« Le bilan carbone est désormais décisif pour les entreprises souhaitant venir à Bordeaux » (Hurmic)

INTERVIEW. "Pourquoi attirer à Bordeaux des entreprises qui n'ont pas compris que le sens de l'histoire c'est la décarbonation de l'économie et qui sont donc condamnées ?" Dans un entretien à La Tribune, Pierre Hurmic, le maire écologiste de Bordeaux, passe à l'offensive sur les grands sujets économiques. Longtemps discret sur ces enjeux, il précise sa vision de l'attractivité du territoire, sa stratégie économique et les contours de sa "ville apaisée". "Le bilan carbone sera désormais un critère décisif pour les entreprises qui souhaitent s'installer à Bordeaux", prévient-il notamment.
L'écologiste Pierre Hurmic dans son bureau de maire de Bordeaux
L'écologiste Pierre Hurmic dans son bureau de maire de Bordeaux (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Lors de la campagne et depuis votre élection vous avez battu en brèche la notion d'attractivité économique. Ce mot est-il banni de votre vocabulaire ?

PIERRE HURMIC - Non, mais je veux revisiter ce terme et les critères utilisés pour le définir. Bordeaux est une marque internationale qui n'a certainement pas besoin d'un adjectif abscons comme « Magnetic Bordeaux ». Cette stratégie qui a consisté à tout concentrer sur la Métropole sans aucune nuance a eu des effets négatifs sur les équilibres urbains dont une crise du logement qui entraîne une artificialisation accrue des sols et un engorgement de notre métropole. L'attractivité ça ne peut pas être ça !

Avant, pour décider de là où s'implanter, les entreprises regardaient les prix, les avantages financiers et les zones d'activités dédiées. Aujourd'hui, cela a totalement changé : elles mettent en avant l'accessibilité du territoire, l'accès au foncier à un prix raisonnable et la qualité de vie ! Les lieux d'implantation sont de plus en plus choisis par les cadres des entreprises et ils veulent vivre dans une ville avec des équipements, des crèches, des écoles, une offre culturelle et des espaces verts. La réalité c'est qu'ils sont là désormais les vrais critères d'attractivité et ils n'ont plus rien à voir avec ceux de Magnetic Bordeaux.

Comment cette nouvelle approche se traduit-elle dans les actes ?

Nous avons clairement critiqué l'action d'Invest in Bordeaux, l'agence d'attractivité économique du territoire. Je fais partie de ceux qui ont demandé une réorientation profonde de l'agence. Nous avons donc choisi un nouveau président avec Gérard Frut qui s'est doté d'une nouvelle feuille de route 2021-2023. Il veut désormais devenir, je cite, "une agence de développement économique durable et responsable qui irrigue au mieux l'ensemble du département dans une logique de cohésion territoriale et de coopération économique". Je suis complètement en phase avec ça parce qu'on est bien dans l'anti-magnetic ! On ne cherche pas à tout aimanter mais à construire un aménagement économique durable.

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Concrètement, quels secteurs d'activités souhaitez-vous attirer à Bordeaux ?

L'agence est toujours chargée d'identifier, de qualifier et d'accompagner des projets d'investissements mais elle sera plus sélective pour tenir compte des enjeux environnementaux. Nous voulons attirer des entreprises bas carbone, celles qui ont un impact positif sur le territoire y compris sur le plan environnemental. Et pour attirer ces entreprises vertueuses nous devons bien sûr montrer l'exemple en matière de transition écologique, de végétalisation, d'accessibilité. Je veux notamment développer les activités portuaires qui sont en pleine transition en abandonnant les activités pétrolières pour des métiers comme le retrofit, la remotorisation au gaz naturel liquéfié, ou encore la production d'hydrogène vert. L'économie sociale et solidaire (ESS) est aussi un secteur que nous promouvons activement activement par une convention avec trois autres collectivités, une feuille de route votée le 8 juin dernier et trois appels à projets en cours sur la coopération, les formes innovantes d'emploi, et l'économie circulaire et la low tech. Nous avons soutenu Citiz et nous soutenons le projet ïkos et le développement de la monnaie locale, la MIEL. Vous savez, je préfère l'ESSisation de l'économie que l'Uberisation de l'économie ! Je défends l'idée de Gaël Giraud de « l'économie du bien commun » qui s'inspire des principes de l'ESS, de l'économie circulaire et de gestion sobre des ressources.

