Stéphan de Faÿ : "Euratlantique a déjà compensé dix ans d'artificialisation des sols à Bordeaux"

INTERVIEW. Densité, espaces verts, mixité fonctionnelle, offre commerciale, construction bois : à l'occasion des dix ans de l'opération Bordeaux Euratlantique et à quelques jours de son départ pour Grand Paris Aménagement, Stéphan de Faÿ, le directeur général de l'EPA, fait le bilan. Dans un entretien à La Tribune, il revient sur le travail déjà réalisé, esquisse les prochains défis à relever et défend la pertinence du projet de Rue Bordelaise.
Stéphan de Faÿ, directeur général de l'EPA Bordeaux Euratlantique depuis 2014, prendra la direction de Grand Paris Aménagement fin novembre.
Stéphan de Faÿ, directeur général de l'EPA Bordeaux Euratlantique depuis 2014, prendra la direction de Grand Paris Aménagement fin novembre. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Vous prendrez dans quelques jours la direction générale de Grand Paris Aménagement après six ans passés à piloter l'EPA Bordeaux Euratlantique. Vous partez à la mi-temps d'une opération d'aménagement lancée en 2010 pour aboutir en 2030. Qu'est-ce qui vous semble le plus réussi ?

STÉPHAN DE FAŸ - Ce sont principalement des éléments qu'on ne voit pas encore et c'est d'ailleurs toute la difficulté du métier d'aménageur et de sa compréhension par le citoyen. Entre le moment où l'on prend une décision d'aménagement et le moment où elle se matérialise sur le terrain, il se passe entre cinq et six ans donc ce qu'on a pu semer avec l'équipe depuis 2014 est encore en plein chantier et aboutira d'ici deux ou trois ans. Mais je retiens globalement trois orientations que j'estime réussies : la construction bois ; l'articulation entre de l'intensité urbaine et des espaces verts ; et la mixité des fonctions urbaines pour recréer un tissu de centre-ville.

Commençons par la construction bois. Depuis l'an dernier, l'idée est d'en faire un marqueur de Bordeaux Euratlantique. Pourquoi ?

C'est une volonté qui vient de mon équipe et particulièrement de Nadège Daudrix, qui était chargée de mission développement durable à l'époque. A titre personnel, je n'y étais pas particulièrement sensible mais l'équipe a eu raison et on a débuté dès 2015 avec l'immeuble Perspective réalisé par Pichet, quai de Brienne. Depuis l'an dernier, on a pris un virage stratégique puisque désormais 100 % des projets lancés sont en construction bois majoritaire. Résultat : nous sommes passés de quasiment rien à 27 % du total des permis de construire sur le périmètre d'Euratlantique. D'ici deux ans, on arrivera à 95 % voire 100 %. C'est une fierté collective parce que cela s'accompagne d'un développement industriel de la filière bois régionale tout en réduisant l'empreinte carbone de la construction d'un bâtiment de -45 % à -75 % par rapport au même bâtiment en béton. Sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment la construction bois est environ un tiers moins émettrice de CO2. Je note que nous sommes tout à fait alignés avec la nouvelle majorité écologiste de la mairie de Bordeaux sur ce sujet du bois.

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Qu'entendez-vous par réussite en termes d'intensité urbaine et d'espaces verts ?

Je parle de la densité du quartier qui permet d'accueillir un grand nombre d'habitants tout en préservant une large place pour les espaces publics et les espaces verts. Chacun s'est rendu compte pendant le confinement à quel point la ville de Bordeaux est minérale. Premièrement, nous avons fait en sorte qu'Euratlantique porte réellement cet aspect d'agrément liée à la présence d'arbres et d'espaces verts et leur rôle en matière de régulation des températures et d'absorption des eaux de pluie. Deuxièmement, on a beaucoup travaillé sur la désartificialisation des sols. L'objectif est de stopper à notre échelle ce mouvement d'artificialisation massive des sols en France et en Gironde, de surcroît si c'est pour construire des formes urbaines peu dense. Mais il ne faut pas pour autant arrêter de construire, ce serait une erreur monumentale qui pénaliserait d'abord les plus modestes ! A Euratlantique, on construit des quartiers deux fois plus denses que le tissu classique des échoppes bordelaises qui est très insuffisant pour répondre aux besoins. En contrepartie, il y a beaucoup plus de mise en commun des espaces publics et des espaces verts et beaucoup moins de jardins privés.

