« Le changement de conjoncture du capital-risque est très brutal ! » (Aquiti Gestion)

INTERVIEW. Passage de témoin, lancement d'un nouveau véhicule financier et investissements en forte hausse : la rentrée est chargée pour le fonds régional Aquiti Gestion à rebours d'un contexte global de forte crispation des financements de capital-risque. La Tribune fait le point avec François Cavalié, président sur le départ, et Jean-François Cochy, nouvel arrivant chargé de l'activité capital-risque, qui revendiquent une stratégie de « capital patient ».
Jean-François Cochy est en charge du capital-risque chez Aquiti Gestion
Jean-François Cochy est en charge du capital-risque chez Aquiti Gestion (Crédits : Aquiti Gestion)

LA TRIBUNE - Quelle lecture faites-vous de la conjoncture actuelle en matière de capital-risque et de financement des startups ?

FRANÇOIS CAVALIÉ - On observe en France une baisse de l'activité de l'ordre de 50 % depuis le début de l'année. Le changement de conjoncture est donc très brutal et c'est sensiblement la même tendance aux États-Unis. Il y a des baisses sensibles des valorisations avec des situations complexes quand les fondateurs cherchent à s'appuyer sur les anciennes valorisations de leur entreprise tandis que les fonds leur expliquent qu'il n'en est plus question, que ces valorisations très hautes ne sont plus d'actualité. Il faut donc un peu de temps pour réajuster l'équation même s'il y a des exceptions à cette tendance à l'instar du secteur de l'intelligence artificielle qui garde le vent en poupe.

JEAN-FRANÇOIS COCHY - Ce changement de conjoncture est particulièrement marqué sur les stades de financement tardif quand il s'agit de mener des levées de fonds en série B, C ou D. Cette activité de late stage s'est pratiquement arrêtée et quand une opération se fait c'est, sauf exception, sur des valorisations revues à la baisse. Et là on parle de gros tours de financements qui pèsent donc lourd dans la balance globale. En revanche, pour le financement de l'amorçage des startups la situation s'est beaucoup moins contractée ! Dans une opération d'amorçage, la sortie est envisagée à dix ans ce qui laisse le temps à la situation économique d'évoluer alors que pour une série B ou C, l'horizon est à deux ou trois ans et le montage est donc très lié à la conjoncture actuelle.

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À quel point les valorisations sont-elles revues à la baisse, y compris pour un premier tour de table ?

JEAN-FRANÇOIS COCHY - Il y a des baisses importantes, de l'ordre de -30 %, qui nous ramène aux niveaux de valorisation de 2018-2019. Cela rompt avec le gonflement que l'on a connu depuis 2020 lié à l'abondance de liquidités et à la montée des valeurs tech pendant et en sortie de la pandémie. Les projets qui souffrent le plus sont ceux qui n'arrivent pas à démontrer leur viabilité économique intrinsèque ni leur rentabilité à court ou moyen terme. On pense aux biens de consommation en ligne, aux marketplaces, etc... où l'équilibre est difficile à démontrer en raison de niveaux de marge très faibles et de dépenses marketing très élevées. Ce sont des projets qui ont été très fortement sanctionnés à la fois en bourse et sur le capital-risque.

À l'inverse, des secteurs émergent tels que les clean tech qui s'inscrivent dans la transition énergétique et la décarbonation de l'économie à l'instar de Dioxycle et Materrup. Elles sont mieux financées qu'il y a deux ou trois ans. Elles ont des besoins de financement plus importants mais leurs propositions apportent davantage à la société qu'une énième marketplace.

Venons-en à la conjoncture régionale. La tendance est-elle la même qu'au niveau national ?

FRANÇOIS CAVALIÉ - Par rapport à l'ambiance générale de réduction des investissements, la Nouvelle-Aquitaine se porte plutôt bien. En ce qui concerne Aquiti, nous avons été particulièrement actifs, plus que l'an dernier, avec 26 millions d'euros investis dans 18 entreprises [soit une hausse de 80% par rapport au premier semestre 2022, NDLR]  ! Nous avons mobilisé Naci, le fonds dédié au développement et à la transmission d'entreprises, avec par exemple un investissement dans Little Worker, Activ'Inside ou encore Eklo. Nous sommes le reflet d'une économie régionale très diversifiée. Nous avons aussi mobilisé le fonds RNA (Relance Nouvelle-Aquitaine) pour soutenir Générations Robots.