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Pierre Hurmic

Pierre Hurmic dans son bureau sous l'oeil du Bordelais Jacques Ellul, l'un de ses mentors (crédits : Agence APPA).

On comprend donc que, par exemple, une entreprise du secteur pétrolier ou du type d'Amazon n'est pas la bienvenue à Bordeaux...

Oui, tout à fait ! Je ne veux pas qu'on attire des entreprises polluantes ou qui ne s'interrogent pas sur leur bilan carbone. Ce n'est pas à nous d'encourager ce type d'activités même si on ne pourra bien évidemment pas les interdire. Nous ne pourrons pas réussir la transition écologique du territoire sans les entreprises. J'ajouterai que le monde économique a compris qu'il n'y a pas de salut en dehors d'un changement de modèle radical. J'étais au Medef cet été et eux-mêmes parlent de "la nécessaire conversion de nos modes de production". La RSE et les coûts climatiques sont aujourd'hui de vrais sujets pour et dans les entreprises !

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Donc, je le dis : le bilan carbone sera désormais un critère décisif pour les entreprises qui souhaitent s'installer à Bordeaux et nous allons également l'intégrer dans nos marchés publics. L'emploi reste évidemment un critère important et il est compatible avec le bilan carbone parce qu'il faut se poser les bonnes questions : pourquoi attirer à Bordeaux des entreprises qui n'ont pas compris que le sens de l'histoire c'est la décarbonation de l'économie et qui sont donc condamnées ?

Depuis votre élection vous n'avez pas souhaité incarner en tant que maire un rôle économique. Avez-vous changé d'avis ?

Oui, j'ai évolué là-dessus, je le reconnais ! Quand un chef d'entreprise bordelais vient me voir, c'est mon rôle de l'écouter, de lui répondre et de l'accompagner, y compris dans ses démarches de décarbonation. Ce n'est pas de ma compétence mais, oui, c'est bien ma responsabilité et je n'ai pas l'intention de m'y dérober, sans me renier ! Et, en, tant qu'ancien avocat à mon compte, je comprends mieux le langage et les enjeux de l'entreprise que bien d'autres responsables politiques.

Le jour de votre investiture vous avez décrété « l'état d'urgence climatique ». Qu'est-ce qui a changé dans le quotidien des habitants et des salariés bordelais ?

Je trouve amusant que ceux qui nous disent qu'on n'en fait pas assez pour le climat sont précisément ceux qui n'ont rien fait pendant des années ! Mais, soyons honnêtes, je suis le premier à être convaincu qu'on n'en fait pas suffisamment. Nous travaillons pour adapter le territoire à la transition climatique et nous allons insister dans les prochains mois sur les mobilités pour rééquilibrer le partage de l'espace public qui est aujourd'hui trop favorable à la voiture. Nous parlons d'une ville apaisée en passant la ville à 30 km/h, pas seulement l'hyper-centre, en rendant la rue aux enfants près des écoles bordelaises et en continuant à développer le vélo. L'autre sujet c'est l'urbanisme avec notre politique de zéro artificialisation des sols et le label du bâtiment frugal bordelais.

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Quel est l'état de vos relations avec les professionnels de l'immobilier qui dénoncent le volume trop faible de nouveaux logements ?

On est beaucoup dans la négociation parce que tant qu'on n'a pas révisé le plan local d'urbanisme on ne peut pas imposer ce label. Mais on constate qu'il y a de l'adhésion avec des promoteurs qui ont accepté de remettre en jeu leurs permis de construire. Par ailleurs, nous n'avons pas décrété de gel et nous continuons à construire à Bordeaux ! Mes prédécesseurs considéraient que construire partout et n'importe comment allait faire baisser les prix et les loyers... On voit bien que c'est une posture idéologique qui n'a pas fonctionné ! Aujourd'hui, on cherche à construire mieux.

Pierre Hurmic

Pierre Hurmic (crédits : Agence APPA).

Au risque de surenchérir encore le coût des logements neufs...

Ce qui coûte le plus cher dans une opération à Bordeaux aujourd'hui c'est le coût du foncier, notamment parce que Bordeaux est rentrée trop tardivement dans l'établissement public foncier régional à cause du refus d'Alain Juppé. On travaille aussi beaucoup avec l'office foncier solidaire sur les baux réels solidaires (BRS) qui permettent de dissocier le logement et le foncier et donc de réduire le coût du logement de 20 % à 30 %. Et c'est en plus un dispositif anti-spéculation à la revente. Enfin, on va rattraper le retard hérité de la précédente majorité sur le logement social.

