Bordeaux Euratlantique : que dit la Cour des comptes sur la gestion de l'EPA ?

Les magistrats de la Cour des comptes n'ont pas pour habitude de tresser des lauriers aux gestionnaires publics locaux ou nationaux. Mais dans le cas de l'EPA Bordeaux Euratlantique, créé en 2010, ils notent "une gestion globalement performante" bien que "non exempte de fragilités" dans son fonctionnement interne. Sept recommandations sont ainsi adressées à la direction.
La tour Hypérion est l'un des nombreux immeubles à pousser sur les 738 hectares de l'opération d'intérêt métropolitain Bordeaux Euratlantique.
La tour Hypérion est l'un des nombreux immeubles à pousser sur les 738 hectares de l'opération d'intérêt métropolitain Bordeaux Euratlantique. (Crédits : PC / La Tribune)

738 hectares et plus de 2.5 millions de m2 construits en vingt ans, dont près de la moitié de logements, pour environ un milliard d'euros. Ce sont les mensurations gigantesques de l'opération d'intérêt national (OIN) mené par l'établissement public d'aménagement (EPA) Bordeaux Euratlantique au sud de Bordeaux, à Bègles et Floirac. Il s'agit ni plus ni moins que du plus grand projet d'aménagement urbain hors Ile-de-France. Créé en 2010, cet outil d'aménagement piloté par l'Etat et les collectivités locales concernées est au milieu du gué puisque ses opérations doivent s'achever en 2030. Lancée pour accompagner l'arrivée de la grande vitesse à Bordeaux, l'OIN a d'ores et déjà profondément modifié le visage du sud de l'agglomération.

Une gestion "globalement performante"

C'est pour s'assurer de la bonne et sincère utilisation des deniers publics dans cette vaste opération que la Cour des comptes a scruté le fonctionnement de l'EPA de 2013 à 2019. L'établissement fonctionne avec une équipe de 53 personnes dirigée depuis six ans par Stéphan de Faÿ, ancien directeur général adjoint de l'EPA de la Défense Seine Arche. "Le management est largement concentré par le directeur général [...] Cette concentration des compétences lui donne un rôle central et incontournable pour appréhender l'activité de l'établissement dans sa globalité. Elle présente toutefois un risque de fragilité pour le fonctionnement de l'établissement en cas d'indisponibilité ou de départ de l'intéressé", considèrent les magistrats, soulignant que l'EPA est très bien inséré dans son environnement local : "Faisant preuve de professionnalisme, de réactivité et d'écoute, l'action d'Euratlantique est unanimement saluée par l'ensemble des acteurs locaux."

Périmètre Bordeaux Euratlantique

Les 738 hectares du périmètre de l'OIN Bordeaux Euratlantique. (crédits EPA, cliquez sur l'image pour l'agrandir).

Plus globalement, ce rapport délivre une série de bons points à l'établissement malgré quelques réserves. Le rapport de 80 pages conclut ainsi à une "gestion globalement performante, mais non exemple de fragilités", notamment sur certains process de fonctionnement interne. "L'EPA assure ses missions dans le respect global des règles qui lui sont applicables comme de ses objectifs budgétaires et financiers", écrivent les magistrats, qui notent également le choix de privilégier "l'efficacité opérationnelle de façon pragmatique, voire audacieuse, en acceptant une prise de risque dans le montage d'opérations, telles que la réalisation de la Cité numérique ou le projet de la Rue Bordelaise".

"La phase opérationnelle du projet d'aménagement, effective depuis 2015, débouche sur la mise en chantier et la livraison des premières réalisations, qui sont conformes aux prévisions initiales. Le pilotage volontariste de l'OIN porte des objectifs ambitieux, au plan quantitatif et qualitatif, associant l'ensemble des parties à leur réalisation. Ces objectifs ont cependant conduit l'établissement à faire primer la conduite opérationnelle du projet, en endossant parfois une part de risques, et au prix de quelques fragilités dans la gestion courante"

Lire aussi : Entre bureaux et futurs espaces verts, Bordeaux Euratlantique prend racine

20.000 logements et des prix maîtrisés

En matière de logement, l'EPA impose aux opérations réalisées dans son périmètre 35 % de logements locatifs sociaux, 15 à 20 % d'accession sociale ou maîtrisée et 45 à 50 % d'accession libre. A titre de comparaison, le taux de logement social n'est que de 19 % à Bordeaux, loin de l'objectif légal de 25 %, contre 28 % à Bègles et 48 % à Floirac. D'autant que, comme le souligne le rapport, le territoire bordelais d'Euratlantique incluait "déjà trois fois plus de logements sociaux que celui de Bordeaux hors projet, avec respectivement 32 % contre 11 %, en lien avec le passé industriel et ouvrier de ces secteurs."

Dans ce contexte, les magistrats estiment que l'EPA joue son rôle dans la maîtrise des prix de l'immobilier neuf alors que 20.000 nouveaux logements doivent y sortir de terre.

Bordeaux Euratlantique

"Ces courbes mettent en évidence l'action de l'établissement, avec une rupture de la convergence des prix à partir de 2016, et un creusement de l'écart entre secteurs depuis cette date, qui atteint près de 2000€/m2", constate la Cour des comptes.

