A Belin-Béliet, un projet logistique miné par les risques environnementaux et politiques

Un site logistique de 300 emplois pour une ville de 5.500 habitants. Belin-Béliet, commune girondine frontalière des Landes qui jouxte l'A63, pourrait ainsi accueillir un géant du e-commerce sur les terres de Cdiscount, basé à Bordeaux et Cestas. Depuis la vente d'un terrain de 19 ha situé en zone humide dans le Parc naturel régional des Landes, les opposants pointent les risques pour l'environnement. Alors que le promoteur cherche un, voire des clients, le permis de construire est encore très loin d'être attribué.
La commune de Belin-Béliet (33) veut accueillir 71.000m² d'entrepôts sur une parcelle pour partie en zone humide et dans le Parc naturel régional des Landes.
La commune de Belin-Béliet (33) veut accueillir 71.000m² d'entrepôts sur une parcelle pour partie en zone humide et dans le Parc naturel régional des Landes. (Crédits : Maxime Giraudeau)

Belin-Béliet est une commune située à 45 kilomètres au sud de Bordeaux, dans le Parc naturel régional des Landes et dont la sylviculture est le moteur économique. Mais depuis qu'un projet de plateforme logistique sur 71.000 m2 d'entrepôts a été voté par le conseil municipal en mars 2018, les obstacles s'amoncellent. La Région Nouvelle-Aquitaine a déjà déposé une motion contre le projet le 3 juillet dernier, suite à une proposition de l'élu écologiste Vital Baude. Autre surprise, qui vaut pour un aléa de l'Histoire, 900 ans après Aliénor d'Aquitaine, native de Belin, c'est le nom d'Alibaba, le géant chinois du e-commerce qui a été évoqué derrière ce projet par le quotidien Sud Ouest. La rumeur a depuis été démentie par la Communautés de communes du Val de Leyre, dont Belin-Béliet est membre.

Dès l'origine, le projet porté par la maire de l'époque Marie-Christine Lemonnier (LR), titulaire de deux mandats à la tête de Belin-Béliet (2008-2020), fait mention de 300 emplois sur un site de 71.000 m2. Un appui économique inespéré pour cette commune de 5.500 habitants, même si, aujourd'hui encore, tout demeure au conditionnel. Réuni en séance le 28 mars 2018, le conseil municipal a validé à l'unanimité la vente à la communauté de communes du Val de Leyre des 18,2 ha du foncier appartenant à la mairie. Le site en question, mitoyen de la zone d'activité Sylva 21, situé à proximité directe de la sortie 21 de l'A63, regroupe donc 19 ha de terres, dont 13 classés en zone humide. La maire de l'époque y défend le projet bec et ongle :

"Renoncer à la création de 300 emplois, c'est une responsabilité dont il faudra répondre demain auprès de nos concitoyens !"

Délibération projet Belin-Béliet

Délibération du conseil municipal de Belin-Béliet du 28 mars 2018 (cliquez sur l'image pour l'agrandir).

Annonce mystère et site Seveso ?

De responsabilités, il y en a également à porter au niveau environnemental, puisque la gestion de l'eau et de sa circulation pose des problèmes à Belin-Béliet.

"Le 11 mai dernier on a eu une inondation avec des routes coupées et des ponts effondrés. Si on enlève 19 ha de zones humides en amont de la rivière Leyre, on accélère encore l'impact de ces inondations. D'autant que la zone sert de rétention en période de sécheresse", expose ainsi l'opposante Annie Montrichard, agricultrice de la ferme des Bleuets, exploitation située à 500 mètres de la zone d'activité Sylva 21.

Opposée à l'implantation d'un site sur la zone humide, l'agricultrice a monté un collectif baptisé "Touche pas à ma zone humide - Non aux géants du e-commerce en Val de Leyre". Il rassemble aujourd'hui une centaine de riverains et une dizaine d'associations (Les amis de la terre, Xtinction Rebellion, Sepanso...), fermement contre le projet du promoteur commercial.

C'est d'ailleurs l'entreprise PRD, promoteur pour les entreprises et spécialisé dans l'immobilier logistique, qui a été retenue par la municipalité pour porter le projet. PRD est une habituée de ces projets d'envergure, puisqu'elle prépare par exemple le nouveau site logistique d'Alibaba près de Lens. La société n'a répondu à aucune des sollicitations de La Tribune sur le dossier de Belin-Béliet.

