Entreprises, startups : « La fête est finie, les règles du jeu ont changé ! »

« Ce n'est pas une tare d'être accompagné dans les difficultés ! » Entre l'argent plus cher et la baisse de confiance en l'avenir, les entreprises subissent de plein fouet un effet rattrapage et une conjoncture défavorable pour leur financement. Pour prévenir mais aussi dédramatiser les difficultés qui s'annoncent, trois acteurs du monde financier et judiciaire encouragent les chefs d'entreprise à solliciter les procédures d'accompagnement. Résumé de la table ronde organisée ce 21 septembre lors de la Rentrée économique de La Tribune à Bordeaux.
Maxime Giraudeau
Alexandra Blanch, Guillaume-Olivier Doré et Christian Larribe étaient réunis pour une table-ronde à l'occasion de la Rentrée économique et politique de La Tribune ce 21 septembre à Bordeaux.
Alexandra Blanch, Guillaume-Olivier Doré et Christian Larribe étaient réunis pour une table-ronde à l'occasion de la Rentrée économique et politique de La Tribune ce 21 septembre à Bordeaux. (Crédits : Quentin Salinier)

L'écosystème s'y préparait depuis quelque temps et son pressentiment n'était pas sous-estimé : les entreprises en recherche de financement traversent une période particulièrement délicate. L'argent coûte plus cher, les valorisations des startups décrochent et les financeurs rehaussent leurs exigences. Dans le même temps, l'inflation pèse sur la consommation, réduisant la visibilité des entreprises et entravant leurs investissements. C'est pour décrypter les raisons et les défis de cette conjoncture que La Tribune a axé l'un des plateaux de sa rentrée économique et politique à Bordeaux sur cette thématique.

Lire aussiCroissance, inflation : la Banque de France assombrit ses prévisions pour 2024

Avec un constat partagé par les trois intervenants : la hausse des difficultés et des procédures de conciliation atteint des niveaux records. En août, le tribunal de commerce de Bordeaux a fait état d'une hausse de 78 % des procédures de redressement ou liquidation judiciaire par rapport à 2019, repassant au-dessus des niveaux d'avant-Covid. De nombreuses entreprises plongent mais la dépression est à replacer dans un contexte de moyen terme :

« Pendant quelques années, on a eu peu de procédures collectives du fait des aides de l'État et du fameux « quoi qu'il en coûte ». Aujourd'hui il y a un rattrapage avec des procédures qui s'ouvrent et qui sont de différents types. Il y aussi une hausse des liquidations judiciaires mais là encore avec un effet de rattrapage important », recadre Alexandra Blanch, administratrice judiciaire de la Selas Arva.

Table-ronde

Plus de 130 décideurs économiques et politiques girondins étaient présents à la Rentrée économique et politique de La Tribune à Bordeaux, le 21 septembre (crédits : Quentin Salinier.

« Il n'y a jamais eu autant d'argent investi »

« Les entreprises qui auraient dû disparaître ont été aidées et sont toujours là. Les toutes petites entreprises, les auto-entrepreneurs subissent le plus les soubresauts maintenant que le vent commence à souffler plus fort », empile Christian Larribe, directeur du centre d'affaires SG Sud Ouest. Des difficultés particulièrement éprouvantes pour le secteur de la construction, de la tech, de l'hôtellerie-restauration ou de l'agriculture biologique. Un arrêt d'autant plus brutal qu'il intervient après une année 2022 aux profits records pour les entreprises françaises.

Les plans de croissance s'effondrent brutalement pour les sociétés en phase de développement et l'accès à la levée de fonds, hier facilité, est désormais plus que restreint. « La fête est finie, les règles du jeu ont changé ! », détermine Guillaume-Olivier Doré, partenaire des fonds InvESS't NA, 321Founded et Impact Source. « La rentabilité, que l'on repoussait dans le temps en imaginant qu'on allait surfinancer la croissance, est redevenue le critère principal. »

Lire aussi« Le changement de conjoncture du capital-risque est très brutal ! » (Aquiti Gestion)

Et pourtant, cette nouvelle donne pourrait avoir un effet positif de régulation en accordant davantage de crédit aux projets qui prouvent un grand potentiel de viabilité économique. Certains se retrouvent alors très bien financés, notamment dans l'IA, la deeptech et la cybersécurité, en laissant des miettes aux autres secteurs. « Le fait est qu'en 2023, on a une situation paradoxale dans le monde de l'investissement : il n'y a jamais eu autant d'argent investi en France qu'aujourd'hui. L'argent disponible pour les startups, c'est cinq milliards d'euros qui sont entre les mains de quelques milliers de personnes investissant dans les projets de croissance. Ils décident aujourd'hui de la vie ou de la mort des entreprises », constate le fin connaisseur des startups. La majorité des sociétés d'investissement connaissent des dévaluations de leurs actifs et se retrouvent contraintes de mener des arbitrages en décidant d'abandonner certains.

Les procédures judiciaires encore tabous

Les trois intervenants plaident pour que cette phase turbulente puisse provoquer des rebonds grâce à l'accompagnement des chefs d'entreprises permis par la palette de procédures existantes. Une option qu'il faut selon eux dédramatiser. « Nous avons un rôle important à jouer dans la détection de ces difficultés pour apporter de la prévention aux entreprises, leur dire qu'elles ne sont pas toutes seules. Trop souvent, on constate des chefs d'entreprise qui se retrouvent isolés face à leurs questions. On travaille de concert avec la profession judiciaire pour dire aussi que ce n'est pas une tare d'être accompagné dans les difficultés ! », lance Christian Larribe. Avec un indicateur à l'appui : la conciliation et le mandat ad hoc, qui sont des procédures confidentielles, permettent de conclure un accord amiable dans 50 à 70 % des cas tandis, qu'à l'inverse, 73 % des entreprises en redressement judiciaire disparaissent, selon un rapport d'information sur les entreprises en difficulté publié en juillet 2021.

Lire aussi« La conciliation amiable c'est un bouclier et un levier ! »

Autant de possibilités encore trop souvent tabous et synonymes, à tord, d'échec. « Quand on remet en perspective le rôle d'un tribunal de commerce, on a moins la crainte, en tant que chef d'entreprise, d'aller y demander un coup de main. Le bras droit c'est l'expert-comptable, le bras gauche c'est l'administrateur judiciaire. À travers le redressement judiciaire, on peut sauver une entreprise. C'est un outil de gestion, pas un outil de sanction !», mobilise Alexandra Blanch. Le calendrier des audiences promet donc de se densifier encore dans les prochains mois dans les murs du tribunal de commerce de Bordeaux, pendant que les levées de fonds elles tomberont au compte-gouttes. Deux tendances qui ne sont pourtant pas forcément des mauvaises nouvelles pour l'économie.

Maxime Giraudeau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 23/09/2023 à 9:11
Signaler
"Entre l'argent plus cher et la baisse de confiance en l'avenir" et surtout la baisse de la consommation qui accompagne toute chute du pouvoir d'achat même si bien sûr ils ne faut pas oublier de bêler avec les chèvres "c'est la faute aux gens !".

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.