« On entre dans une période d'adossements industriels pour un certain nombre de startups »

INTERVIEW. « L'année 2022 restera extraordinaire pour les levées de fonds en Nouvelle-Aquitaine ! » Camille Le Roux Larsabal, directrice d'investissements chez Epopée Gestion à Bordeaux, explore dans La Tribune les nouveaux ressorts du marché du capital-risque en Nouvelle-Aquitaine : financements internes, rentabilité, attentes des investisseurs, projets industriels et dynamiques de consolidations stratégiques. Dans ce contexte, cette très bonne connaisseuse de l'écosystème régional s'attend en 2023 à « une petite chute en termes de levées de fonds, témoignant davantage d'une pérennisation que d'un déclin ».
Après neuf ans chez Aquiti Gestion, Camille Le Roux Larsabal est directrice d'investissement capital risque chez Epopée Gestion à Bordeaux. Elle décrypte dans La Tribune les tenants et aboutissants du marché du capital-risque en Nouvelle-Aquitaine.
Après neuf ans chez Aquiti Gestion, Camille Le Roux Larsabal est directrice d'investissement capital risque chez Epopée Gestion à Bordeaux. Elle décrypte dans La Tribune les tenants et aboutissants du marché du capital-risque en Nouvelle-Aquitaine. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Avec 675 millions d'euros levées en 2022 et cinq opérations de plus de 50 millions d'euros, la Nouvelle-Aquitaine a franchi un nouveau cap l'an dernier en matière de capital risque. Quels enseignements en tirez-vous ?

Camille LE ROUX LARSABAL - C'est un exercice qui est clairement extraordinaire au regard de ce qui s'est fait en France et, plus largement, en Europe et au-delà. La Nouvelle-Aquitaine tire vraiment son épingle du jeu et je ne peux que féliciter tous les acteurs de l'écosystème. Cela traduit une décentralisation en marche : les régions attirent et continuent à attirer des profils, des entrepreneurs et des investisseurs français et étrangers. Le premier semestre 2022, qui a placé la région au 2e rang derrière l'Île-de-France en termes de montants levés, a vraiment été hors norme, donnant énormément de visibilité au territoire.

Cela prouve aussi la maturité atteinte par l'écosystème régional avec plusieurs opérations importantes dans des entreprises mi-startups, mi-PME industrielles, telles que Telecom Design, Sellsy ou encore Shiro Games. Ce sont des boîtes matures et rentables qui arrivent à attirer de très belles opérations en late-stage [ levées importantes intervenant après un ou plusieurs tours de table, NDLR]. C'est un vrai témoin de la maturité du tissu régional et de ses entreprises. Ce type d'opérations aura tendance à se multiplier parce qu'elles sont de plus en plus recherchées par les investisseurs en quête de rentabilité plutôt que de croissance à tout prix.

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Dans ce paysage régional de plus en plus dynamique et foisonnant, quelles sont les filières qui se démarquent ?

2022 confirme la force de l'écosystème régional de la santé, medtech et biotech, avec de très belles levées à l'instar de Synapse Medicine, Satelia, Germitec ou Valbiotis qui sont de très belles entreprises du territoire. Ce qui est plus nouveau, c'est l'émergence de projets industriels très ambitieux comme celui porté par Flying Whales qui a levé 122 millions d'euros, soutenu par des industriels et des institutionnels. C'est une opération un peu hors-norme mais qui témoigne de ces projets industriels à la fois très innovant et portant la création d'une usine localement. On peut penser aussi à Voltaero, en Charente-Maritime, ou encore à Aqualines, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ces projets devraient se multiplier dans le maritime, l'électronique ou encore la batterie avec des entreprises extérieures à la région qui vont être attirées par les compétences et l'écosystème de la région. C'est une très bonne nouvelle !

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On a le sentiment que ces projets très industriels font moins peur aux investisseurs aujourd'hui...

Pas nécessairement... Ils font moins peur seulement si on n'est pas tout seul à investir. Mais ce qu'il se passe effectivement c'est que les fonds ont un peu moins peur d'investir aux côtés d'industriels purs. Et les fonds publics et européens interviennent aussi davantage ce qui permet de diluer le risque pour tout le monde.

On parle de plus en plus des startups de la green tech, sur les questions climatiques et environnementales. Qu'en est-il vraiment ?

Elles ne signent pas encore les plus grosses levées mais on est bel et bien à la fin de la première vague des green tech : les entreprises sont là et s'apprêtent désormais à concrétiser leurs levées de fonds ! Je pense notamment à CarbonWorks, qui a levé onze millions d'euros avec une équipe qui dispose d'une très grosse expertise industrielle, mais on peut aussi citer Logikko, BlueNav ou SeaKite. Et on voit le développement d'entreprises comme Materrup ou Dioxycle. C'est une tendance non seulement régionale mais aussi nationale et internationale : il y a de plus en plus de fonds à impact et même chez les fonds traditionnels la prise en compte des critères d'impact environnemental est devenue aujourd'hui primordiale.

Camille Le Roux Larsabal Epopée Gestion

Après neuf ans chez Aquiti Gestion, Camille Le Roux Larsabal est devenue directrice d'investissements chez Epopée Gestion à Bordeaux en septembre 2022 (crédits : Agence APPA).

Les projets de startups dans l'économie circulaire et le recyclage sont de plus en plus nombreux...

