Levées de fonds : les gagnants et les perdants des nouvelles règles du capital-risque

DÉCRYPTAGE. Du logiciel sur abonnement à la greentech, des startups à impact aux marketplaces en passant par la biotechnologie : quels sont les gagnants et les perdants des nouvelles exigences des investisseurs alors que les conditions de financement se sont nettement durcies pour les startups ? La Tribune a sondé plusieurs investisseurs de Nouvelle-Aquitaine.
Positionnée sur le New Space, The Exploration Company a levé 40 millions d'euros. C'est la plus grosse levée de 2023 en Nouvelle-Aquitaine, à contre-courant de la conjoncture.
Positionnée sur le New Space, The Exploration Company a levé 40 millions d'euros. C'est la plus grosse levée de 2023 en Nouvelle-Aquitaine, à contre-courant de la conjoncture. (Crédits : The Exploration Company)

« Avec le resserrement du financement, la bonne idée ne suffit plus : il faut avoir la bonne idée mais il faut aussi qu'elle soit rentable et profitable à court terme ! » Bérenger Delmas, le nouveau patron du fonds régional Aquiti Gestion, résume l'état d'esprit général des investisseurs du capital-risque. Mais, dans le contexte actuel, toutes les bonnes idées, même rentables, ne se valent pas. Bien que les fonds se concentrent sur leurs portefeuilles d'entreprises et réduisent la voilure sur le financement de nouvelles startups, tous les projets ne sont en effet pas logés à la même enseigne. « Les startups de l'intelligence artificielle, les projets relevant de la deeptech [innovation de rupture], de la greentech [transition écologique] ou du New Space sont encore bien financés que ce soit pour du logiciel ou pour des projets nécessitant beaucoup de capitaux », avance Rodolphe Lilamand, d'In Extenso. « Notamment parce que ces projets peuvent de plus en plus solliciter des fonds d'investissements dédiés et trouver des subventions via les programmes de l'État ou de l'Europe. »

Lire aussiLevées de fonds : ça tangue fort pour les startups de Nouvelle-Aquitaine

Biotech et startups à impact

Les biotechs et les startups de la santé figurent aussi parmi les secteurs encore épargnés, à condition de viser un besoin marché tangible et pas trop lointain. Les cinq plus grosses levées signées dans la région en 2023 témoignent concrètement de cette tendance avec The Exploration Company (40 M€, New Space), Eklo Hotels (35 M€, hôtellerie), Dioxycle (15 M€, greentech), Axioma (15 M€, biotech) et Toopi Organics (11 M€, biotech).

Les autres « gagnants », sont les startups à impact. Un segment où il y a encore beaucoup de capitaux disponibles et une forte demande des fonds poussés par la réglementation et par les exigences croissantes de leurs souscripteurs. « Les startups qui adressent des enjeux sociétaux et qui apportent des solutions mesurables aux problématiques écologiques et énergétiques peuvent trouver des financements », confirme Bérenger Delmas. À condition, néanmoins, que la profitabilité soit au rendez-vous.

Lire aussi« Avec Impact Source, nous voulons que Bordeaux irrigue la finance à impact en Europe »

SÉRIE. Changement de paradigme pour les levées de fonds

Cet article est le troisième d'une série en trois volets sur les nouvelles conditions de financement de startups à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine publiée par La Tribune du 6 au 9 novembre :

À l'inverse, d'autres projets ont désormais beaucoup moins le vent en poupe. Les projets de marketplaces, de plateformes de mise en relations, d'applications mobiles, de sites e-commerce et de solutions fintech, qui se sont multipliés, risquent d'avoir de mauvaises surprises au moment clef du refinancement. « Ce sont des projets où l'atteinte d'une taille critique est indispensable pour espérer dégager une rentabilité à terme. Or, dans la plupart des cas, cette course à la taille critique coûte très cher », explique Rodolphe Lilamand. « Aujourd'hui, si vous cherchez à lever des fonds pour financer des dépenses de marketing numérique, ce n'est même pas la peine d'essayer... », témoigne un entrepreneur bordelais en cours de levée. De quoi effrayer les fonds d'investissement.

