliques, alors que leur activité est cyclique », explique Jean-Marie Cardebat, économiste du vin et des spiritueux à l'Université de Bordeaux et professeur associé à l'Inseec. « C'est un problème généralisé dans la filière des alcools. La sensibilité de la demande se fait par rapport à de nombreuses variables macro-économiques, or quand on plante on ne regarde que les ventes. » Le vignoble cognaçais est encore loin de la situation de son voisin bordelais, qui s'apprête à arracher près de 10 % de ses surfaces... en réponse à la surproduction.

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La mission du nouvel exécutif du BNIC va être de jongler entre une croissance ralentie et une réticence des exploitants à agrandir leurs surfaces, tant que les exportations n'auront pas retrouvé leur cadence. Au-delà de la conjoncture, la filière va faire jouer ses nombreux atouts en France comme à l'international. Les représentants de l'interprofession ont reçu pas moins de huit ministres durant le dernier mandat quand Hennessy et Rémy Martin investissent respectivement dans les encarts publicitaires de la NBA et du Super Bowl. Les marchés émergents sont également porteurs comme l'extrême-orient avec une hausse de 9 % des volumes sur une année ou l'Afrique du Sud avec +38 %.

« Quand on est une filière qui exporte à 98 %, on est loin de bénéficier d'un contexte où tout irait bien. Mais on reste très positif, très optimiste, la filière Cognac c'est un paquebot qui a une destination et où on continue d'investir », affiche le nouveau président du BNIC qui veut « être à la conquête du monde en permanence » dans ce qu'il qualifie de « nouvelle époque ». Fin janvier, la profession va se réunir pour déterminer sa nouvelle stratégie et présenter son nouveau label environnemental. Deux occasions de fédérer un monde de la vigne en attente de sursaut.

Maxime Giraudeau

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Commentaires 2
à écrit le 15/12/2023 à 13:24
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D'autant que pour déguster un bon Cognac il faut mettre le prix...ce qui n'est pas non plus toujours une garantie.

à écrit le 15/12/2023 à 8:39
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La thèse de la surproduction tient fermement la route étant donné que rengaine habituelle agro-industrielle avec leurs grosses pattes velues. Dans le pays du bien vivre il serait temps de bannir cette activité essentiellement néfaste à l'humanité.

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