On a donc fait le choix d'assumer une certaine hauteur même si les tours comme Hyperion ne vont pas se multiplier. Mais, par exemple, mathématiquement, si on supprimait trois étages dans les constructions d'Euratlantique, pour récupérer la surface perdue il faudrait tout simplement supprimer le futur jardin de l'Ars, qui s'étendra sur 10 hectares rive gauche.

Hypérion Bordeaux Euratlantique

La tour Hypérion construite par Eiffage avec une structure mêlant béton et bois culmine à 55 mètres de haut (crédits : Agence APPA).

Paradoxalement, les espaces verts sont pour l'instant encore plutôt rares à Bordeaux Euratlantique. A quelle date le jardin de l'Ars sera-t-il livré ?

Sur les espaces verts, il y a effectivement un enjeu de la temporalité de la production. Rive droite, nous avons débuté Euratlantique par la création du parc aux Angéliques pour changer l'image du quartier et le jardin Suzanne Lenglen suivra dès le printemps prochain. Rive gauche, sur le jardin de l'Ars, on a procédé différemment, c'est vrai. Il y a eu du retard. C'est parce qu'on a cassé le marché et relancé la procédure parce que nous n'étions pas satisfait de la proposition initiale qui était trop étriquée. On a finalement réussi à doubler cet espace vert sans pour autant réduire les surfaces construites sur le périmètre. C'est un gros travail qui s'accompagne de toute une stratégie de suppression des canalisations pluviales enterrées avec les services de Bordeaux Métropole. Le jardin arrivera fin 2021 ou début 2022. Et, au total, entre 2014 et aujourd'hui, je pense qu'on a augmenté d'environ 30 % la surface des espaces verts et des sols naturels à Euratlantique.

Et on aurait pu se contenter d'un choix très facile de zéro artificialisation vu la situation de départ avec très peu de sols naturels. Mais on a décidé d'être beaucoup plus ambitieux. On est en train de calculer précisément l'impact d'Euratlantique dans la désartificialisation des sols mais on sait déjà que l'ordre de grandeur est le suivant : sur la seule commune de Bordeaux, la surface que nous avons rendu à la pleine terre et à la nature compense déjà dix années d'artificialisation des sols. C'est quand même assez impressionnant !

Vous parliez de mixité fonctionnelle. Euratlantique s'est bâtie sur une image de quartier d'affaires et de bureaux. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Au lancement de Bordeaux Euratlantique, le périmètre concerné était perçu par les Bordelais et les services de la ville comme un quartier situé en dehors de la ville centre. Or, ce qu'on construit aujourd'hui c'est bel et bien un quartier de centre-ville et il ne faut surtout pas que l'on retombe dans cette plaie de l'urbanisme français qu'est le zoning. Il faut que nous arrivions à bâtir une mixité fonctionnelle. Ça veut dire une offre complète de logements - des logements étudiants, de l'habitat social et des appartements familiaux - et des bureaux, des locaux d'activité pour des artisans et des commerces. Sur le plan du commerce, la Halle Boca a été un électrochoc quand on s'est rendu compte qu'on y trouve essentiellement des restos de chaînes et de franchises. Ce n'est pas ce que nous souhaitons !

Stéphan de Faÿ

Stéphan de Faÿ, à la Cité numérique de Bègles (crédits : Agence APPA).

C'est d'ailleurs une critique qui revient régulièrement chez les habitants et salariés du quartier qui y trouvent surtout de la restauration rapide qui existe déjà partout ailleurs... Comment y remédier concrètement ?