Oui et on peut distinguer deux types de démarche. Il y a les innovations de modèles, avec de nouveaux circuits d'économie circulaire, de recyclage et de revalorisation comme Rediv. Et il y a les innovations techniques sur des nouveaux procédés et matériaux avec une dimension deeptech plus classique. Dans les deux cas, ce sont des logiques qui sont en vogue mais, pour les premières, il y a encore des interrogations sur leur modèle économique et, notamment, sur leur capacité à passer à l'échelle.

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Faut-il s'attendre à un exercice 2023 aussi dynamique en Nouvelle-Aquitaine que les 675 millions d'euros de 2022 ?

C'est évidemment difficile à dire mais je pense qu'on restera sur des montants élevés même si on ne devrait pas avoir le même niveau de croissance qu'on a eu en 2021 et surtout 2022. On a eu l'an dernier cinq ou six opérations extraordinaires. Je souhaite que ce soit à nouveau le cas en 2023 mais ce sera probablement difficile. On observe en France et ailleurs un déclin des opérations en late stage et des séries A et B très ambitieuses parce que les valorisations sont plus difficiles à fixer et que les prises de risques sont plus élevées.

On s'attend donc, d'une part, à voir de plus en plus de financement en interne auprès des investisseurs historiques sans faire entrer de nouveaux acteurs. Et, d'autre part, à ce que les entreprises se mettent à un fonctionnement un peu plus sobre, un peu plus frugal pour limiter leurs dépenses et gagner du temps... en espérant que le contexte sera plus favorable fin 2023 ou en 2024. On peut donc s'attendre pour 2023 à une petite chute en termes de levées de fonds mais cela témoignera, selon moi, davantage d'une pérennisation que d'un déclin de l'écosystème régional. C'est finalement assez sain et positif de se poser la question de la rentabilité et des niveaux de dépenses d'une startup.

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Vous disiez tout à l'heure « la rentabilité plutôt que la croissance à tout prix ». Est-ce qu'il faudra être rentable pour arriver à lever des fonds en 2023 ?

Être rentable pas forcément mais il faudra s'inscrire dans un niveau de dépenses modéré voire même modulable. C'est-à-dire, qu'avant de signer une opération, on imagine aujourd'hui plusieurs scénarios de valorisation et de trajectoire de développement. Les investisseurs sont aussi beaucoup plus attentifs à la composition de l'équipe dirigeante, sa compétence, sa complémentarité et sa résilience en cas de difficultés. On prend davantage de temps pour évaluer les dossiers et anticiper des scénarios de croissance différents dont un où il n'y a pas de série B au profit, par exemple, d'un financement en interne ou d'une dette classique.

De même, les sujets de l'équipe, du marché, de la concurrence, de la règlementation sont scrutés plus longuement qu'ils ont pu l'être ces dernières années. Il y a eu une forme de concurrence entre les investisseurs qui s'est un petit peu assouplie et qui permet donc de prendre plus de temps et d'approfondir davantage l'analyse des dossiers

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Certains scénarios envisagés peuvent aussi être celui d'un adossement de la startup à une autre entreprise...

Oui, tout à fait. On le voit déjà en 2022 et je pense qu'on entre dans une période d'adossements industriels pour un certain nombre de startups et d'entreprises. On peut s'attendre à pas mal d'opérations de consolidation avec de grosses scale-up ou des entreprises industrielles matures qui vont racheter des startups en France et à l'étranger. Ce devrait être une vraie tendance de la période qui s'ouvre.

On a vu depuis septembre plusieurs startups assez anciennes se retrouver en grandes difficultés au point d'être rachetées au tribunal de commerce à l'instar de Sunday, Jechange ou encore Marbotic, dont le sort est encore en suspens. Craignez-vous un printemps difficile pour les startups de la région ?

Peut-être dans certains cas mais je ne suis pas inquiète d'un point de vue plus global. Comme pour toutes les catégories d'entreprises, il y a eu une baisse des défaillances avec les aides de l'Etat pendant la crise sanitaire et il devrait y avoir un effet logique de rattrapage en 2023. Mais je ne pense pas que les startups soient davantage touchées que les autres entreprises même s'il y a une acceptation plus grande de l'échec au sein de l'écosystème des startups et une plus forte visibilité médiatique.

Épopée Gestion a ouvert une antenne à Bordeaux

Basé à Brest et Paris, Épopée Gestion est un fonds d'investissement créé par Charles Cabillic et Ronan Le Moal en 2020 pour déployer quatre métiers dans l'ouest de la France : l'innovation et le digital (West Web Valley I, Épopée West Web Valley II pour 40 millions d'euros), les transitions des PME / ETI (Épopée Transitions I), l'immobilier durable (Épopée Immo Rendement I) et les infrastructures et mobilités. En matière de capital-risque, Épopée Gestion investit, en lead ou en co-leade, dans des startups en seed, pré-seed et série A avec des tickets allant de 100.000 euros à trois ou quatre millions d'euros sans préférence sectorielle. En Nouvelle-Aquitaine, ce nouveau fonds est représenté par Camille Le Roux Larsabal, qui a opéré pendant neuf ans au sein d'Aquiti Gestion. Après une participation à la levée d'Atoptima en 2021 puis au tour de table du promoteur Idéal Groupe l'an dernier, le fonds vise une poignée d'opération dans la région en 2023.

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