Attractivité, transition climatique, foncier : ce que propose Pierre Hurmic pour Bordeaux

"Si le monde politique se donne les moyens de répondre à l'urgence climatique alors le monde économique suivra", assure Pierre Hurmic, le candidat de la liste Bordeaux Respire (EELV, PS, PC, PRG, PP et ND) à l'élection municipale des 15 et 22 mars. Dans un entretien à La Tribune, il détaille ses propositions en matière économique : stratégie foncière, transition écologique, économie sociale et solidaire. Il défend également la fin de l'artificialisation des espaces naturels et l'arrêt du projet de "rue bordelaise" entre la gare Saint-Jean et les quais.
Pierre Hurmic
Pierre Hurmic (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Quel bilan faites-vous de l'économie bordelaise ?

Pierre HURMIC - Elle est aujourd'hui victime de l'état de thrombose de la ville et les acteurs économiques s'en plaignent souvent à juste titre. C'est donc l'une de nos préoccupations majeures : libérer un certain nombre de flux pour permettre à la ville et à l'économie de respirer. Nous proposons en particulier de réserver l'une des trois voies de la rocade au covoiturage et aux transports collectifs. C'est une solution qui est réalisable rapidement, sans investissement et en lien étroit avec les plans de déplacement des entreprises parce que nous sommes convaincus qu'attendre un hypothétique contournement en 2040 n'est pas compatible avec le temps des chefs d'entreprise ! Aujourd'hui, sur la rocade, cinq véhicules transportent six passagers, si vous en mettez seulement un de plus tous les cinq véhicules, vous diminuez le trafic de 16 %. Par ailleurs, les entreprises et leurs salariés souffrent des prix de l'immobilier à la location et à l'achat. A quoi ça sert de créer des activités à Bordeaux si on ne peut plus y habiter ?

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En matière d'emplois, quel est votre diagnostic ?

Depuis un an, l'évolution du chômage est plus favorable à Bordeaux qu'au niveau national, c'est un constat. Cependant, il y a aussi une forme de décrochage local puisque le chômage de plus de deux ans, qui représente 20 % des 30.000 demandeurs d'emplois bordelais, continue d'augmenter plus vite à Bordeaux que dans le reste de la métropole. Par ailleurs, parmi les fragilités, je note la faible diversification de notre économie qui ne permet pas de proposer des emplois pour tous les profils ni d'avoir une économie résiliente en cas de crise. L'Aéroparc pèse 40.000 emplois aujourd'hui et 50.000 emplois demain à l'ouest de la métropole ! La viticulture connaît aussi des difficultés économiques importantes, notamment en lien avec le retard en matière de bio. Plus globalement, sur ces questions économiques, la ville et la métropole de Bordeaux doivent travailler davantage avec la Région qui a la compétence de plein droit en matière de développement économique.

Le foncier est aussi une préoccupation majeure pour les entrepreneurs et nous souhaitons mettre en œuvre une vraie stratégie foncière pour l'installation et le développement d'entreprises parce que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Bordeaux Métropole a un vrai rôle à jouer en la matière pour aider les secteurs émergents : le numérique, l'économie sociale et solidaire, les artisans, etc. Il faut multiplier des lieux comme la Planche. Il faut mobiliser l'établissement public foncier régional pour qu'il monte en puissance sur ce sujet dans la Métropole ! L'office foncier solidaire a aussi un rôle à jouer. Mais sur ces deux outils stratégiques, Bordeaux a pris un retard considérable par rapport à d'autres villes. Il fallait agir sur le foncier avant de réaliser les extensions de tramway et avant la mise en service de la ligne à grande vitesse Mais la majorité sortante a refusé d'agir !

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Quand on parle de l'évolution de Bordeaux ces dernières années, le mot qui revient le plus vite est celui d'attractivité. Faut-il poursuivre dans cette voie ?

Non, il faut d'abord se préoccuper du tissu économique installé plutôt que d'avoir une politique de chasseurs de primes et une vision totalement désuète de la métropole millionnaire qui cherche à tout attirer et à tout concentrer sur le territoire métropolitain : les activités économiques, les programmes immobiliers et les bouchons ! D'autant que cette concentration s'est faite sans maîtrise foncière et sans équipements publics qui tardent à venir, aux Bassins à flot notamment où la voirie est un désastre ! Vous avez des pouvoirs publics défaillants dans l'aménagement et des programmes immobiliers qui se multiplient. Résultat : on a l'impression d'une ville très accueillante pour la promotion immobilière mais pas au rendez-vous des équipements publics.

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(crédits : Agence APPA)

Est-ce que cela signifie que vous souhaitez arrêter la politique de promotion menée sous l'appellation Magnetic Bordeaux ?