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C'est un objectif de s'inscrire dans un rythme contra-cyclique ?

FRANÇOIS CAVALIÉ - Pour être honnête, il y a une partie des projets qui ont traîné et auraient pu être bouclés l'an dernier ! Mais oui, nous avons une approche de proximité et d'investissement à long terme. Ce qui fait qu'une note de conjoncture alarmiste nous effraiera probablement moins qu'un autre fonds ! Quand une entreprise prometteuse a besoin de financement, nous n'avons pas de raison d'attendre même si bien sûr nous avons des propositions raisonnables qui sont dans le marché. Nous avons une approche de capital patient avec une présence moyenne d'environ sept ans au capital des entreprises. Ce qui permet des les accompagner sur un long chapitre, d'autant que l'on crée des liens forts avec les entrepreneurs qui dépassent la seule stratégie financière en insistant, notamment sur les critères ESG (environnement, social, gouvernance).

Ces critères sont ils enfin devenus déterminants plus que cosmétiques ?

FRANÇOIS CAVALIÉ - C'est un élément fort de notre accompagnement pour convaincre les entrepreneurs que les critères ESG sont déterminants pour leur valorisation mais aussi pour leur conquête commerciale. Demain, les fournisseurs seront choisis sur leurs critères ESG et les entreprises qui ont réellement pris ce virage seront beaucoup mieux valorisées que les autres. C'est fondamental pour notre vision long terme à la fois pour les nouvelles opérations et pour nos 215 entreprises en portefeuille dans la région. On demande systématiquement un bilan carbone et le critère du nombre de création d'emplois est lui-aussi déterminant.

JEAN-FRANÇOIS COCHY - Le partage de la valeur s'appuie pour moitié sur des critères financiers et extra-financiers. Cela permet un alignement des intérêts entre les entreprises et nous. On ne peut plus se contenter d'un impact neutre sur l'environnement !  Il y a donc un scoring mais aussi et surtout un reporting régulier pour mesurer l'évolution dans le temps. Et si les résultats ne sont pas satisfaisants, cela peut se traduire par un refus d'investir. À mon sens, l'époque où l'ESG n'était que cosmétique est révolue, le contrôle sur la réalité des engagements des entreprises est croissant de la part des fonds comme des souscripteurs et ceux qui veulent continuer à faire semblant vont se faire prendre. C'est un processus qui est en phase de maturation et qui s'impose de plus en plus. Les dirigeants sont, dans leur immense majorité, prêts à évoluer dans la bonne direction, il faut les accompagner et leurs donner les outils !

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Vous lancez un nouveau fonds Aquiti Ventures dédié à l'amorçage, pour quelle raison ?

FRANÇOIS CAVALIÉ - Parce que c'est la vocation et la valeur ajoutée d'un fonds comme Aquiti : être le premier partenaire financier d'un entrepreneur lorsque le projet n'a pas encore pris forme, qu'il n'y a pas encore de chiffre d'affaires. On accompagne cette phase et on aide le fondateur à élargir ensuite son capital, comme on a pu le faire avec Dioxycle en juillet dernier.

JEAN-FRANÇOIS COCHY - Aquiti Ventures vise des investissements de 100.000 à deux millions d'euros dans des phases de seed et de pré-seed. On regardera de près des sociétés de la deeptech [les innovations de rupture, NDLR], les projets à impact et les entreprises de la biotechnologie, des matériaux décarbonés ou encore de la cybersécurité. L'objectif est de réunir une première tranche de 30 millions d'euros d'ici la fin de l'année 2023 puis 60 millions d'euros à terme en mobilisant nos souscripteurs historiques et au-delà.

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Un départ et une arrivée chez Aquiti

François Cavalié, le président d'Aquiti Gestion depuis le printemps 2019, prendra sa retraite au mois de novembre. Il sera remplacé dans un premier temps par Béranger Delmas, le secrétaire général de ce fonds d'investissement présent au capital de 215 entreprises régionales.

Parallèlement, Jean-François Cochy est arrivé en juillet dernier pour piloter l'activité capital-risque et financement de l'hypercroissance. Il était auparavant chez Cathay Capital où il opérait sur le marché européen. Il succède à Camille Le Roux Larsabal qui a quitté Aquiti l'an dernier pour rejoindre Epopée Gestion à Bordeaux.

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