Au bord des routes, des vignes en friche ou arrachées : le vignoble bordelais a entamé sa mue. Dans le blayais, au nord de Bordeaux, le paysage commence à changer. C'est dans les appellations de grande consommation comme celle-ci, moins prestigieuses que les Médoc ou Saint-Émilion, que le plan d'arrachage fait son œuvre.
Sur le domaine de Vincent L'Amouller, cette prophétie se vérifie. Et sous-entend son lot de difficultés. « Depuis trois ans, on fait de bonnes récoltes en volume. Mais en parallèle, on ne vend pas. Chaque année, on stocke une demi-récolte... », déplore-t-il, perché sur un tonneau dans son chai de Saint-Martin-Lacaussade. Micro à la main, il présente son outil de production d'une voix qui tremble sous l'émotion. Face à lui, un public d'élus et représentants du monde rural invité par la Confédération paysanne dans le cadre du contre-salon de l'agriculture organisé par le syndicat.
À 40 ans, le vigneron va arracher trois hectares, soit 17 % de sa surface cultivée. Dix ans après s'être installé sur la ferme familiale en bio avec sa femme Ludivine. L'appellation dont ils font partie, Blaye - Côtes de Bordeaux, n'a plus la côte et vend à perte. « Actuellement, le négoce bordelais c'est une catastrophe pour nous. Si vous leur vendez à 1 euro le litre, vous êtes bienheureux », pointe-t-il en regard d'un coût de production à 2,50 euros.
« Arrêter le vin en barrique »
Heureusement pour la santé économique de leur affaire, le couple a choisi de s'affranchir du négoce en misant beaucoup sur la vente directe. Mais en tournant le dos à l'étiquetage Bordeaux. La moitié de la production du château Frédignac est vendue sous l'appellation générique Vin de France. Vincent L'Amouller l'assure : « C'est plus facile de vendre un Vin de France à 12 euros qu'un Bordeaux à 7. »
Oublier Bordeaux et répondre aux attentes du consommateur en quête de vins moins tanniques, plus fruités et à l'emballage pimpant. Pas évident pour celui qui se définit comme un « cul-terreux » accroché à son terroir. Une stratégie pourtant contrainte par le manque de ressources financières de ce domaine qui emploie trois salariés.
Chez Vincent et Ludivine, les grands dogmes du Bordeaux tombent un à un. « On se dit qu'on va peut-être arrêter le vin en barrique. C'est du très bon vin mais il n'a pas de marché. Pour la remplacer, on essaye l'amphore, ça permet de répondre à la demande d'un vin plus fruité », montre le vigneron en pointant ces poteries galbées dans la lumière tamisée du chai.
À gauche, une étiquette typique des vins de Bordeaux. À droite, un visuel coloré pour un vin léger plébiscité par les consommateurs. (crédits : MG / La Tribune)
Des hectares à l'abandon
Les trois hectares à arracher sont en partie voués à accueillir à des oliviers. Une culture très nouvelle en Gironde mais qui pourrait émerger face aux nécessités de diversification des cultures. Le choix s'impose pour éviter une accumulation des friches viticoles, même si les filières alternatives ne sont pas structurées.
L'inquiétude est vive dans certains terroirs. « Les chais sont pleins, les trésoreries à sec. Les agriculteurs n'ont pas les moyens d'acheter des produits phytosanitaires pour entretenir les vignes. On atteint le risque maximal d'un bouillon de culture explosif pour le mildiou », prévient Dominique Técher, viticulteur à Pomerol et porte-parole de la Confédération paysanne de Gironde. Les parcelles abandonnées se multiplient dans le bordelais. Beaucoup parlent de milliers d'hectares.
Sur la route de Blaye, des vignes laissées en jachère. (crédits MG / La Tribune)
Au-delà du milieu viticole, c'est un rééquilibrage qui est demandé à l'unisson par la profession agricole. Une remise en phase de la production avec les attentes des consommateurs. Mais aussi une meilleure protection face aux marchés internationaux. C'est le sens de certaines promesses d'Emmanuel Macron prononcées ce week-end au Salon de l'Agriculture. L'État veut ouvrir la voie aux discussions.
Trop vieilles vignes
« Je n'ai jamais vu un plan aussi ouvert au niveau de l'agriculture. Il n'y a aucun tabou », assure le préfet de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine Étienne Guyot. « Il faut qu'on accepte de débattre et qu'on soit les plus équilibrés possible pour tomber d'accord sur ce sujet de souveraineté », en appelle-t-il devant les représentants de la Confédération paysanne.
Tandis que les rencontres se multiplient entre les interprofessions et les services de l'État, les viticulteurs commencent à arracher. Un crève-cœur pour beaucoup, qui ne pourrait être qu'une première étape tant l'ampleur de la crise est importante. L'air soulagé, Vincent L'Amouller montre un fagot de piquets de vigne à l'horizontal : « C'était une parcelle de vieux ceps », justifie-t-il. Comme s'il fallait refouler le vieux Bordeaux pour survivre.
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