Levées de fonds : le ticket moyen plonge, les startups « face à un check de réalité »

INTERVIEW. « Beaucoup de startups sont face à un check de réalité », avertit Rodolphe Lilamand, en charge du suivi des levées de fonds au sein du cabinet In Extenso Innovation Croissance. Il analyse pour La Tribune la conjoncture du capital-risque en Nouvelle-Aquitaine depuis le début 2023.
Le ticket moyen des levées de fonds en Nouvelle-Aquitaine a fondu de -66 % en Nouvelle-Aquitaine en 2023 contre -48 % au plan national, selon le baromètre In Extenso, Essec, France Angels.
Le ticket moyen des levées de fonds en Nouvelle-Aquitaine a fondu de -66 % en Nouvelle-Aquitaine en 2023 contre -48 % au plan national, selon le baromètre In Extenso, Essec, France Angels. (Crédits : Baromètre In Extenso / Essec / France Angels)

LA TRIBUNE - Quelle est la tendance des levées de fonds sur les neuf premiers mois de 2023 ?

Rodolphe LILAMAND - Au niveau national, on observe un vrai ralentissement des méga-levées de fonds et beaucoup moins d'activité sur les opérations de late-stage [les levées de fonds en série B, C ou D]. Des fonds avaient massivement investi sur ce segment en 2020 et 2021 et font face aujourd'hui à des moins values ce qui les incite à prendre un peu de distance avec le capital-risque. Et ce trou d'air sur le financement du late stage va se propager sur les tours plus en amont. Les attentes des investisseurs ont évolué et on voit que l'atteinte de l'équilibre économique et l'évolution de l'Ebitda [bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement] sont des indicateurs devenus centraux dans leurs analyses des dossiers. Concrètement, cela se traduit par beaucoup plus de sélectivité parmi les startups dans les tours de table d'accélération : on n'est plus dans la course à la croissance, aux parts de marché et à l'acquisition de clients qui a marqué les dernières années. Les startups sont face à un check de réalité qui est nécessaire pour s'assurer que les entreprises qui sont financées sont en mesure de bâtir un modèle économique solide et rentable à moyen voire court terme.

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Le ticket moyen plonge en Nouvelle-Aquitaine

En France, le ticket moyen des levées de fonds a baissé de moitié (-48%) entre les neuf premiers mois de 2023 par rapport à la même période en 2022, passant de 18,2 à 9,5 millions d'euros, selon le dernier baromètre In Extenso, Essec, France Angels. La pente est encore plus glissante en Nouvelle-Aquitaine, avec un montant moyen qui a fondu des deux tiers (-66 %) passant de 13,1 à 4,5 millions d'euros ! Dans le détail, le nombre d'opérations progresse de +78 % (152 levées signées) tandis que le total des fonds levés plonge de -36 % à 233 millions d'euros. Ce qui positionne la Nouvelle-Aquitaine au 4e rang français avec 3 % du total. Les cinq plus grosses augmentations de capital depuis le 1er janvier dans la région sont à mettre au crédit de The Exploration Company (40 M€, New Space), Eklo Hotels (35 M€, hôtellerie), Dioxycle (15 M€, greentech), Axioma (15 M€, biotech) et Toopi Organics (11 M€, biotech).

La conséquence de cette nouvelle donne c'est la question centrale de la trésorerie disponible...

La gestion de la trésorerie a toujours été le nerf de la guerre pour les startups mais quand, auparavant, les investisseurs attendaient de la startup qu'elle dispose de 12 à 18 mois de visibilité sur sa trésorerie, aujourd'hui la demande est plutôt autour de 24 voire 36 mois pour des montants équivalents. L'idée est de rassurer les investisseurs puisque l'entreprise ne sera pas certaine de pouvoir lever à nouveau dans un contexte qui devrait rester dans des conditions dégradées pendant un temps encore incertain. À l'inverse, si vous n'avez que six mois de trésorerie, soit vous êtes en train de boucler un tour de financement, soit il faut vous poser des questions très rapidement. C'est-à-dire réfléchir à des procédures préventives tels que mandat ad hoc ou conciliation avant d'aller sur les procédures collectives [redressement judiciaire ou liquidation, NDLR]. L'expert comptable peut être un bon interlocuteur pour se préparer à prendre des décisions difficiles et, surtout, il ne faut pas attendre d'être en cessation de paiement pour réagir ! Mais il faut raisonner en parallèle : on peut prévoir un plan B tout en continuant à sonder le marché pour lever des fonds conformément au plan A.

In extenso

Cliquez sur l'image pour l'agrandir. 233 millions d'euros ont été levés en Nouvelle-Aquitaine sur les neuf premiers mois de 2023, un montant en baisse de 38 % sur un an. (crédits : In Extenso Innovation Croissance)

Dans ce contexte, quels les secteurs qui souffrent le plus et ceux qui continuent à se développer ?

Il faut distinguer les projets qui relèvent de la deeptech ou de la santé qui n'ont pas atteint la rentabilité pour des raisons structurelles d'étapes normatives ou de développement industriel. En revanche pour des projets en Saas (logiciel sur abonnement), de marketplaces ou de sites e-commerce, la question de l'efficience du modèle économique se pose de manière croissante : les budgets marketing et d'acquisition clients sont massifs alors même qu'on voit qu'avec l'inflation les entreprises pourraient être amenées à rationaliser leurs dépenses et leurs outils Saas notamment. Tous ces projets vont être analysés et comparés et seuls les plus performants seront financés. Cela traduit aussi un retour à la normalité.

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Comment voyez-vous évoluer le contexte du capital-risque dans les mois qui viennent ?

On a évidemment pas de boule de cristal mais ce qu'on voit au regard des crises précédentes c'est que la contraction d'activité du capital-risque dure entre 18 à 24 mois. En considérant que la crise actuelle a débuté mi-2022, on serait alors à la moitié ou aux deux tiers, ce qui nous permet d'espérer une amélioration de la conjoncture dans le courant du premier semestre 2024, le temps que les valorisations finissent de se réajuster. Ensuite, les capitaux en réserve pourront être réinvestis. Le tout en partant du principe qu'il n'y aura pas d'autres chocs exogènes venant perturber l'équation ! Dans tous les cas, il n'y aura pas non plus d'explosion des investissements, le financement du late stage reprendra avec moins d'exubérance qu'au cours des années précédentes.

SÉRIE. Changement de paradigme pour les levées de fonds

Cet article est le deuxième d'une série en trois volets sur les nouvelles conditions de financement de startups à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine publiée par La Tribune du 6 au 9 novembre :

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