"A Bordeaux, on va ralentir le flux de constructions neuves" Bernard-Louis Blanc (1/2)

INTERVIEW. "On va ralentir le flux de constructions neuves et mettre un peu entre parenthèses les grandes opérations pour prendre le temps de regarder là où la puissance publique doit retrouver des leviers d'action." Dans un long entretien à La Tribune, Bernard-Louis Blanc, 4e adjoint au maire de Bordeaux en charge de l'urbanisme résilient, développe sa relation avec les promoteurs immobiliers et les grandes opérations urbaines. Fin de la défiscalisation et réduction de la taille des opérations sont au programme avec un credo : "L'idée n'est pas tant de construire moins que de construire moins vite !"
Ancien directeur général d'Aquitanis, le bailleur social de Bordeaux Métropole, Bernard-Louis Blanc est désormais adjoint au maire de Bordeaux en charge de l'urbanisme résilient.
Ancien directeur général d'Aquitanis, le bailleur social de Bordeaux Métropole, Bernard-Louis Blanc est désormais adjoint au maire de Bordeaux en charge de l'urbanisme résilient. (Crédits : Agence APPA)

Ceci est la première partie du long entretien avec Bernard-Louis Blanc, l'adjoint au maire de Bordeaux en charge de l'urbanisme résilient. La deuxième partie de cet entretien, publiée le 4 novembre, est disponible ici : "L'objectif numéro un est de sortir du tout béton à Bordeaux" Bernard-Louis Blanc.

LA TRIBUNE - Le moratoire sur les grands projets urbains et la promesse de zéro nouvelle artificialisation des sols ont été l'un des marqueurs de la campagne victorieuse de Pierre Hurmic. En tant qu'adjoint à l'urbanisme résilient vous êtes chargé de mettre ce programme en œuvre. Comment cela va-t-il se traduire ?

BERNARD-LOUIS BLANC - La phrase la plus importante de Pierre Hurmic depuis sa prise de fonction est quand il annonce lors de son point presse de rentrée qu'il sera un maire régulateur. Après les mots de la campagne, qui forcent le trait, on est désormais dans l'opérationnel. Le zéro artificialisation est très important aux yeux des écologistes mais c'est une règle qui figure déjà dans la loi et concerne d'abord les territoires périurbains et les lotissements. L'analyse que je fais de la situation urbaine à Bordeaux depuis 20 ans c'est celle d'un urbanisme de marché. C'est la ville ouverte à la promotion immobilière en considérant, dans une pensée néo-libérale, que l'économique tire tout le reste. C'est le "si le bâtiment va, tout va !". L'idée de la précédente majorité était de laissez-faire les promoteurs. Il y a eu d'abord le quartier Ginko en concession à un aménageur privé, en l'occurrence Bouygues Immobilier. Puis les Bassins à flot, avec un "urbanisme négocié" et un "plan guide" dessiné par un architecte-urbaniste conseil et chaque promoteur qui fait son affaire de chaque îlot. A la fin du programme, qui a été extrêmement rapide, les promoteurs me l'ont dit, ils étaient ravis : des milliers de logements construits très rapidement et à 80 % en défiscalisation. Bref, que du bonheur de leur point de vue !

La 3e étape de l'effacement de la puissance publique c'est le quartier Brazza avec "un urbanisme en liberté" quasiment en partenariat public-privé qui charge les promoteurs de tout faire : la dépollution, l'aménagement, la construction des bâtiments, des rues et des infrastructures. Cela a entraîné une compétition foncière et une inflation des prix des terrains privés hors de toute équilibre général de l'opération et alors même que les terrains publics ont été cédés les premiers et pour beaucoup moins cher. Le parent pauvre de cette inflation foncière est bien évidemment la qualité architecturale.

Bordeaux Euratlantique en chantier

Le ballet des grues à Bordeaux Euratlantique (crédits : Agence APPA)

Face à cette situation que vous qualifiez de "laissez-faire", que proposez-vous concrètement pour "réguler" ?

Le premier outil de ma feuille de route est le verbe ralentir. On va ralentir le flux de constructions neuves et mettre un peu entre parenthèses les grandes opérations pour prendre le temps de regarder là où la puissance publique doit retrouver des leviers d'action. Même les services de la mairie et de la métropole ont un peu perdu le fil sur ces grandes opérations d'aménagement qui concentrent 56 % de la construction neuve de logements et représentent encore plus de 35.000 logements à construire ! L'idée n'est pas tant de construire moins que de construire moins vite. Sur Brazza et Bastide-Niel, on construira autant de logements que ce qui était prévu mais un peu différemment et en prenant trois mois de plus.