Oui, c'est une réalité. On n'a pas su pivoter sur cette question suffisamment tôt, notamment sur la Halle Boca et le projet Quai 8.2. Soyons clair : le mal originel c'est qu'on n'a pas encadré les loyers commerciaux et qu'on ne s'est pas assez posé la question de à qui on s'adresse : à des investisseurs de toute la France ou aux futurs habitants du quartier ? Les chaînes de restauration sont là tout simplement parce qu'elles peuvent se permettre de payer un loyer à 270 €/m2 et d'apporter toutes les garanties demandées par le bailleur, ce qui n'est pas le cas des indépendants. Il faut donc agir sur le loyer moyen maximum et on y travaille sur le quartier Amédée Saint-Germain avec l'investisseur pour aboutir à une vraie diversité commerciale et artisanale. Cela passera donc par un engagement à accompagner pendant les trois premières années le locataire à hauteur de 50 % par rapport au loyer habituel : soit par un loyer réduit, soit par des travaux pris en charge, etc. On espère permettre à des artisans indépendants de pourvoir s'installer à Amédée Saint Germain, place d'Armagnac et dans le futur quartier Belvédère, rive droite, pour participer pleinement à la vie et à l'identité du quartier.

Quels sont vos regrets, s'il y en a, au moment de quitter Bordeaux Euratlantique ?

Mon regret le plus clair est d'avoir hésité, lors de mon arrivée, à renoncer au bâtiment conçu par Adim et Vinci, quai de Paludate qui, aujourd'hui, fait face à la Méca (Maison de l'économie créative et de la culture en Nouvelle-Aquitaine). On en avait beaucoup discuté à l'époque mais je ne voulais pas casser un projet dès mon arrivée dans un contexte où l'avancement des Bassins à flot était mis en avant par rapport à celui d'Euratlantique. Avec le recul, je suis certain que j'aurais dû écouter mon directeur de projet de l'époque parce que ce bâtiment est une erreur. Pas sur le plan architectural mais sur le plan urbain : à la place de ce projet massif il fallait une place publique pour mettre en valeur ce magnifique bâtiment qu'est la Méca. C'est donc un vrai regret, mais au-delà de ce cas précis, je n'en ai pas tant que ça des regrets. Tout n'est pas parfait évidemment mais j'y crois vraiment. Et si la déontologie ne nous interdisait pas d'acheter des biens dans le quartier, je l'aurais fait sans hésiter.

Quelles sont les prochains gros chantiers d'Euratlantique ?

Aujourd'hui, 90 % de la partie bordelaise d'Euratlantique est terminée - contractualisée ou mise en chantier - même si tout n'est pas encore livré ! Donc, dans les années qui viennent, Euratlantique ce sera essentiellement Floirac et Bègles. Sur Floirac, le projet Garonne-Eiffel est plutôt avancé mais à Bègles il y aura beaucoup de travail sur le projet complexe de requalification des berges au moins jusqu'à la rocade. Et de ce point de vue, je suis intimement convaincu de partir au bon moment parce que cela permettra à celui ou celle qui me succèdera d'avoir une réelle marge de manœuvre sur la suite des opérations. Et si je peux me permettre de lui donner un conseil, ce serait de faire confiance à l'équipe en place qui est très investie et compétente. Ensuite, il faudra avoir une vision d'aménageur et d'urbaniste pour ne pas se contenter de produire de la ville mais d'être aussi le fer de lance d'une transformation de notre manière de concevoir et de fabriquer la ville dans le contexte d'urgence climatique où nous sommes.

Lire aussi : "L'économie verte peut être le défi de demain pour Bordeaux Euratlantique"

Cela nous amène à vos relations avec la nouvelle majorité écologiste à la mairie de Bordeaux qui fait part ouvertement de ses réserves voire de son hostilité à Euratlantique. Votre départ est-il lié à leur arrivée ?