Il faut en finir avec ce slogan qui relève d'un égoïsme métropolitain incompatible avec une politique de développement équilibré du territoire. Bordeaux Métropole doit se soucier des villes et territoires limitrophes : le Médoc, Langon, La Réole, Sainte-Foy-la-Grande, etc. Donc le slogan disparaîtra et de toute façon Bordeaux n'a pas besoin de ce terme ésotérique parce que Bordeaux est une marque de ralliement en soi. Je laisserai donc tomber ce type de publicité territoriale.

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Quelles sont les filières économiques que vous souhaitez attirer ou soutenir en priorité ?

Nous souhaitons d'abord accompagner les entreprises locales dans la transition écologique et solidaire. Si notre liste gagne cette élection municipale, cela enverra un signal très fort : Bordeaux sera l'une des premières grandes villes françaises à choisir la modernité et la transition écologique. Sur le plan économique, ce sera un atout indéniable et un élément de notre attractivité. Si le monde politique se donne les moyens de répondre à l'urgence climatique alors le monde économique suivra même s'il faudra l'emmener et l'accompagner. Et, de toute façon, ça ne servirait à rien d'avoir une politique écologique sans y associer les acteurs économiques.

En matière de logistique, par exemple, beaucoup d'embouteillages dans le centre-ville sont liées à la multiplication des véhicules de livraisons, avec des camions polluants stationnés en double-file ou sur les pistes cyclables pour livrer des petits colis. Nous proposons, en lien avec la Chambre de commerce et d'industrie, d'effectuer la livraison du dernier kilomètre en vélo cargo ou en véhicule léger électrique. Cela aurait dû déjà être fait à Bordeaux ! Il faut y consacrer du foncier, pour mailler la ville de lieux de stockage, et utiliser le fleuve et les premiers tramways tôt le matin pour le transport de marchandises.

Comment concrètement entendez-vous "emmener et accompagner" les entreprises locales dans la transition climatique ?

Nous proposons de moduler, d'alléger voire même d'exonérer temporairement de CET [contribution économique territoriale, composée de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)] les entreprises locales qui font des efforts pour décarboner leur activité. Il faut des incitations fiscales sur ce terrain-là. Parallèlement, pour accompagner les TPE et PME il faut redéployer ou réorienter des missions de la Maison de l'emploi et de différents organismes pour aider ces petites entreprises dans la compréhension des enjeux de la décarbonation, dans l'évaluation de leurs besoins et dans la programmation des actions à mener. Est-ce que cela se fera via des entreprises spécialisées dans ces sujets ou par des équipes de la Métropole et la Maison de l'emploi, cela reste à caler. Mais il y a des enjeux importants de formation pour ne pas laisser les entreprises seules face à des injonctions écologiques.

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(crédits : Agence APPA)

Quelles entreprises seront éligibles à ces actions ?

Toutes les entreprises, quel que soit le secteur, qui mènent des efforts pour répondre à l'urgence climatique y seront éligibles. Mais nous souhaitons aussi soutenir plus spécifiquement les entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS) et de l'économie circulaire qui font preuve d'un dynamisme assez exceptionnel à Bordeaux. Il faut les valoriser parce que ces entreprises sont porteuses de multiples impacts sociétaux positifs pour la ville et ses habitants en termes d'emplois et d'environnement.

Nous proposons de créer plusieurs petites cités numériques dans la métropole ; de multiplier les espaces de coworking dédiés à l'artisanat et les épiceries solidaires et de faciliter la croissance des activités de recyclage, de réparation et de réemploi. Il faudra aussi aider activement les commerçants bordelais.

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Sur ce sujet, soutenez-vous un moratoire sur la création de nouvelles surfaces commerciales en périphérie de la métropole ?

Les maires votent de nouvelles autorisations tout en se plaignant de la dévitalisation de leur centre-ville mais, avec le recul, le bilan global est tout à fait défavorable parce que ces grandes surfaces détruisent plus d'emplois qu'elles n'en créent, d'autant plus avec le développement des caisses automatiques. Il faut donc arrêter d'autoriser de nouvelles surfaces commerciales, en lien avec les autres territoires de Gironde.

S'agissant de la "Rue bordelaise" à Bordeaux Euratlantique, vous êtes, comme Thomas Cazenave, opposé à ce projet...

Oui, j'ai lu récemment qu'il y était, lui-aussi, opposé mais, de mon côté, je n'ai pas attendu les élections municipales pour prendre fermement position contre ce projet de grandes enseignes franchisées avec des tarifs absolument pas adaptés aux commerces locaux, aux commerces indépendants ou aux commerces de bouche. Ce projet va contribuer à appauvrir encore davantage la diversité commerciale de la ville. La percée urbaine entre la gare et les quais me plaît, j'y suis plutôt favorable, mais c'est l'équilibre économique qui pose problème tout comme la minéralité totale des esquisses présentées jusque-là.

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Sur le front de l'emploi, quel rôle entendez-vous jouer en tant que maire pour rapprocher les demandeurs d'emplois et les entreprises qui ont du mal à recruter ?