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Il y a malgré un tout à risque à Bordeaux, ou à La Rochelle, de surenchérir encore des prix déjà inabordables pour les classes populaires et moyennes...

Mais cette réalité est déjà là ! On ne peut plus acheter à Bordeaux à cause de ces prix astronomiques. On hérite de ce fléau et, contrairement à nos prédécesseurs, on essaye des choses, y compris des mesures un peu coercitives. C'est la logique de l'expérimentation de l'encadrement des loyers que nous mettrons en place en 2022. Le mot important c'est expérimentation. On nous dit que ça ne fonctionnera pas... Et bien si c'est le cas on ne s'entêtera pas, mais si on arrive à faire baisser le prix des loyers à Bordeaux, alors tant mieux ! Cette logique d'expérimentation doit être notre nouvelle manière de faire de la politique.

Vos prédécesseurs n'avaient pas non plus réussi à résoudre le long conflit entre Darwin et Bordeaux Métropole Aménagement (BMA). Pensez-vous pouvoir faire mieux, notamment sur la question cruciale des Autorisations d'occupation temporaire (AOT) ?

Nous sommes très attachés à l'écosystème Darwin et nous discutons avec Philippe Barre pour le soutenir mais nous avons aussi des impératifs : conserver la programmation de logements sociaux, le calendrier et les équilibres financiers de la ZAC. Nous avançons pour pérenniser Darwin et signer ces AOT. La discussion n'est pas encore aboutie et je comprends parfaitement l'impatience de Philippe Barre mais je pense que la situation va se dénouer prochainement. L'arrivée de Claire Vendé Bedora, à la tête de BMA, et le regard neuf de mon adjointe Claudine Bichet permettent aussi d'écrire une nouvelle page en dépassant des questions de personnes.

Soutenez-vous l'un des cinq canditats aux primaires des écologistes pour la présidentielle de 2022 ?

Je voterai et je sais pour qui je vais voter mais je ne souhaite pas prendre position publiquement. Je le ferai peut-être avant le second tour. J'insiste simplement sur le fait qu'il ne faut pas élire un chef de parti mais un candidat capable de rassembler le plus largement possible, bien au-delà de l'électorat écolo. Il ne faut donc pas chercher nécessairement l'écologie la plus partisane mais celui ou celle qui pourra fédérer suffisamment pour réaliser un très bon score et même réunir une majorité des Français

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Commentaires 7
à écrit le 09/09/2021 à 17:13
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Monsieur le maire de Bordeaux je cherche encore dans les commerces alimentaires de votre ville les machines pour déposer les bouteilles en verre et plastiques au bout de plus d’une annėe que faites vous

le 10/09/2021 à 21:19
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Qu il arrete la centrale nucléaire de blaye Il n y a pas encore penser ? Je me demande bien pourquoi

à écrit le 09/09/2021 à 14:58
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Imaginons une semblable proposition en Coree. Inimaginable.

à écrit le 09/09/2021 à 14:52
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Enfin, un maire qui nous sort de la médiocratie et qui réfléchit à long terme. J'aimerais que tous les élus prennent exemple sur lui et nous permettent d'édifier petit à petit un monde plus vertueux.

à écrit le 09/09/2021 à 10:51
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Décourager les entreprises carbonifères de venir à Bordeaux, ça ne fait que les déplacer dans d'autres villes, donc ça ne change rien au problème écologique mondial. C'est le "not in my backyard". Les entreprises carbonifères sont indispensables à l'...

le 10/09/2021 à 14:20
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Il explique justement que ne pas installer d'entreprise carbonifère, c'est préparer l'avenir, car celles-ci sont vouées à disparaitre, donc leurs emplois avec. C'est plutôt juste comme point de vue. Quand au "elles ne disparaitront jamais", et bien l...

à écrit le 09/09/2021 à 9:45
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Les obsédés du carbone qui ne réfléchissent pas plus loin que l'interdit par manque de jugeote! Cela préfèrent gérer des conséquences plutôt que de s'attaquer aux causes sur laquelle sont assise des rentes!

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