Non, absolument pas, parce qu'au-delà du nombre d'arbres plantés ou pas, j'ai le sentiment d'un alignement profond autour de valeurs partagées sur la ville d'aujourd'hui. Mes échanges avec Pierre Hurmic et Bernard-Louis Blanc ont été plus que cordiaux et très constructifs. Ils sont encore dans une phase de découverte et de compréhension de ce vaste projet. Il y aura des ajustements, ce n'est pas grave et c'est même normal. Mais sur le constat, je rejoins les élus : il faut être meilleur dans la livraison des espaces publics en même temps que les logements et bureaux. Sur la quantité des espaces verts, oui, on peut toujours faire plus et c'est ce qu'on essaye de faire !

Mais c'est vrai qu'en lisant les premières déclarations dans la presse, on s'est posé beaucoup de questions. Il y a aussi eu un sentiment d'injustice parce que, paradoxalement, les projets d'Euratlantique sont en phase avec le programme défendu par la mairie ! Donc si j'avais été amené à rester à Bordeaux, je pense que j'aurai pu travailler sans difficultés et même avec plaisir avec le maire Pierre Hurmic pour qui j'ai un grand respect. J'espère d'ailleurs en tant que professionnel et habitant que son mandat sera un succès. En arrivant à Bordeaux, depuis 2014, j'ai pu constater combien les élus bordelais, quel que soit leur bord politique, ont conscience de l'intérêt général.

Bordeaux Euratlantique

La Halle Boca et la Méca vue depuis la rive droite (crédit : Agence APPA).

Il y a néanmoins un projet particulier qui symbolise vos divergences, c'est celui de la Rue Bordelaise. Bernard-Louis Blanc, l'adjoint au maire en charge de l'urbanisme, a assuré à La Tribune, il y a quelques jours, que ce projet ne se fera pas et qu'il vous l'avait dit. Est-ce que cette Rue Bordelaise et la patate chaude que vous laissez à votre successeur ?

Oui, tout à fait ! Mais une fois que ce projet leur aura été présenté en détails, je ne suis pas sûr que nos visions s'avèrent si différentes. Sur le fond, je reste convaincu qu'il s'agit d'un projet pertinent y compris en matière de désartificialisation des sols, de réduction de l'usage de la voiture et de complémentarité avec les petits commerces. Le projet prévoit notamment d'offrir des surfaces suffisantes pour accueillir en centre-ville des acteurs comme Ikea par exemple. Je suis intimement convaincu qu'ils viendront si le projet se fait. Cela étant dit, si la mairie de Bordeaux décide de ne pas réaliser ce projet ou de ne pas réaliser un projet ayant évolué, se posera alors inévitablement la question financière. Puisqu'aujourd'hui il y a une solidarité financière au sein d'Euratlantique et que le contrat avec Apsys a été signé en 2016 pour près de 500 millions d'euros !

Lire aussi : Bordeaux Euratlantique : la Rue bordelaise, "nouvel idéal urbain" ou "vision dépassée" ?

Parlons des entreprises implantées à Euratlantique. L'offre de bureaux proposée a-t-elle trouvé preneur ?

Oui, tout à fait, nous n'avons pas de bureaux vides et, après le confinement du printemps, j'ai été impressionné par le dynamisme des prises à bail en septembre avec quelques belles signatures dont celle d'Asobo Studio. La crise sanitaire n'a pas pour l'instant d'influence négative sur le marché des bureaux à Euratlantique. Il faut être très prudent vu l'évolution de la situation mais j'ai la conviction profonde qu'on est à la veille d'un remaniement assez lourd des cartes de la part des très grandes entreprises sur leurs fonctions de décisions. Beaucoup d'entre elles réfléchissent à réorganiser et déconcentrer leurs centres de décisions pour se prémunir d'une trop grande concentration dans telle ou telle région, tout particulièrement l'Ile-de-France. C'est une opportunité pour Bordeaux.

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Cet article fait partie de notre dossier de novembre consacré au marché immobilier dans la région bordelaise :

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