« Les startups doivent aller chercher des clients et du chiffre d'affaires » (Mathilde Le Roy, French Tech Bordeaux)

INTERVIEW. Le changement de posture des investisseurs « remet l'église au milieu du village : une startup doit viser du chiffre d'affaires et de la rentabilité ! », prévient Mathilde Le Roy, la nouvelle présidente de la French Tech Bordeaux. Elle analyse la dynamique de l'écosystème local à l'occasion des dix ans de la French Tech et de la présentation du programme Impact NA20 qui met en avant 20 entreprises et startups à impact sociétal et environnemental.
Ancienne dirigeante de KazoArt, Mathilde Le Roy est désormais directrice marketing de la startup ReGeneration. Elle a été élue présidente de French Tech Bordeaux en août dernier.
Ancienne dirigeante de KazoArt, Mathilde Le Roy est désormais directrice marketing de la startup ReGeneration. Elle a été élue présidente de French Tech Bordeaux en août dernier. (Crédits : French Tech Bordeaux)

LA TRIBUNE - Vous avez été élue présidente de la French Tech Bordeaux au moment où la French Tech fête ses dix ans. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?

MATHILDE LE ROY - Le visage de la tech en France et à Bordeaux n'est plus du tout le même. Dix ans, c'est un peu l'âge de raison. Il y a beaucoup plus d'entreprises de toutes tailles et certaines scale-up ont atteint une taille critique sur leur marché. À la French Tech, notre mission évolue avec cette dynamique pour coller aux besoins exprimés par les entreprises. Aujourd'hui, il s'agit de les accompagner dans leur croissance, leur rayonnement, leur stratégie à l'international et leur accès à la commande publique et aux grands donneurs d'ordre via le programme "Je choisis la French Tech" [qui vise à doubler le recours aux startups par les acheteurs publics et privés, NDLR]. Ce dernier point est très important puisqu'après dix ans on est face à des problématiques d'entreprises plus matures : les startups doivent aller chercher des clients et du chiffre d'affaires !

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Un besoin particulièrement prégnant dans le contexte actuel de contraction du capital-risque avec des investisseurs bien plus sélectifs que par le passé. Ce qui donne des sueurs froides a plus d'une startup...

Oui, le paradigme a changé sur le plan du financement après des années qui ont été franchement excessives sur le plan des valorisations des entreprises. Il y a eu une forme de bulle, notamment en 2021 et 2022, avec notamment des projets en Saas [logiciel sur abonnement, NDLR] qui ont objectivement été survalorisés ! Aujourd'hui, on revient à une dynamique plus équilibrée et cela remet l'église au milieu du village : une startup doit viser du chiffre d'affaires et de la rentabilité ! Les critères des programmes Next 40 et French Tech 120 ont d'ailleurs évolué pour faire une place à ces notions, au-delà des montants des levées de fonds.

Mais attention, il y a des secteurs tels que la santé, la biotechnologie, l'intelligence artificielle, les green tech ou encore l'industrie qui doivent mécaniquement aller chercher des fonds pour développer leur produit. Innover nécessite des financements, c'est indispensable ! Que ce soit de l'innovation technologique ou d'usage, il faut du temps pour trouver son modèle. Mais il faut aussi désormais que la rentabilité arrive à un horizon plus proche ce qui n'est pas toujours évident notamment au regard de la forte hausse des coûts d'acquisition marketing en ligne.

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Malgré tout, beaucoup d'entrepreneurs qui cherchent à se refinancer éprouvent des difficultés. Vous êtes passée par là il y a quelques mois, quel message leur adressez-vous ?

Il faut garder la tête froide. Le taux de défaut des startups a toujours été élevé et c'est logique au regard de la prise de risque. Aujourd'hui, il faut nuancer l'effet ressenti lié à des entreprises connues, à Bordeaux et ailleurs, qu'on n'imaginait pas en difficulté mais, statistiquement, les défaillances ne sont pas forcément plus élevées surtout si on prend en compte l'effet de rattrapage lié à la crise sanitaire.