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Mais alors que le site ne dispose pas de permis de construire à ce jour, PRD a récemment publié une annonce sur un site de location, proposant 71.000 m2 d'entrepôts logistiques ou de stockage industriel dès 2022. Le lieu ? Belin-Béliet. "La zone humide pourrait devenir un site classé Seveso", dénonce Eric Castex, forestier et membre du collectif d'opposants. L'annonce mentionne en réalité le niveau ICPE (Installation classée pour la protection de l'environnement), juste en-dessous du seuil Seveso. Est-ce une façon pour PRD de brouiller les pistes et de faire oublier le nom d'Alibaba ? Rien n'est certain, mais la piste d'un site de stockage de produits industriels réduirait le nombre d'emplois potentiels tout en engendreant un risque potentiel pour la commune.

Annonce PRD

"Une zone humide pas exceptionnelle"

En 2020 est venue l'heure des élections municipales. Pour des raisons de santé, Marie-Christine Lemonnier n'a pas brigué un troisième mandat et c'est une liste d'opposition qui a été élue au second tour le 28 juin dernier avec Cyrille Declercq à sa tête face à l'équipe de la maire sortante. Et le nouvel édile se montre très prudent sur le projet qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

"Lorsque l'on s'engage sur un projet de ce type, ça demande plusieurs mois voire une année avec des autorisations, des examens, des études. Quand vous validez cela, vous ne validez pas la réalisation immédiate mais bien le processus d'étude et de démarches administratives et environnementales. Le conseil municipal n'a pas donné un blanc-seing", rappelle Cyrille Declercq. "Ce seront les résultats des études qui permettront de dire si le projet est faisable ou pas. A ce moment-là on pourra aller, ou pas, jusqu'au bout. [...] Aujourd'hui je n'ai pas d'avis objectif", ajoute-t-il.

Quant à Alibaba, contactée par La Tribune, l'entreprise chinoise indique qu'elle "ne souhaite pas commenter les rumeurs." Le nouveau maire aurait-il recueilli des informations ? "Parmi les éléments qui nous ont été communiqués [quand nous étions dans l'opposition], jamais, grand jamais Alibaba n'a été évoqué par l'équipe municipale", promet-il.

Maire Belin-Béliet

Cyrille Declercq à gauche, nouveau maire de Belin-Béliet, avec son premier adjoint Jean-Pierre Ducourneau (crédits : Maxime Giraudeau / La Tribune)

Une prudence bien moins observée par les autres instances concernées par le projet. Avec Bruno Bureau tout d'abord, le nouveau président de la communauté de communes du Val de Leyre, qui, lors de sa prise de fonctions le 10 juillet, a déclaré que le projet logistique paraissait "compromis". Une prise de parole que le maire de Belin-Béliet juge "prématurée". Parallèlement, le Parc naturel régional des Landes, contacté par La Tribune, a fait part "d'une préoccupation autour de la parcelle et de la gestion de l'eau sur site" dès l'annonce du projet en 2018. Même si les 19 ha en question ne sont pas classés en zone humide prioritaire, "une attention particulière est portée sur la gestion des espaces mis en compensation environnementale mais aussi sur la préservation maximale du milieu en lui-même " communique le Parc. Le Schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) enfin, établit en concertation au niveau du Val de Leyre est catégorique sur les implantations en zone humide.

« Sage révisé en janvier 2013 : Objectif D - Préserver et gérer les zones humides du territoire pour renforcer leur rôle fonctionnel et patrimonial.

      • Préserver les zones humides prioritaires du Sage

      • Limiter la mise en place des mesures compensatoires relatives à la destruction de zones humides prioritaires ou de frayères aux mêmes sous bassins versants que ceux impactés par le projet ou l'aménagement »

900 salariés licenciés en 1974

Interrogés par La Tribune, plusieurs observateurs du marché girondin se montrent très circonspects sans pour autant avoir connaissance d'un projet concret. "Venir sur les terres de Cdiscount serait un mouvement objectivement malin et pertinent de la part d'un concurrent direct", observe l'un d'entre eux. Preuve d'ailleurs de l'intérêt des géants du e-commerce pour la Gironde, il y a quelques semaines Ford suggérait de céder son site de Blanquefort à l'autre géant mondial du e-commerce, l'américain Amazon, avant que l'ancien maire de Bordeaux, l'ancien président de Bordeaux Métropole et la maire de Blanquefort ne s'y opposent conjointement : "On n'en veut pas!" Affaire classée.

