« Le meilleur argent pour une startup c'est celui des clients, pas des investisseurs »

INTERVIEW. « Les startups ne peuvent plus miser purement sur des levées de fonds successives pour se développer. La rentabilité est redevenue centrale », rappelle Alexandre Labarrière, le directeur marketing et communication de France Digitale. De passage à Bordeaux pour la 1ère étape de la tournée nationale dédiée au financement des startups, il revient sur les nouvelles attentes des investisseurs en termes de rentabilité, de trésorerie, d'impact et de recrutements.
Alexandre Labarrière, le directeur marketing et communication de l'association France Digitale, était de passage à Bordeaux le 1er février 2023.
Alexandre Labarrière, le directeur marketing et communication de l'association France Digitale, était de passage à Bordeaux le 1er février 2023. (Crédits : France Digitale)

LA TRIBUNE - Après deux années d'euphorie, le contexte est-il réellement plus compliqué pour les startups qui cherchent à lever des fonds ?

Alexandre LABARRIÈRE - Oui et non. Il y a encore de l'argent pour financer les startups, y compris les plus jeunes (early stage) ! La France est passée devant l'Allemagne en 2022 en termes de levées de fonds, donc il y a une vraie dynamique et je ne vois pas de remise en cause du fait qu'il faille financer l'innovation aujourd'hui. C'est devenu une évidence compte tenu de la maturité de l'écosystème français. Maintenant, c'est vrai que 2021 et 2022 resteront des années exceptionnelles et qu'on devrait revenir en 2023 à une forme de normalité avec davantage de temps pour examiner les dossiers et un retour à des valorisations plus raisonnables.

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Comment est-ce que cela se traduit concrètement ?

Par un retour à des principes économiques qui sont finalement assez basiques. Ce qu'on entend chez nos startups adhérentes c'est que le métier de directeur financier ou, à défaut, de directeur général, revient à des missions de gestion opérationnelle de l'entreprise alors qu'il a souvent été trop accaparé ces dernières années par la recherche de financements. Et c'est une bonne chose parce qu'à l'autre bout de la chaîne les fonds nous le disent : « Pour une startup, le meilleur argent c'est celui des clients pas des investisseurs ! ». Cela signifie que les startups ne peuvent plus miser purement sur des levées de fonds successives pour se développer, sauf exception comme des entreprises de la deeptech qui nécessitent mécaniquement de gros moyens financiers, à l'instar de Pasqal dans le quantique. Cette exigence de rentabilité n'est pas un nouveau sujet, c'est même une notion basique, mais elle est redevenue centrale aujourd'hui et tout le monde regarde cette question de près.

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Compte-tenu des grosses levées intervenues en 2020 et 2021, faut-il s'attendre à une fin 2023 et une année 2024 difficiles quand toutes ces startups arriveront à court de financement et chercheront à lever au même moment mais à des valorisations et conditions bien différentes ?

Il y a eu ces dernières années une série de très grosses levées et ces startups ont donc de quoi voir venir pour la plupart. Mais il faudra effectivement qu'elles regardent de près leurs niveaux de dépenses, leurs volumes de recrutement et leur modèle économique en prenant en compte cette nouvelle donne. Quand l'économie s'enrhume, il est normal que les startups toussent aussi, elles ne sont pas dans une bulle ! On constate d'ailleurs un ralentissement sur les recrutements dans les startups, notamment chez les plus grosses, mais il est à la fois lié à ces questions des dépenses et aux difficultés qui persistent pour trouver les profils qualifiés. La reconversion professionnelle reste donc un sujet à part entière.

On observe également de plus en plus de recrutements par de grosses startups de profils seniors expérimentés qui ont déjà des expériences significatives dans d'autres entreprises. Elles viennent aider ces startups en croissance à se structurer en apportant leurs savoir-faire complémentaires en termes de gestion. C'est aussi un sujet très apprécié par les investisseurs.

Face à ces difficultés à venir, est-ce que les stratégies d'adossement à une autre entreprise sont davantage prises en compte par les dirigeants de startups ?

Oui, très clairement, parce que la levée de fonds n'est plus le seul objectif, le seul modèle de financement pour une startup en croissance. On voit de plus en plus d'opérations d'adossement, de rachat ou de fusion-acquisition entre startups ou avec une grande entreprise ou encore un concurrent européen. C'est une étape de plus en plus envisagée par les dirigeants de startups au bout de quelques années. Notamment parce que l'exit peut-être une réussite et permettre de développer d'autres projets. C'est positif parce que ça participe aussi à la maturité de l'écosystème partout en France.

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L'autre sujet qui revient c'est celui de l'impact social et environnemental des startups. Les investisseurs y sont-ils sensibles ?

Oui, mais pas seulement les investisseurs même si l'attente est effectivement très forte de ce côté ! Tout le monde se pose la question de l'impact aujourd'hui et beaucoup de startups nouvelles ou existantes veulent concilier dès le départ le business et l'impact. Ce ne sont pas des sujets simples parce qu'il y a beaucoup de critères et de grilles d'évaluation différentes. Chez France Digitale, on mène un gros travail d'accompagnement avec des ateliers et une boîte à outils sur les trois piliers que sont l'environnement, le social et la gouvernance. On aide les startups à déployer concrètement des politiques de diversité, d'inclusion, d'emploi de personnes en situation de handicap, de mesure des trois scopes du bilan carbone, etc. L'avantage des startups c'est qu'elles sont souvent habituées à faire évoluer rapidement leurs manières de faire.

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18 investisseurs et 50 startups à Bordeaux

Créée en 2012, l'association France Digitale fédère 1.800 entrepreneurs et investisseurs du numérique en France pour favoriser l'émergence de futurs champions européens. Elle organise chaque année une tournée dans les huit plus grandes villes françaises pour réunir des investisseurs et des startups à la recherche de financements. Pour cette étape bordelaise, à la halle Héméra, mercredi 1er février, France Digitale a rassemblée 18 fonds d'investissements et une cinquantaine de startups pour environ 150 rendez-vous bilatéraux.

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