Comment les coworkings bordelais ont traversé la crise sanitaire (1/4)

« Deux poids, deux mesures. » La maxime prend tout son sens lorsqu’on se penche sur le tissu des espaces de coworking bordelais : le Covid-19 laisse derrière lui des indépendants fragilisés et suspendus à l’hypothétique reprise de la rentrée sans avoir réellement secoué les "géants" spécialisés dans les bureaux partagés. Entre les deux, les structures hybrides, qui mixent locations de bureaux privatifs et espaces ouverts affichent une relative solidité. Avec toutefois une vraie incertitude quant à la relance de l’évènementiel.
Le Coolworking est situé à deux pas de la place des Quinconces, à Bordeaux.
Le Coolworking est situé à deux pas de la place des Quinconces, à Bordeaux. (Crédits : Coolworking)

Pour les gérants des "petits" espaces de coworking bordelais, depuis le 17 mars dernier, le quotidien est rythmé par deux maîtres-mots : système D et solidarité. Dès l'annonce du confinement général, le 16 mars, tous ont eu à composer avec une équation a priori insoluble : comment fermer le local sans mettre la clé sous la porte ?

La douche froide et la solidarité

"Ça a été la douche froide", se remémore ainsi Fabrice Jeannet, à la tête de Coolworking, l'un des pionniers de cette activité à Bordeaux, ouvert en novembre 2012. "J'ai suivi les injonctions gouvernementales : j'ai fermé, en essayant de relayer au mieux les informations dont je disposais". Si contractuellement le cas de force majeure le protège et lui permet d'exiger le paiement des prestations dues au titre du mois à venir, le gérant est prêt à accepter les résiliations, même hors délai de préavis, conscient que ses 70 coworkers se trouvent dans la même galère. Mais ceux-là conservent leurs abonnements, "dans un esprit d'entraide". "Coolworking est un lieu de travail convivial, où nous nous connaissons tous. J'aurais bien évidemment compris qu'ils résilient, mais ils ont préféré serrer les coudes pour maintenir l'activité", poursuit-il. "Pour les remercier, et participer moi aussi à cet effort, j'ai fait une remise de 50% sur le mois de mai." Le gérant anticipe toutefois une baisse de son chiffre d'affaires, à ce stade évalué à 149.000 € à fin 2020, versus près de 190.000 euros en 2019.

Ce témoignage n'a rien d'isolé. Il raisonne avec celui de Sandrine Marzat, gérante de La Girafe. Propriétaire de son local, et ayant obtenu de sa banque un report de crédit de six mois (soit 33.000 euros sur un budget annuel de dépenses de 100.000 euros), elle a pu geler le paiement des prestations de ses coworkers, même si "plusieurs d'entre eux se disaient prêts à payer". Il raisonne aussi avec celui d'Éric Deup, à la tête de La Couveuse à films, spécialisé dans la production audiovisuelle, lui-même réalisateur et producteur. "À La Couveuse, les coworkers ont des métiers complémentaires, ils sont monteurs, cadreurs, preneurs de son... À ceux qui ne pouvaient pas payer leur loyer j'ai proposé un système de troc : ils pouvaient conserver leur poste en échange d'une prestation de service."

Lire aussi : Pourquoi les espaces partagés vont prendre de plus en plus de poids (9/14)

Passé l'orage, c'est encore sur le système D que repose la réouverture permise par le déconfinement. À La Girafe, Sandrine Marzat et sa famille cousent des kits de pique-nique et y glissent des couverts en bois pour permettre aux coworkers de déjeuner ensemble sans partager la vaisselle ni virer dans le "tout-plastique". "Il a fallu trouver les distributeurs de gel hydroalcoolique, élargir la table de la salle à manger pour garantir le mètre de distanciation imposé par les règles sanitaires, remplacer les interrupteurs pour installer des détecteurs de présence..." La gérante a d'ailleurs participé à la rédaction du guide élaboré par France Tiers-lieux pour accompagner ces espaces dans leur réouverture. Le moyen aussi, pour elle, de "rassurer les entreprises qui louent un poste à La Girafe pour un salarié en télétravail".

Service minimum

À l'autre bout de l'échiquier, le directeur général IWG France (qui développe notamment les marques Régus, Spaces, Signature,ou encore HQ) Christophe Burckart, explique avoir pu maintenir ses cinq centres bordelais "totalement accessibles", laissant aux clients la charge de décider ou non d'utiliser les locaux. "Pour les coworkers qui souhaitaient rester sur place, nous avons maintenu un service et une présence minimum", explique-t-il, grâce à une réactivité immédiate des équipes, sur le pont dès le 17 mars pour assurer la sécurité sanitaire. "Nous avons d'ailleurs travaillé avec le cabinet Véritas pour valider le protocole sanitaire mis en place", précise le directeur.

Et si l'entreprise a proposé à ces clients les plus fragilisés des mesures d'accompagnement (report de loyers, échelonnement, extensions de contrats), "pour faire en sorte que la chaîne de valeur soit préservée", globalement, la période aura eu peu d'impact sur son chiffre d'affaires, resté stable.

« Il ne faut pas croire que tout aille bien pour les grands espaces »

Chez Mama Works, qui propose depuis deux ans quelques 300 postes à Bordeaux, les bureaux privatifs ont également été maintenus accessibles, avec mesures sanitaires renforcées, accès spécifique et fermeture des espaces communs. Et chez Mama Works aussi, les clients ont pu profiter de mesures d'accompagnement.

"Mais il ne faut pas croire que tout aille bien pour les grands espaces de coworking", défend pour autant Alexandra Patat, gérante de Mama Works Bordeaux. "Quand on a un grand espace, on est souvent multi-activité. Ici par exemple, nous avons un bar au rez-de-chaussée, avec trois employés, et un salarié à temps plein pour gérer l'événementiel. Ils sont toujours au chômage partiel. Et sur la reprise de l'événementiel, on n'a quasi aucune visibilité." Un coup dur sachant que cette activité pèse pour 30 % du chiffre d'affaires.

Dès le premier jour du déconfinement, le "staff Mama" s'est donc attelé à la réouverture du rez-de-chaussée, signature de "l'ADN Mama", poursuit la gérante. Quitte à fonctionner en horaires réduits, et à se contenter de 10 % du chiffre d'affaires annuel. "Il fallait recréer le lien, et affirmer que nous étions là pour ceux qui voulaient sortir de chez eux".

In fine, à l'heure des comptes, tous ces espaces constatent un relativement faible taux de résiliation, de l'ordre de 10 % que semble compenser une reprise frémissante des activités. Et si tous attendent surtout la rentrée de septembre pour siffler véritablement la fin de la partie, ils n'en restent pas moins convaincus d'une chose : le confinement aura aussi révélé l'intérêt du télétravail et les désagréments du home office, faisant des espaces de coworking un business d'avenir.

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