Mais un autre bon connaisseur du marché immobilier local émet davantage de réserves sur la faisabilité et la viabilité d'une telle opération à Belin-Béliet. "C'est un projet qui est très risqué d'un point de vue économique. Placer 70.000 m2 d'entrepôts logistiques auprès d'un client à Belin-Béliet c'est bien mais si, pour une raison ou pour une autre, dans quelques années votre client s'en va, je vous souhaite bon courage pour trouver de nouveau preneurs ! Belin-Béliet ce n'est pas le bout du monde mais ce n'est pas Bordeaux alors si vous arrivez à vendre 5.000 m2 sur les 70.000 m2 ce sera déjà très bien ! » A titre de comparaison, à Cestas, plus près de Bordeaux, Lidl dispose par exemple de 50.000 m2 d'entrepôts et Cdiscount de 108.000 m2.

Opposants Belin-Béliet

Les opposants au projet logistique parcourent la zone humide du site de 19 ha (crédits : Maxime Giraudeau / La Tribune).

Mais pour la petite commune, la perspective de l'emploi ne peut pas être balayée d'un revers, tant elle souffre des migrations pendulaires qui conduisent les habitants à partir travailler sur la métropole. Si l'équipe municipale ne se prononce pas sur le fond du projet, elle émet néanmoins une préférence, engendrée par quelques vieux démons :

« Sur la commune de Belin, nous avons eu une très grosse entreprise de mécanique qui était les Établissements Cazenave. [...] Dans les années 1970, elle comptait jusqu'à 900 salariés, ce qui drainait des employés de tout le secteur. Quand l'entreprise a périclité en 1974, la commune a été littéralement sinistrée. Quand vous avez une grosse entreprise qui a des problèmes sur un territoire, les emplois foutent le camp et les salariés licenciés ne retrouvent pas d'équivalent. Il vaut mieux avoir une dizaine d'entreprises de taille plus modeste", raconte Jean-Pierre Ducourneau, premier adjoint au nouveau maire.

Nappes phréatiques menacées

Un point de vue partagé par les opposants, avec quelques nuances toutefois. "La zone humide est un site nécessaire à la biodiversité. Une grosse entreprise du e-commerce on ne peut la mettre qu'ici parce qu'il n'y a pas de place ailleurs. Mais si on parle de petites entreprises, pourquoi les mettre ici ? Il y a des friches industrielles aujourd'hui à Belin-Béliet ou à Salles", pointe Vincent Brachetti, qui gère la commission emploi du collectif d'opposants. Il n'est en tout cas pas question pour eux de voir le site de 19 ha être dénaturé.

Pour Annie Montrichard, l'implantation d'un géant logistique sonnerait le gla pour son exploitation. "Avec 600 camions par jour, je peux oublier le label biologique. Ensuite, j'ai un projet éco-touristique d'accueil de classe qui ne sera pas possible non plus avec le passage de camions. Et enfin, avec le rabaissement de nappes phréatiques, je ne pourrai plus irriguer mes cultures", déplore l'agricultrice. Mais face à 300 emplois hypothétiques et des retombées fiscales importantes, sa ferme pèse peu. D'autant que le projet prévoit des possibles compensations environnementales qui recréeraient, ailleurs, les conditions de l'écosystème détruit jusqu'à trois fois sa taille.

L'incertitude qui règne à Belin-Béliet est désormais doublée d'une attente vive quant aux conclusions des services de l'état. Y aura-t-il finalement un permis de construire pour PRD ? Dans l'immédiat, la préfecture de Gironde attend encore de la part de PRD des documents supplémentaires relatifs à la prise en compte par le promoteur des contraintes environnementales et des éventuelles mesures de compensation. Une fois le dossier complet, la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) instruira le dossier au regard des réglementations environnementales et liées à la gestion de l'eau. En cas de validation du projet, vendra ensuite le temps d'une enquête publique puis, le cas échéant, du dépôt et d'instruction du permis de construire.

Site logistique ou de stockage industriel, des menaces planent pour l'environnement et pour le système de circulation de l'eau. Qu'importe le nom de l'entreprise qui convoite le projet, à condition qu'il y en ait une, il est aujourd'hui truffé d'incertitudes tant techniques que politiques. Venir chasser sur les terres du bordelais Cdiscount bousculerait le schéma économique du territoire, mais dans la réalité, ce projet logistique géant ressemble plus que jamais à un miroir aux alouettes.

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