La FPI (fédération des promoteurs immobiliers) estime qu'il faut produire environ 10.000 logements neufs par an à Bordeaux Métropole pour répondre à la demande et s'inquiète du retard pris actuellement, craignant qu'il ne manque la moitié de l'offre neuve cette année. Que leur répondez-vous ?

Je ne suis absolument pas d'accord avec cette analyse ! D'une part, et je l'ai déjà dit à la FPI, ce n'est pas leur rôle de définir des besoins en construction de logements, de surcroît à partir d'analyses erronées de l'évolution démographique. Si on reprend les statistiques de l'Insee, on arrive à un besoin annuel de l'ordre de 5.500 logements neufs sur la Métropole dont environ 2.000 logements à Bordeaux. La ville connaît un solde net de 2.000 nouveaux ménages par an et ils ne vont pas tous dans le neuf. Donc déjà avec 2.000 logements neufs, je suis au-dessus des besoins. Le programme local pour l'habitat (PLH) exprime le besoin politique de logements qui est évalué à 5.500 logements neufs par an avec une hausse à 7.500 logements neufs par an ces trois dernières années et pour les trois ans qui viennent. Et quand on regarde les chiffres de la construction, on voit clairement qu'on est systématiquement depuis 2008 au-delà des besoins exprimés par les élus.

PLH et logement neufs Bordeaux Métropole

Evolution de la construction de logements neufs et des objectifs du Programme local de l'habitat à Bordeaux Métropole. 121.000 logements ont été construits de 2006 à 2019, soit plus de 8.600 logements en moyenne chaque année (source : A'urba, septembre 2020). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Lire aussi : Immobilier : les promoteurs craignent que Bordeaux Métropole manque de logements

Si l'on construit plus que la demande depuis douze ans, comment expliquez-vous la forte tension sur le marché immobilier qui s'est notamment traduite par une flambée des prix de l'immobilier ces dernières années ?

Par le fait que toute une partie de ces nouveaux logements ne correspond ni aux besoins, ni à la sociologie bordelaise même s'il reste une clientèle très aisée d'investisseurs, de grands bourgeois, de professions libérales, de personnes qui ont réussi à faire la bascule et de gens qui veulent à tout prix accéder pour se constituer un patrimoine face aux incertitudes de leurs retraites. Mais, en d'autres termes, on a un découplage total entre l'offre immobilière et la capacité financière des ménages qui vivent et travaillent à Bordeaux. Et c'est bien pour cela qu'ils foutent le camp à 40 ou 60 km parce qu'un T2 à 200.000 euros ça n'est pas possible ! Et c'est pour ça que ces logements neufs se font jusqu'à 80 % en défiscalisation, ce qui constitue pendant les neufs années de défiscalisation une offre locative sociale de fait. La question est de savoir pourquoi l'Etat met autant d'argent dans le Pinel et autres dispositifs de défiscalisation pour faire construire par le privé une offre sociale qui, au final, lui coûte plus cher et dure moins longtemps qu'un logement social classique !

Lire aussi : Bordeaux Métropole, la Gironde et les Gilets jaunes

Etes-vous absolument opposé à ces outils de défiscalisation qui font office de perfusion pour soutenir le marché du logement neuf ?

Oui, parce que cela correspond à un modèle économique qui ne va plus parce qu'il est fondé uniquement sur un urbanisme de marché. Nous voulons du propriétaire occupant à Bordeaux ! J'ai dit aux promoteurs de me montrer leur bilan et, s'ils n'arrivent pas à le faire tourner, alors on autorisera la part de défiscalisation qui leur permettra de sortir leur opération mais elle ne sera pas majoritaire dans l'opération.

Quelles propositions alternatives ?

Nous ce qu'on a en tête c'est d'interroger les ressorts de cette industrie de la production immobilière en tertiaire mais surtout en résidentiel. On est toujours face aux mêmes majors : les Nexity, Vinci, Icade, Bouygues, Eiffage, etc. C'est un problème en soi parce qu'ils tiennent tous les marchés au détriment des petits acteurs qui sont, dans le meilleur des cas, en partenariat ou quasi sous-traitants. Cette situation a été nourrie par trois phénomènes : la défiscalisation, on en a parlé ; le macro-lot de 300, 400 ou 500 logements ; et le béton. Le principe du macro-lot est d'avoir la plus grosse opération possible puisque l'industrie immobilière et la FPI nous expliquent que cela permettra de diminuer les coûts de construction par des économies d'échelle. Mais quand on regarde la période 2008-2020, les coûts de construction comme les prix de vente n'ont cessé de monter tous les ans alors qu'ils ont toujours produit plus que les besoins. Ils nous décrivent donc quelque chose qui n'est pas la réalité.