Un fonctionnement jugé "propice à l'innovation"

Le volet économique de l'OIN prévoit la création de 30.000 emplois dont 40.000 m2 de bureaux, soit environ 20 % du parc métropolitain, 150.000 m2 de locaux d'activités et ateliers, 55.000 m2 de commerces et 50.000 m2 d'hébergements hôteliers. Dans ce domaine, le rapport de la Cour des comptes point la prise de risque de l'établissement sur deux projets emblématiques :

  • la Cité numérique, dont les espaces sont désormais occupés à 70 %, s'est achevée avec "le dégagement favorable d'un solde excédentaire qui est intervenu après un risque pris dans les modalités de commercialisation" ;
  • le projet de la rue Bordelaise, qui a été très discuté lors de la campagne électorale et qui n'a, a priori, pas le soutien du nouveau maire écologiste Pierre Hurmic, "comporte également une part de risques que l'EPA ne maîtrise pas" liés notamment à ce contexte politique et aux relations avec le promoteur privé Apsys qui porte le projet.

Lire aussi : Bordeaux Euratlantique : la Rue bordelaise, "nouvel idéal urbain" ou "vision dépassée" ?

Les auteurs du rapport saluent par ailleurs les démarches innovantes initiées ou soutenues par Bordeaux Euratlantique en faveur de l'essor de la construction bois et d'une filière régionale, avec comme projet pionnier la tour Hypérion bâtie par Eiffage ; des nouvelles mobilités avec des parkings modulables et une large place aux infrastructures de recharge électrique ; et des opérations de logements en bail réel solidaire permettant de dissocier la propriété du foncier et du bâti.

Lire aussi : Bordeaux Euratlantique : Eiffage prototype la construction bois avec la tour Hypérion

Des progrès à faire dans la gestion interne

Néanmoins tout n'est pas parfait dans le fonctionnement de l'établissement public en particulier dans certains process internes. Les magistrats de la Cour des comptes adressent ainsi sept recommandations à la direction de l'EPA pour mettre en œuvre des "améliorations souhaitables de la commande publique, de la chaine de dépenses, ou de la prévision budgétaire ainsi qu'une une stabilisation de la présentation et la sécurisation des outils comptables."

En effet, si "la gestion financière et de trésorerie parait maîtrisée, en cohérence avec le protocole partenarial entre collectivités publiques, et dans la perspective de l'achèvement des opérations à l'horizon 2030", l'EPA est invité à "améliorer le contrôle interne et le suivi de l'exécution des marchés publics" pour éviter de multiplier les avenants pour des sommes parfois considérables, jusqu'à 15 % du budget initial. De même, les taux d'exécution budgétaire de l'établissement  sont qualifiés de "médiocres, de 80 % en moyenne en dépenses et 85 % en recettes, avec une amplitude de variation importante" et peuvent être optimisés. Les recommandations visent également l'amélioration de la sécurité du système d'information, du plan de continuité de l'activité, des relations avec l'agence comptable et de la cartographie des risques.

Au total, "si l'ampleur et la complexité du projet l'ont conduit à faire primer le pilotage opérationnel, la poursuite de l'opération, désormais en phase de production intensive, doit s'accompagner d'améliorations dans la gestion interne. La bonne situation financière de l'établissement et du projet qu'il porte, repose toutefois sur des prévisions par nature entachées d'aléas", considèrent les magistrats qui recommandent à la direction "d'engager une approche prospective des flux financiers induits par les opérations conduites sur les budgets locaux".

L'EPA mettra en œuvre les sept recommandations

De son côté, interrogé par La Tribune, Stéphan de Faÿ partage pleinement les conclusions du rapport : "Les recommandations sont toutes légitimes et on va les mettre en œuvre très vite. On est à peu près d'accord sur tout et on a travailler pour améliorer nos relations comptables, la qualité de l'écriture de nos comptes et le plan de continuité, qui a néanmoins bien fonctionné en mars puisqu'on a réussi à tout basculer en télétravail en 24 heures."  Sur le fond, le directeur général reconnaît les progrès à mener sur la présentation et la prise en compte de manière plurianuelle des aléas du prix du foncier :

"On avait sous estimé à quel point notre propre action a déjà un impact sur les prix du foncier avec des prix qui ont quasi doublé en quatre ans à Saint-Jean Belcier. Les aménagements réalisés alimentent la hausse des prix ce qui légitime encore plus notre action, notamment via la préemption systématique, en lien avec celle de l'Etablissement public foncier pour acquérir très tôt les parcelles foncières et limiter l'inflation des prix immobiliers qui est très forte à Bordeaux."

Enfin, Stéphan de Faÿ entend engager un travail collégial avec les collectivités locales pour tenter de mesurer précisément ce que leur coûte ou au contraire leur rapporte l'action de l'EPA. "On estime que de 2015 à 2025 notre action permettra de générer 1,2 milliard d'euros de taxe et impôts locaux nationaux supplémentaires pour les communes, la Métropole, le Département, la Région et l'Etat. Mais il y a aussi des coûts d'investissement et de fonctionnement à mettre en face et l'enjeu sera d'évaluer tout cela précisément, même si je suis convaincu que l'EPA rapporte plus qu'il ne coûte", explique le directeur général.

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Stéphan de Faÿ, invité de La Tribune le vendredi 30 octobre 2020

A l'occasion des dix ans de la création de l'EPA Bordeaux Euratlantique, Stéphan de Faÿ, son directeur général depuis 2014, sera l'invité du Petit-déjeuner La Tribune, organisé en partenariat avec le Crédit agricole d'Aquitaine, le vendredi 30 octobre prochain à 8h30 à l'Intercontinental Bordeaux Grand Hôtel, place de la Comédie à Bordeaux.

Bureaux, logements, emplois et équipements publics : ce sera l'occasion de revenir sur les contours de cette opération d'aménagement hors norme, sur les très nombreux projets encore en cours et sur la mutation sans précédent de ces quartiers du sud de l'agglomération.

>> Entrée libre mais inscription obligatoire

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