Le Saas perd de son pouvoir de séduction

Il en va de même pour le modèle du Saas (logiciel sur abonnement). Présenté comme la martingale depuis plusieurs années grâce à sa capacité à générer des revenus récurrents, aujourd'hui c'est la douche froide. Le Saas est en effet pris en étau entre, d'une part, une clientèle BtoB qui tend à rationaliser ses dépenses avec l'inflation et, d'autre part, la hausse des taux et des coûts d'acquisition qui continuent à être très élevés. « Le Saas souffre parce qu'on se rend compte qu'il faut des millions d'euros pour acquérir les clients dans un contexte souvent très concurrentiel. Mais tout n'est pas à jeter, c'est encore un modèle qui peut offrir à la fois des marges importantes et des revenus récurrents... à condition d'être très différenciant », arbitre Rodolphe Lilamand.

Une condition que ne remplissait pas la plateforme Lumm d'accompagnement en bien-être des entreprises qui a mis la clef sous la porte cet été. « On fonctionnait en Saas avec 200.000 euros de revenus annuels mais nous étions sur un créneau très concurrentiel avec trop peu de différenciation », récapitule Julien Alart. Comme d'autres, le cofondateur de cette entreprise de huit salariés a été confronté à la réduction drastique des valorisations sur ce segment du logiciel sur abonnement : « En Saas, les valorisations des startups étaient montées en 2021 jusqu'à 16 fois le montant des revenus récurrents annuels ! Or, aujourd'hui, on est revenu autour de sept, voire entre quatre et sept », avertit Alexandre Laing, le CEO de la plateforme de financement participatif Tudigo.

Et pour trier les dossiers, les fonds sont désormais très attentifs aux ratios d'acquisition et de rétention des clients. « L'autre indicateur de plus en plus suivi pour évaluer les projets en Saas est la règle des 40 % : pour être considérés comme finançables, les entreprises doivent afficher un taux de croissance et un taux de marge qui, cumulés, dépassent les 40 % », poursuit Rodolphe Lilamand. Ces ratios sont comparés et seuls les meilleurs dossiers sont financés.

Quid du hardware ?

Enfin, il reste la question des startups positionnées sur le hardware qui souhaitent fabriquer ou faire fabriquer leur produit. Un élément qui, malgré les discours politiques sur la réindustrialisation, joue rarement en leur faveur, encore moins si elles visent une clientèle grand public. « On m'a reprochée d'être sur du hardware, du BtoC [vente au grand public, NDLR] et du e-commerce qui suppose un gros budget marketing. On m'a demandé de pivoter sur un modèle en Saas mais c'était infaisable dans les délais », raconte ainsi Ludivine Romary, dont l'entreprise MyEli a été liquidée en juillet dernier.

Pour ce type de projet, comme pour ceux de Sunday ou Marbotic, qui ont également été liquidées, se pose en effet la question de la concurrence sur les produits grands publics et, surtout, du passage à l'échelle quand il s'agit de hardware. Une trajectoire qui nécessite des financements jugés très, voire trop, importants par les investisseurs. « Attention cependant à ne pas généraliser, nuance Philippe Métayer, le directeur général de la French Tech Bordeaux. Il faut raisonner au cas par cas et envisager les solutions alternatives à la levée de fonds que sont l'adossement, la vente, le rapprochement et le financement participatif ». Mais, quel que soit le modèle, l'heure est bien à la différenciation et à la quête de rentabilité. Les critères du classement Next 40 et French Tech 120 vont d'ailleurs évoluer pour se fonder un peu moins sur l'hypercroissance et un peu plus sur la rentabilité et la pérennité des entreprises.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.