Bernard-Louis Blanc

Bernard-Louis Blanc dans son bureau de l'hôtel de ville de Bordeaux (crédits : Agence APPA).

A la place de ces macro-lots, on entend que vous souhaitez désormais plafonner à 40 logements la taille maximale d'une opération immobilière à Bordeaux. Pourquoi ?

Oui, l'idée est de fixer une taille moyenne plus qu'un plafond strict. A Bastide-Niel, on avait un énorme macro-lot de plus de 300 logements avec 320 places de parking et uniquement des réponses de majors du bâtiment. En accord avec l'architecte Winy Maas, on a stoppé la mise en concurrence pour fragmenter le macro-lot en cinq lots différents qui offrent d'autres possibilités de mise en concurrence et de travail. Mais ce plafond de 40 logements représente une moyenne entre les grandes opérations d'aménagement, où il n'y aura plus rien à construire dans cinq ans, et ce qui restera à faire dans le diffus, où on sera mécaniquement sur des opérations de cinq, dix ou quinze logements voire 40 dans certains cas. Et quand on discute avec les promoteurs, y compris les plus gros, la jauge de 40 logements leur convient bien en termes d'équilibre économique.

Quel est le message que vous adressez à ces gros promoteurs ?

Ils sont déjà à Bordeaux et nous ne souhaitons pas les chasser ! L'idée est seulement d'éviter que les majors s'arrogent 90 % du marché local de la construction neuve, c'est tout. Ce ne sont pas des pestiférés à mes yeux mais il faut interroger la capacité d'un artisan ou d'un petit aménageur, même bien outillé, à négocier avec des entreprises de cette taille ! Même les bailleurs sociaux ont perdu leurs métiers de maître d'ouvrage et délaissent la construction en directe. Donc il faut rétablir un rapport de force ! Et ce que je veux dire clairement aux promoteurs immobiliers c'est que leur modèle économique il est terminé au regard de l'urgence climatique. S'ils ne modifient pas leur modèle ils porteront le bonnet d'âne aux yeux des nouvelles générations. Quand les milliers de logements produits ne tiendront pas le choc climatique, c'est la population qui va réagir d'elle-même contre les promoteurs et les élus qui les auront laissé faire. La transition climatique est derrière nous et elle est ratée, maintenant il faut tâcher de sauver ce qui peut encore l'être !

Lire aussi : Immobilier : à Bordeaux Métropole, les promoteurs craignent une année blanche

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Cet article fait partie de notre dossier de novembre consacré au marché immobilier dans la région bordelaise :

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Commentaires 6
à écrit le 03/11/2020 à 11:49
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Et surtout construire plus haut des logements passifs ou très basse consommation sur de l'ancien terrain urbain et ne pas encore envahir des surfaces agricoles qui fondent comme la neige au soleil en France. Les promoteurs immos vont rendre la France...

le 03/11/2020 à 12:09
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En même temps, les terrains agricoles sur le territoire de la métropole ne doivent pas être légion. Si la croissance démographique continue en Gironde et sur la métropole, il y a un besoin considérable de nouveaux logements. Cette politique risque f...

le 03/11/2020 à 17:05
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La surface occupée pour produire des plantes servant, grâce à leur huile, à rouler, c'est pas 5% ? Je ne sais pas si les huiles usagées ne suffiraient pas en volume mais on va se plaindre ensuite de réduction des surfaces vs les habitats, et on plant...

à écrit le 03/11/2020 à 9:34
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Il est évident que de laisser faire le fléau de la spéculation immobilière serait tuer cette si belle ville, ces gens n'ayant absolument aucune notion d'intérêt public, ils pillent et détruisent pour seulement entasser leurs milliards dans leurs para...

le 03/11/2020 à 18:45
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Ok. Mais si la population augmente, que ce soit naturellement ou parce que l'on accroit l'immigration, il va bien falloir loger ce nouveau monde. Pour cela, il n'y a pas 36 solutions : soit on construit des logements dans la métropole de Bordeaux (co...

le 04/11/2020 à 9:55
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Soit on réparti cette population sur l'ensemble du département également voir de la région avec des politiques locales durables, intelligentes et respectueuses de l’environnement. La pensée binaire devrait être depuis bien longtemps au cimetière ...

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