C'est d'abord un problème de formation professionnelle et de compétences mais, ne soyons pas démagogique, la municipalité n'a pas de compétence propre dans ce domaine. Je peux bien sûr vous dire que les compétences des demandeurs d'emplois doivent être plus en phase avec celles recherchées par les entreprises mais, si on pose la question du comment on fait, alors il faut le dire : le maire n'a pas la main sur ce sujet ! En revanche, je souhaite que la ville et la métropole s'engagent dans le projet de "Territoire zéro chômeur de longue durée" alors que la majorité sortante a refusé de s'inscrire dans cette démarche expérimentale.

Pierre Hurmic

(crédits : Agence APPA)

Quelles sont vos propositions pour le développement de la rive droite de Bordeaux et de sa métropole ?

Nous dénonçons depuis des années le déséquilibre territorial de la rive droite qui est sous-dotée en activités économiques et en transports en commun circulaires qui seraient pourtant beaucoup plus pertinents que de poursuivre le développement en étoile du réseau de tramway vers Saint-Médard-en-Jalles. Nous soutenons donc la création d'une opération d'intérêt métropolitain (OIM), dont le principe a été très opportunément voté par la majorité sortante lors du dernier conseil métropolitain avant les élections. Je pense que cette OIM doit être structurée autour d'un outil de formation aux métiers de la transition écologique porté conjointement par la Métropole et le conseil régional. Cela permettra par exemple d'assurer une corrélation entre les compétences et les besoins en matière de rénovation énergétique des bâtiments qui constitue un marché et un gisement d'emplois locaux énormes. A Bordeaux comme dans d'autres villes anciennes, il faut rénover les nombreuses passoires thermiques et ce sont des travaux qui bénéficieront aux occupants et aux artisans locaux.

Plus largement, en cas de victoire, nous créerons une vice-présidence de la Métropole aux équilibres métropolitains et extra-métropolitains pour affirmer l'importance de cet enjeu. Cette proposition a été refusée par la majorité sortante.

Comment envisagez-vous les relations entre Darwin, la mairie et Bordeaux Métropole Aménagement ?

C'est l'affrontement de deux visions urbaines : une vision traditionnelle qui veut tout bétonner et une autre qui consiste à dire que le monde a changé et qu'il faut faire différemment. Nous sommes plus proches de la vision de Darwin et il faut multiplier ce projet qui est un succès. On veut qu'il y ait d'autres Darwin dans la ville et dans la métropole.

Vous affichez haut et fort un objectif de zéro nouvelle artificialisation des espaces naturels et agricoles. Comment concilier ce principe avec l'accueil de nouveaux habitants à Bordeaux ?

Ces dernières années on a beaucoup trop artificialisé la ville de Bordeaux qui est déjà très minérale. Et, heureusement, on s'est battu comme des diables pour convaincre l'équipe sortante de renoncer à un programme immobilier de plus à la Jallère. Nous voulons construire la ville sur la ville, c'est une théorie urbanistique moderne et c'est pour cela qu'elle n'est pas du tout dans les cartons de la majorité sortante. Il faut construire sur des zones déjà artificialisées et augmenter la densité des programmes immobiliers en construisant peut-être un plus haut. Mais, surtout, il faut le faire en concertation avec les riverains. Je parle d'une vraie concertation pas d'une simple présentation aux habitants lorsque tout est déjà décidé. Le tribunal administratif de Bordeaux est saturé par les recours contre les permis de construire parce que la concertation est insuffisante !

Il faut donc discuter fermement avec les promoteurs immobiliers et beaucoup sont d'ailleurs ouverts à ces nouvelles manières de travailler parce qu'ils ont compris dans quelle direction souffle le vent de l'histoire. Comme le dit Hubert Védrine : "Les territoires qui seront les plus compétitifs demain seront ceux qui auront réussi à préserver leurs derniers espaces de nature.

Quelle stratégie pour l'aéroport de Bordeaux-Mérignac dont le trafic explose ces dernières années ?

Nous sommes inquiets car la métropole s'est fixée un objectif de réduction de ses gaz à effet de serre (GES), qui correspond à l'engagement international de notre pays, mais, dans la réalité, elle n'en prend pas du tout le chemin. Au lieu de diminuer, nos émissions ont augmenté de 4 % ces dernières années ! Et la hausse du trafic aérien de Bordeaux Mérignac représente 80 % de nos nouvelles émissions carbonées. Faut-il continuer à accueillir des compagnies low cost ? Faut-il continuer à payer 27 € pour aller à Amsterdam en avion ? Ce modèle économique sur le dos des salariés et de l'environnement est-il viable ? Faut-il maintenir une desserte aérienne vers Paris maintenant qu'il y la ligne à grande vitesse ? Comment prendre en compte les demandes des riverains de l'aéroport ? Il faut ouvrir un vrai débat sur le modèle de société que nous voulons !

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