Mais, c'est clair qu'il y a un enjeu important pour les startups qui se trouvent à l'étape du refinancement, et il y en a beaucoup. Il faut s'adapter et anticiper au maximum et les entrepreneurs savent le faire. Il y a plusieurs réponses : on peut envisager un pivot du modèle économique et/ou une réduction des coûts pour accélérer la rentabilité mais on peut aussi se rapprocher d'une autre entreprise, une scale-up, une ETI ou un grand groupe. Il y aura probablement un mouvement de consolidation. L'enjeu est de préserver les actifs et l'emploi, notamment quand de l'argent public et privé a été investi.

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Mathilde Le Roy, de KazoArt à ReGeneration

Après avoir fondé en 2015 et dirigé la place de marché d'art en ligne KazoArt jusqu'à sa liquidation judiciaire en juin dernier, Mathilde Le Roy a été élue au board puis à la présidence de la French Tech Bordeaux cet été. Elle a depuis rejoint la startup ReGeneration au poste de directrice marketing. L'entreprise bordelaise créée en 2021 par Thomas Rabant et Felix Noblia entend mobiliser les quotas carbone volontaires des entreprises polluantes pour financer la transition des exploitations agricoles vers des pratiques régénératives et de captage de CO2.

Dans ce contexte, quels sont les sujets sur lesquels vous souhaitez appuyer au cours de votre mandat ?

Il y a d'abord la question de l'impact qui est un sujet auquel nous voulons donner encore plus de visibilité au regard des enjeux sociétaux et environnementaux. Cela passe notamment par la 3e promotion du programme Impact NA20 [lire encadré, NDLR] qui regroupe des entreprises avec des modèles et propositions très variés. Ensuite, nous avons parlé de notre rôle pour accompagner les startups vers la rentabilité. Enfin, nous voulons aussi travailler sur la fatigue des entrepreneurs et sur l'impact de leur activité sur leur santé qui est une problématique montante. Cette notion de « care », de prendre soin, passe par la prise de parole et par le fait de savoir s'entourer et s'économiser. Diriger une startup c'est un marathon, ce n'est pas un sprint !

Sur le plan de l'emploi, il semble que le marché du recrutement des développeurs web se soit un peu assagi ces derniers mois. Est-ce une tendance que vous observez ?

Oui, c'est un sujet qui remonte moins dans les discussions que nous avons avec les entrepreneurs parce que le besoin a un peu diminué avec la conjoncture qui pousse les startups à rationaliser leurs budgets. Les salaires offerts sont donc probablement moins mirobolants sauf pour les meilleurs profils. Mais, attention, le marché de l'emploi reste très fluide et je pense qu'un développeur trouve encore du travail très rapidement, mais peut-être pas dans les mêmes conditions qu'il y a quelques temps !

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20 lauréats pour Impact NA20

Après 2021 et 2022, la troisième promotion du programme Impact NA20 a été présentée ce jeudi 23 novembre lors du French Tech Day, l'évènement annuel de la French Tech Bordeaux. 20 entreprises sont sélectionnées : 3DiTex (matériaux composites), Aquassay (efficacité hydrique), AVEC (matériaux biosourcés), Bicycompost (biodéchets), Bio Tanah (biodéchets), Bloom Lasers (lasers industriels), Cyclink (vélo électriques reconditionnés), Dionymer (biodéchets), Elysia Bioscience (biosolutions), Emagina (santé), Fermes en vie (agriculture), Greenscope (RSE), Inside Therapeutics (biotechnologie), Insilibio (santé), Netcarbon (agriculture), Plaxtil (recyclage), Prof en poche (éducation), Purenat (matériaux biomimétiques), Waresito (logistique), W Platform / CO2 Winery (viticulture).

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Commentaires 3
à écrit le 25/11/2023 à 12:11
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Un bon ingénieur fait il un bon vendeur ? Non. Un bon vendeur fait il un bon secrétaire ? non. Donc il faut au moins trois emplois et avec la pression fiscale imposée aux petits du fait des honteux privilèges systématiquement octroyé qu'aux gros la t...

à écrit le 23/11/2023 à 20:23
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Je me suis toujours étonné de lire des sujets sur les start up et autres créations d'entreprises sans même voir écrit les mots "clients" et chiffre d'affaires " !! Enfin certains commencent à réaliser qu'il faut au moins des deux pour que vive prospè...

le 24/11/2023 à 11:14
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Et pour cause, la grande majorité des startup sont en fait rien de plus que des pyramides de Ponzi...

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